Illustration : Anson Chan pour The Intercept
Un petit groupe de volontaires du secteur technologique israélien travaille sans relâche pour supprimer des contenus qui, selon lui, n’ont pas leur place sur des plateformes comme Facebook et TikTok, en tirant profit de relations personnelles au sein de ces entreprises et d’autres sociétés de Big Tech, pour faire supprimer des messages en dehors des canaux officiels, a déclaré le fondateur du projet à The Intercept.
Le nom du projet, "Iron Truth", renvoie au fameux système d’interception de roquettes "Iron Dome" de l’armée israélienne. Imaginé par Dani Kaganovitch, un ingénieur logiciel de Google basé à Tel-Aviv, Iron Truth affirme que ses canaux de communication officieux avec l’industrie technologique ont permis de supprimer environ 1 000 messages étiquetés par ses membres comme étant faux, antisémites ou "pro-terroristes" sur des plateformes telles que X, YouTube et TikTok.
Dans une interview, M. Kaganovitch a déclaré avoir lancé le projet après l’attaque du Hamas du 7 octobre, lorsqu’il a vu une vidéo sur Facebook qui jetait le doute sur les atrocités présumées du Hamas. "Elle comportait des éléments de désinformation", a-t-il déclaré à The Intercept. "La personne qui a réalisé la vidéo disait qu’il n’y avait pas de bébés décapités, pas de femmes violées et que les 200 corps étaient des faux. Lorsque j’ai vu cette vidéo, j’ai été furieux. J’ai copié l’URL de la vidéo et je l’ai envoyée à une équipe de Meta [la société mère de Facebook], des Israéliens qui travaillent pour Meta, et je leur ai dit que cette vidéo devait être supprimée et ils l’ont effectivement supprimée au bout de quelques jours.
Présenté comme, à la fois, une lutte contre le mensonge et une "lutte pour l’opinion publique", selon un message annonçant le projet sur le profil LinkedIn de Kaganovitch, Iron Truth illustre de manière frappante les périls et les pièges de termes tels que "désinformation" et "mésinformation" en temps de guerre, ainsi que la dérive qu’ils permettent. Le visage public du projet est un bot Telegram qui produit de façon participative des rapports sur des messages "incendiaires", que les organisateurs d’Iron Truth transmettent ensuite à des sympathisants dans la place. "Nous avons des canaux directs avec des Israéliens qui travaillent dans ces grandes entreprises » a déclaré M. Kaganovitch dans un message envoyé le 13 octobre au groupe Telegram Iron Truth. "Il y a des personnes sympathisantes qui s’occupent d’un retrait rapide. » The Intercept a utilisé la fonction de traduction intégrée de Telegram pour examiner les transcriptions des discussions en hébreu.
D’après les fils de discussion examinés par The Intercept, près de 2 000 participants ont, jusqu’à présent, signalé un large éventail de messages à supprimer, allant de contenus clairement racistes ou mensongers à des messages simplement critiques à l’égard d’Israël ou compatissants à l’égard des Palestiniens. "Aux États-Unis, il y a la liberté d’expression", a expliqué M. Kaganovitch. "N’importe qui peut dire n’importe quoi avec de la désinformation. C’est très dangereux, nous le voyons aujourd’hui."
Les intérêts d’un groupe de vérification des faits ou de contre-désinformation travaillant dans le contexte d’une guerre sont liés à l’un ou l’autre belligérant. Leur travail consiste à s’occuper des intérêts de leur camp", explique Emerson Brooking, membre du laboratoire de recherche en criminalistique numérique du Conseil atlantique. "Ils n’essaient pas de garantir un espace en ligne ouvert, sécurisé et accessible à tous, à l’abri de la désinformation. Ils essaient de cibler et de supprimer les informations et la mésinformation qu’ils considèrent comme nuisibles ou dangereuses pour les Israéliens".
Alors que Iron Truth semble avoir souvent confondu la critique ou même la simple discussion de la violence de l’État israélien avec la désinformation ou l’antisémitisme, M. Kaganovitch affirme que son point de vue à ce sujet évolue. "Au début de la guerre, c’était de la colère, la plupart des rapports étaient de la colère" a-t-il déclaré à The Intercept. "Anti-israélien, antisioniste, tout ce qui s’y rapportait était considéré comme faux, même si ça ne l’était pas."
