Depuis l’aube, la boulangerie « Chanti » dans le centre-ville tourne à plein régime. Les habitants font la queue sous le soleil, alors que les Jeep aux chromes rutilants de la Force exécutive, une milice du Hamas qui fait désormais office de police, font des rondes dans les rues.
Couvert de farine, Oussam al-Douleimi s’essuie le front, où perlent des gouttes de sueur : « Les gens craignent que les points de passage de la bande de Gaza restent fermés pour longtemps. Ils se ruent pour faire d’importantes réserves. »
« La conséquence est que les stocks s’épuisent rapidement. Nous n’avons de la farine que pour une semaine, et encore », souffle l’homme. Devant lui, les clients s’impatientent et s’invectivent pour tenter de prendre la plus grande quantité de pain possible.
Dans les supermarchés de la ville, tombée vendredi sous le contrôle total des islamistes, les scènes sont les mêmes. Dans son supermarché de quartier, Samir Abou Nasser hurle et tente de contenir des dizaines de clients. « Depuis hier, les gens ont soudainement accouru pour acheter toutes sortes de produits de base. Tout part : farine, huile, lait, légumes, fromage, boîtes de conserve », dit-il.
« Les gens ont peur de l’inconnu », explique Abou Nasser, en priant qu’Israël ouvre les frontières pour laisser passer les marchandises, une éventualité que l’État hébreu a déjà rejetée.
Saisissant à bout de bras des paquets de farine, Adnane, un habitant du quartier, lance dans la cohue : « Nous voulons juste nourrir nos enfants. »
Les files grossissent aussi à vue d’œil devant les pompes à essence où il reste encore du carburant. D’autres ont déjà apposé des écriteaux « Plus d’essence » en grosses lettres, après la décision d’Israël de couper l’approvisionnement.
Au souk populaire « Zawya » - près de la plus importante place de Gaza, où les embouteillages de minibus et de taxi jaunes sont de nouveau de retour après d’interminables jours de combats sanglants - se déroule une scène étonnante.
Des hommes de la Force exécutive, en uniforme bleu, font des descentes dans les magasins de denrées. Objectif : s’assurer que les « profiteurs de guerre », comme le Hamas les nomment, n’amassent des provisions « pour faire monter les prix ». La veille, cette force a menacé dans un communiqué de prendre « des mesures sévères contre ces bandes dévoyées ».
« Le problème, c’est que je ne peux rien acheter. Nous n’avons plus d’argent, mon mari n’a pas reçu son salaire », soupire désabusée Oum Ala, une vielle femme déambulant dans les allées.
De nombreux commerçants de Gaza font état d’un début de pénurie de certains produits de base, mais le Hamas assure qu’il n’y aura pas de « crise ». Tout comme il prétend que la bande de Gaza est désormais un territoire « sûr », débarrassé des « traîtres » du parti ennemi Fateh.
Un discours qui contraste avec la ruée de nombreux Palestiniens depuis deux jours vers le point de passage d’Erez, entre le nord de la bande de Gaza et Israël.
Hier encore, des centaines d’entre eux, souvent anciens membres des services de sécurité craignant une « purge » du Hamas, tentaient de fuir Gaza, selon un photographe de l’AFP.
Enfants dans les bras, bagages dans les mains, la plupart se heurtent au refus d’Israël d’ouvrir ses portes. Quand le nombre devient trop important, des soldats de l’autre côté de la frontière ouvrent le feu en l’air pour disperser la foule.
Et, sur la route menant à Erez, le Hamas a installé des barrages pour tenter de stopper l’hémorragie et arrêter les voitures. Un des « Hamsawi », Abou Jaafar, Kalachnikov en main, lâche : « Nous disons à tout le monde que la bande de Gaza est sûre pour ses citoyens. Le Hamas est là pour les protéger. »