Haïfa, Israël - Le 30 mars 1976, un prêtre mène un groupe d’activistes politiques dans la première manifestation de masse de citoyens arabes en Israël, connue aussi sous le nom de « Journée de la Terre », pour protester contre les confiscations de leur terre par l’état juif. Vingt neuf ans plus tard, le prêtre en question, le Révérend Canon Dr Shehadeh Shehadeh se souvient comment tout cela a débuté.
« Je suis un pasteur et je crois qu’un pasteur a le devoir de comprendre la souffrance des gens » explique Shehadeh lors d’une interview avec le Daily Star.
« Cela fait mal aux gens quand on prend leurs terres. C’est comme si on avait pris une partie de leur corps. Si un pasteur ne peut pas réaliser cela et travailler comme pasteur, alors je ne pense pas qu’il devrait être pasteur » dit-il.
Servant actuellement comme prêtre dans l’église épiscopale St John à Haïfa et comme vice-président d’Al-Jebha, le front Démocratique pour la Paix et l’Egalité, le père Shehadeh combine une histoire de zèle pour ses convictions religieuses avec un activisme politique efficace.
Le 30 mars 1976, c’était Shehadeh qui, en tant que président du Comité National pour la Protection des Terres en Israël, avait dirigé la première manifestation de masse organisée de la minorité palestinienne en Israël contre les expropriations planifiées de l’état sur 2000 hectares de terres pour la plupart situées en Galilée au nord d’Israël, mais aussi dans le Naqab (Néguev) et dans le « Triangle », respectivement au Sud et au Centre du pays.
Conçu comme une manifestation pacifique, elle a réussi à mobiliser la communauté palestinienne en Israël pour réaffirmer à la fois ses droits et son identité à travers une action collective.
La Journée de la Terre est aujourd’hui reconnue des deux côtés de la Ligne Verte ainsi que dans la diaspora sert de journée nationale annuelle pour les Palestiniens de par le monde.
Selon Shehadeh, le mouvement a commencé quand Rakah, la nouvelle liste communiste, a invité quelque 25 personnes (dont le pasteur) à une réunion à Haïfa il y a 29 ans pour discuter de stratégies afin de s’opposer aux plans d’expropriation du gouvernement.
Le groupe a ensuite tenu un meeting plus important auquel les dirigeants de conseils locaux arabes ont été invités et a ensuite organisé un meeting public ouvert dans un cinéma de Nazareth. Le récit de Shehadeh ralentit alors qu’il se souvient de sa profonde stupéfaction devant l’importance du rassemblement.
« Le meeting était immense » dit-il, rajoutant que non seulement le public emplissait la salle et les couloirs du cinéma mais qu’il s’était aussi massé dehors dans les rues. C’est lors de ce meeting que le comité a été officiellement formé et que Shehadeh a été nommé président.
Le soutien public palestinien pour le comité s’est avéré être sa ressource la plus précieuse. Les lettres que le Comité a envoyé aux membres de la Knesset sont restées sans réponse alors qu’un meeting impromptu avec le part travailliste dirigeant n’a eu pour résultat qu’une déclaration du parti disant qu’il n’allait pas reconsidérer ses plans d’expropriation de terres privées palestiniennes.
Mais Shehadeh et ses compagnons membres du Comité ont réagi à l’intransigeance gouvernemental en intensifiant leur campagne initiale : en visitant les villages qui allaient être affectés par l’expropriation, en informant les habitants sur les plans et sur les conséquences probables et même en photographiant les lots de terre destinés à la confiscation dont les coordonnées seraient envoyées aux villages afin de pousser les conseils locaux à discuter des plans. « J’allais à des réunions publiques trois ou quatre fois par semaine pour dire aux gens que nous avions l’intention d’organiser une grève si le gouvernement ne nous écoutait pas » se rappelle le pasteur.
Tenant parole, après des semaines de campagne rigoureuse, une grève a finalement été déclarée le 30 mars 1976. N’ayant pas réussi à obtenir la permission de manifester devant la Knesset, le comité a dit à ses partisans d’exprimer leur protestation en restant chez eux et en faisant grève pacifiquement.
Tôt, le matin de la grève, Shehadeh reçu un appel téléphonique l’alertant que le gouvernement avait ordonné aux forces militaires et policières d’entrer dans les villages arabes en grève.
Les habitants ont réagi avec des manifestations spontanées et en lançant des pierres. A la fin de la journée, ce qui avait débuté par une manifestation pacifique dans tout le pays s’est terminé par la mort de six Palestiniens non armés, tombés sous le feu des forces de sécurité israéliennes dans les villages arabes de Sakhnin, Arabeh, Kufr Kanna et Taibeh. Des centaines de citoyens palestiniens israéliens ont été mutilés ou blessés.
Shehadeh pense que le recours de l’état israélien à une confrontation violente face à des manifestants pacifiques ce jour là a été l’exemple tragique de la stratégie à long terme qu’Israël continue à utiliser à ce jour pour contrôler les Palestiniens des deux côtés de la Ligne Verte.
« La politique israélienne a toujours été celle de traiter les Palestiniens avec une poigne de fer » dit-il. « Je sais cela et je l’ai entendu maintes fois même venant de la police. Ils disent : on ne peut vous traiter qu'avec la force. Vous ne savez même pas ce qu'est la démocratie.' Alors c'est comme cela que nous sommes traités » explique-t-il.
Malgré la violence, Shehadeh estime qu'entre 70 et 80% de la société palestinienne en Israël a participé à la grève de 1976 et il cite son ami défunt Saliba Khamis :
Le jour de la Journée de la Terre, le génie est sorti de la bouteille’. »
Dix années après la fin de l’administration militaire imposée aux Arabes en 1948, la Journée de la Terre a marqué le réveil de la confiance politique de la minorité palestinienne.
Aujourd’hui, le jour du 29ème anniversaire de la Journée de la Terre, le plus important dans l’esprit du pasteur sont les saisies de terres que, dit-il, l’état d’Israël continue à faire en Cisjordanie à travers sa construction d’un Mur de Séparation et les divisions que le gouvernement provoque entre les groupes basés sur les confessions différentes dans la communauté palestinienne en Israël.
Néanmoins, l’héritage de la Journée de la Terre et sa valeur commémorative repose non seulement dans le fait que la minorité palestinienne en Israël a été galvanisée pour déclencher une action unifiée contre les politiques discriminatoires de l’état d’Israël mais aussi que cette journée a mis en évidence le sort commun de tous les Palestiniens.
« Sans terres nous n’avons pas de racines dans ce pays » dit Shehadeh. « ` La terre incarne nos racines’. La terre n’est pas seulement un endroit où l’on plante des aubergines et des concombres, c’est notre patrie nationale. Je suis un Palestinien et ceci est ma patrie ».
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