The Intercept n’a pas été en mesure de confirmer de manière indépendante que des employés sympathisants dans des entreprises de la Big Tech répondent aux plaintes du groupe, ni de vérifier que le groupe est derrière la suppression du contenu qu’il s’est attribuée. Le fondateur d’Iron Truth a refusé de communiquer les noms de ses "sympathisants de l’intérieur", déclarant qu’ils ne souhaitaient pas discuter de leurs canaux officieux respectifs avec la presse. En général, "ils ne font pas partie de l’équipe chargée de la politique, mais ils ont des liens avec cette équipe", a déclaré M. Kaganovitch à The Intercept, en faisant référence au personnel des entreprises de médias sociaux qui fixent les règles du discours autorisé . "La plupart d’entre eux sont des chefs de produit, des développeurs de logiciels... Ils travaillent avec les équipes chargées de la politique avec un ensemble d’outils internes pour transmettre des liens et des explications sur les raisons pour lesquelles ils doivent être supprimés." Bien que des entreprises comme Meta collaborent régulièrement avec divers groupes de la société civile et des ONG pour discuter et supprimer des contenus, ces discussions sont généralement menées par leurs équipes officielles chargées de la politique des contenus, et non par des employés de base.
Le compte Telegram d’Iron Truth crédite régulièrement ces supposés contacts de l’intérieur. "Merci à l’équipe de TikTok Israël qui se bat pour nous et pour la vérité", peut-on lire dans un message publié le 28 octobre sur la chaîne Telegram du groupe. "Nous travaillons en étroite collaboration avec Facebook, aujourd’hui nous avons parlé avec plus de cadres supérieurs", peut-on lire dans un autre message publié le 17 octobre. Peu après qu’un membre du chat Telegram se soit plaint que quelque chose qu’il avait posté sur LinkedIn avait attiré des "commentaires incendiaires", le compte Iron Truth a répondu : "Bravo au réseau social LinkedIn qui a recruté une équipe spéciale et a déjà supprimé 60 % du contenu que nous avions signalé."
M. Kaganovitch a déclaré que le projet a aussi des alliés en dehors des annexes israéliennes de la Silicon Valley. Selon lui, les organisateurs d’Iron Truth ont rencontré le directeur d’une unité cyber controversée du gouvernement israélien, et son équipe centrale de plus de 50 bénévoles et 10 programmeurs comprend un ancien membre du Parlement israélien.
"À terme, notre principal objectif est d’amener les entreprises technologiques à faire la différence entre la liberté d’expression et les posts dont le seul but est de nuire à Israël et d’interférer avec les relations entre Israël et la Palestine pour aggraver encore la guerre", a déclaré dans un message WhatsApp, Inbar Bezek, l’ancien membre de la Knesset qui travaille avec Iron Truth à The Intercept.
" Nous avons mis en place, sur l’ensemble de nos produits, des politiques pour atténuer les abus, empêcher les contenus nuisibles et contribuer à la sécurité des utilisateurs. Nous les appliquons de manière cohérente et sans parti pris", a déclaré Christa Muldoon, porte-parole de Google, à The Intercept. "Si un utilisateur ou un employé pense avoir trouvé un contenu qui enfreint ces règles, nous l’encourageons à le signaler par le biais des canaux en ligne dédiés." Mme Muldoon a ajouté que Google "encourage les employés à utiliser leur temps et leurs compétences pour faire du bénévolat pour des causes qui leur tiennent à cœur." Lors d’entretiens avec The Intercept, M. Kaganovitch a souligné qu’il ne travaillait pour Iron Truth que pendant son temps libre et que ce projet était totalement distinct de son travail chez Google le jour.
Le porte-parole de Meta, Ryan Daniels, a réfuté l’idée qu’Iron Truth puisse faire retirer des contenus en dehors des procédures officielles de la plateforme, mais il a refusé de commenter l’affirmation sous-jacente d’Iron Truth d’un canal officieux vers des employés de l’entreprise. "De nombreux contenus que ce groupe prétend avoir fait retirer de Facebook et d’Instagram existent toujours et sont visibles aujourd’hui parce qu’ils ne violent pas nos politiques", a déclaré Daniels à The Intercept dans une déclaration envoyée par courriel. "L’idée que nous supprimons du contenu en fonction des croyances personnelles, de la religion ou de l’appartenance ethnique de quelqu’un est tout simplement inexacte." Daniels a ajouté "Nous recevons des retours sur des contenus potentiellement violents de la part de personnes variées, y compris des employés, et nous encourageons toute personne qui voit ce type de contenu à le signaler afin que nous puissions enquêter et prendre des mesures conformément à nos politiques", notant que les employés de Meta ont accès à des outils internes de signalement de contenu, mais que ce système ne peut être utilisé que pour supprimer les messages qui enfreignent les Standards de la communauté publics de l’entreprise.
Ni TikTok ni LinkedIn n’ont répondu aux questions concernant Iron Truth. X n’a pas pu être joint pour un commentaire.
"Continuez à bombarder !
Bien que la confusion et la récrimination soient des sous-produits naturels de tout conflit armé, Iron Truth a régulièrement utilisé le brouillard de la guerre comme preuve de la désinformation anti-israélienne.
Au début du projet, dans la semaine suivant l’attaque du Hamas, par exemple, les volontaires d’Iron Truth ont été encouragés à trouver et à signaler les messages exprimant un certain scepticisme à l’égard des allégations de décapitation massive de bébés dans un kibboutz israélien. Ils ont rapidement trouvé des messages mettant en doute les rapports annonçant "40 bébés décapités" lors de l’attaque du Hamas, les ont qualifiés de "fake news" (fausses nouvelles) et de "désinformation" et les ont envoyés aux plateformes pour qu’elles les suppriment. Parmi une liste de contenus LinkedIn qu’Iron Truth a dit à ses followers avoir transmise à l’entreprise, on trouve un message demandant des preuves de l’affirmation sur les bébés décapités, classé par le projet dans la catégorie "Terrorisme/Fake".
Pourtant, le scepticisme auquel ils s’attaquaient s’est avéré justifié. Bien que de nombreuses atrocités commises par le Hamas contre les Israéliens le 7 octobre soient incontestables, le gouvernement israélien lui-même a finalement déclaré qu’il ne pouvait pas vérifier l’horrible allégation concernant les bébés décapités. De même, les efforts initiaux d’Iron Truth pour faire cesser la "désinformation" concernant les bombardements d’hôpitaux par Israël contrastent maintenant avec des semaines de frappes aériennes bien documentées contre de nombreux hôpitaux et la mort de centaines de médecins sous les bombes israéliennes.
Le 16 octobre, Iron Truth a partagé une liste de posts Facebook et Instagram qu’elle a revendiqué avoir supprimés, écrivant sur Telegram : "Des choses importantes rapportées aujourd’hui et supprimées. Bon boulot ! Continuez à bombarder !"
Bien que la plupart de ces liens ne fonctionnent plus, plusieurs sont encore actifs. L’un d’eux est une vidéo de Palestiniens gravement blessés dans un hôpital, dont de jeunes enfants, avec une légende accusant Israël de crimes contre l’humanité. Une autre est une vidéo de Mohamed El-Attar, une personnalité canadienne des médias sociaux qui publie sous le nom de "That Muslim Guy". Dans ce message, partagé le lendemain de l’attaque du Hamas, M. El-Attar affirmait que l’assaut du 7 octobre n’était pas un acte de terreur, mais une résistance armée à l’occupation israélienne. Bien que cette déclaration soit sans aucun doute incendiaire pour beaucoup, en particulier en Israël, Meta est censé autoriser ce type de discussion, selon des directives internes rapportées précédemment par The Intercept. Le document interne, qui détaille la politique de l’entreprise en matière d’individus et d’organisations dangereux, cite cette phrase parmi les exemples de discours autorisés : "L’IRA a été poussée à la violence par les pratiques brutales du gouvernement britannique en Irlande."
Bien qu’il soit possible que des posts Meta soient supprimés par les modérateurs puis rétablis, Daniels, le porte-parole, a contesté l’affirmation d’Iron Truth, affirmant que les liens de la liste qui restent actifs n’ont jamais été supprimés. Daniels a ajouté que d’autres liens de la liste avaient effectivement été supprimés parce qu’ils enfreignaient la politique de Meta, mais il a refusé de faire des commentaires sur des messages spécifiques.
Selon leurs propres règles, les principales plateformes sociales ne sont pas censées supprimer un contenus simplement parce qu’il est controversé. Alors que la modération impulsive de simples mentions d’organisations désignées comme terroristes a conduit à une censure injustifiée d’utilisateurs palestiniens et d’autres pays du Moyen-Orient, les politiques de la Big Tech en matière de désinformation sont, sur le papier, beaucoup plus prudentes. Facebook, Instagram, TikTok et YouTube, par exemple, n’interdisent la désinformation que lorsqu’elle risque de causer un préjudice physique, comme les remèdes à base d’huile de serpent pour le Covid-19, ou les messages destinés à interférer avec des fonctions civiques telles que les élections. Aucune des plateformes visées par Iron Truth n’interdit les discours simplement "incendiaires" ; en effet, une telle politique signifierait probablement la fin des médias sociaux tels que nous les connaissons.
Pourtant, les règles de modération des contenus sont connues pour être conçues de manière vague et appliquées de manière erratique. Meta, par exemple, affirme interdire catégoriquement l’incitation à la violence et vante les mérites de diverses technologies basées sur l’apprentissage automatique pour détecter et supprimer ce type de discours. Le mois dernier, cependant, The Intercept a rapporté que l’entreprise avait approuvé des publicités Facebook appelant à l’assassinat d’un éminent défenseur des droits des Palestiniens, ainsi que des appels explicites au meurtre de civils à Gaza. Sur Instagram, des utilisateurs laissant des commentaires avec des émojis du drapeau palestinien ont vu leurs réponses disparaître de manière inexplicable. Selon sa base de données publique, 7amleh, une organisation palestinienne de défense des droits numériques qui a un partenariat officiel avec Meta sur les questions d’expression, a recensé plus de 800 cas de censure injustifiée sur les médias sociaux depuis le début de la guerre.
La désinformation subjective
Lors d’une interview M. Kaganovitch a reconnu "Il est vraiment difficile d’identifier la désinformation", en concédant que ce qui est considéré comme une conspiration aujourd’hui peut être corroboré demain, et en signalant que selon un rapport récent de Haaretz, un hélicoptère des Forces de défense israéliennes pourrait avoir tué par inadvertance des Israéliens le 7 octobre, en tirant sur le Hamas.
Tout au long du mois d’octobre, Iron Truth a fourni une liste de mots-clés suggérés aux volontaires du groupe Telegram du projet, à utiliser lorsqu’ils recherchent des contenus à signaler au bot. Certains de ces termes, comme "Kill Jewish" (Tuez les Juifs) et "Kill Israelis" (Tuer les Israéliens), appartenaient à des contenus qui allaient manifestement à l’encontre des règles des principales plateformes de médias sociaux, qui interdisent uniformément l’incitation explicite à la violence. D’autres reflétaient des positions qui pourraient à juste titre offenser les utilisateurs israéliens de médias sociaux encore sous le choc de l’attaque du Hamas, comme "Nazi flag israel" (drapeau nazi israélien).
Mais beaucoup d’autres comprenaient des termes utilisés couramment dans la couverture médiatique ou dans les discussions générales sur la guerre, en particulier en référence au bombardement brutal de la bande de Gaza par Israël. Certaines de ces expressions – dont "Israël bombarde l’hôpital", "Israël bombarde les églises", "Israël bombarde les organisations humanitaires" et "Israël commet un génocide" - ont été suggérées comme des mots-clés de désinformation, alors que l’armée israélienne était accusée de manière crédible d’avoir commis ces mêmes actes. Bien que certaines allégations à l’encontre du Hamas et des FDI aient été et continuent d’être âprement contestées - notamment celle de savoir qui a bombardé l’hôpital arabe d’Al-Ahli, le 17 octobre - Iron Truth a régulièrement traité les affirmations contestées de "fake news", en contradiction avec le type d’analyse ou de discussion souvent nécessaire pour parvenir à la vérité.
Même les mots "Israël a menti" ont été suggérés aux volontaires d’Iron Truth au motif qu’ils pourraient être utilisés dans de "faux messages". Le 16 octobre, deux jours après qu’une frappe aérienne israélienne a tué 70 Palestiniens qui évacuaient le nord de Gaza, un membre du groupe Telegram a partagé un TikTok contenant des images de l’un des convois bombardés. Il a ajouté "Ce message doit être supprimé, c’est un mensonge vraiment pénible et il a un niveau d’exposition de folie". Une minute plus tard, le compte administrateur d’Iron Truth a encouragé ce membre à signaler ce message à son robot.
Bien que The Intercept ne soit pas en mesure de voir quels liens ont été soumis au robot, les transcriptions de Telegram montrent que l’administrateur du groupe encourage fréquemment les utilisateurs à signaler les messages accusant Israël de génocide ou d’autres crimes de guerre. Quand un membre du chat a partagé un lien vers un post Instagram affirmant "IL Y A EU un génocide depuis la Nakba en 1948, lorsque les Palestiniens ont été chassés de force de leur terre par Israël avec le soutien de la Grande-Bretagne, et il s’est poursuivi pendant les 75 dernières années avec l’argent des contribuables américains", l’administrateur du groupe les a encouragés à signaler le post au robot dans les trois minutes. Des liens vers des allégations similaires de crimes de guerre israéliens émanant de personnalités telles que le populaire streamer Hasan Piker, le président colombien Gustavo Petro, le psychologue Gabor Maté et une variété d’utilisateurs obscurs et ordinaires des médias sociaux ont reçu le même traitement.
Iron Truth a admis que son prétendu canal officieux a des limites : "Ce n’est pas immédiat malheureusement, les choses passent par une chaîne de personnes en chemin", a expliqué Kaganovitch à un membre du groupe Telegram qui se plaignait qu’un message qu’il avait signalé était toujours en ligne. "Il y a des entreprises qui mettent en œuvre plus rapidement et d’autres qui travaillent plus lentement. Il y a une une pression interne des Israéliens dans les grandes entreprises pour accélérer les signalements et la suppression des contenus. Nous sommes en contact permanent avec eux 24 heures sur 24, 7 jours sur 7."
Depuis le début de la guerre, les utilisateurs de médias sociaux à Gaza et ailleurs se sont plaints que du contenu était censuré malgré l’absence de violation manifeste des politiques d’une entreprise donnée, un phénomène bien documenté longtemps avant le conflit actuel. Toutefois, M. Brooking, du Conseil atlantique, souligne qu’il peut être difficile de déterminer le processus qui a conduit à la suppression d’un message sur un média social donné. "Il est presque certain qu’il y a des gens dans les entreprises technologiques qui sont réceptifs à une organisation de la société civile comme celle-ci et qui travailleront avec elle" a-t-il déclaré. "Mais il y a un fossé considérable entre le fait de revendiquer ces contacts dans les entreprises technologiques et le fait d’avoir une influence majeure sur la prise de décision de ces entreprises."
Iron Truth a également trouvé des cibles au delà des médias sociaux. Le 27 novembre, un volontaire a partagé un lien vers NoThanks, une application Android qui aide les utilisateurs à boycotter les entreprises liées à Israël. Le compte administrateur d’Iron Truth a rapidement indiqué que la plainte avait été transmise à Google. Quelques jours plus tard, Google a retiré NoThanks de son catalogue d’applications, mais l’application a été rétablie par la suite.
Le groupe s’en est également pris aux efforts de collecte de fonds pour Gaza. "Ces mignons collectent de l’argent" a déclaré un volontaire en partageant un lien vers le compte Instagram de Medical Aid for Palestinians. Là encore, l’administrateur d’Iron Truth a rapidement réagi, affirmant que le message avait été "transféré" en conséquence.
Mais Kaganovitch dit que sa réflexion sur le sujet du génocide israélien a évolué. "J’ai un peu changé d’avis pendant la guerre" explique-t-il. Bien qu’il ne soit pas d’accord sur le fait qu’Israël commettrait un génocide à Gaza, où le nombre de morts a dépassé les 20 000, selon le ministère de la santé de Gaza, il comprend que d’autres puissent le penser. "Le génocide, j’ai cessé de le rapporter vers la troisième semaine [de la guerre]."
Plusieurs semaines après son lancement, Iron Truth a partagé une infographie sur sa chaîne Telegram, demandant à ses followers de ne pas transmettre des messages simplement antisionistes. Mais OCT7, un groupe israélien qui "surveille le web social en temps réel [...] et guide les guerriers numériques", cite Iron Truth comme l’une de ses organisations partenaires, aux côtés du ministère israélien des affaires de la diaspora, et cite les "préjugés antisionistes" comme comme faisant partie du "défi" contre lequel il "se bat".
Malgré les tentatives occasionnelles d’Iron Truth de contenir ses volontaires et de les focaliser sur la recherche de messages qui risquent de violer réellement les règles de la plateforme, il s’est avéré difficile de mettre tout le monde d’accord. Les transcriptions des discussions montrent que de nombreux volontaires d’Iron Truth font l’amalgame entre la défense de la cause palestinienne et le soutien matériel au Hamas ou qualifient la couverture médiatique de "mésinformation" ou de "désinformation", des termes toujours vagues dont la signification est encore plus diluée en temps de guerre et de crise.
"Au fait, ça ne serait pas mal de passer en revue les profils des employés [des Nations unies], la majorité d’entre eux sont des locaux et ils soutiennent tous les terroristes" a recommandé un adepte en octobre. "Les amis, si quelqu’un collecte des fonds pour Gaza, signalez son profil !" a déclaré un autre membre du groupe Telegram, en renvoyant au compte Instagram d’une influenceuse beauté basée à New York. "Signalez ce profil, c’est quelqu’un que j’ai rencontré lors d’un voyage et il s’avère qu’elle est complètement pro-palestinienne !" a ajouté le même utilisateur plus tard dans la journée. Les comptes sur les médias sociaux de la journaliste palestinienne Yara Eid, du photojournaliste palestinien Motaz Azaiza et de nombreuses autres personnes impliquées dans la défense des droits humains des Palestiniens ont également été signalés par des volontaires d’Iron Truth pour avoir prétendument diffusé de "fausses informations".
Iron Truth a parfois eu du mal avec ses propres followers. Lorsque l’un d’entre eux a proposé de signaler un lien concernant des frappes aériennes israéliennes au poste frontière de Rafah entre Gaza et l’Égypte, le compte administrateur a souligné que les FDI avaient effectivement mené ces attaques, et a vivement incité le groupe : "Concentrons-nous sur la désinformation, nous ne combattons pas les médias". À une autre occasion, l’administrateur a découragé un utilisateur de signaler une page appartenant à un organe de presse : "Quel est le problème avec ça ?" a-t-il demandé ; remarquant que ce média "n’était pas pro-israélien, mais y a-t-il une "fake news" ?"
Mais les normes d’Iron Truth semblent souvent confuses ou contradictoires. Lorsqu’un volontaire a suggéré de s’en prendre à B’Tselem, une organisation israélienne de défense des droits de l’Homme qui milite contre l’occupation militaire du pays et la répression générale des Palestiniens, l’administrateur a répondu : "Avec tout le respect que je vous dois, B’Tselem publie en effet du contenu pro-palestinien et cela nous a également été signalé et a été transmis à la personne appropriée. Mais B’Tselem, ce n’est pas un robot du Hamas ou un soutien du terrorisme, nous avons des dizaines de milliers de messages à traiter".
Des amis haut placés
Bien qu’Iron Truth soit en grande partie un sous-produit de l’économie technologique florissante d’Israël - le pays héberge de nombreux bureaux régionaux de géants américains de la technologie - il revendique également le soutien du gouvernement israélien.
Le fondateur du groupe affirme que les dirigeants d’Iron Truth ont rencontré Haim Wismonsky, directeur de l’unité cybernétique controversée du bureau du procureur de l’État israélien. Alors que la Cyber Unit prétend lutter contre le terrorisme et divers délits cybernétiques, ses critiques affirment qu’elle est utilisée pour censurer les critiques indésirables et les points de vue palestiniens, en relayant des milliers et des milliers de demandes de retrait de contenu. La Big Tech américaine s’est montrée largement disposée à accepter ces demandes : un rapport du ministère israélien de la justice de 2018 indique un taux d’exécution de 90 % sur l’ensemble des plateformes de médias sociaux.
À la suite d’une présentation en présentiel à la Cyber Unit, les organisateurs d’Iron Truth sont restés en contact et ils transmettent parfois au bureau les liens qu’ils ont besoin d’aider à supprimer, a déclaré M. Kaganovitch. "Ils nous ont demandé de surveiller Reddit et Discord, mais Reddit n’est pas vraiment populaire ici en Israël, alors nous nous concentrons sur les grandes plateformes pour l’instant."
Wismonsky n’a pas répondu à une demande de commentaire.
M. Kaganovitch a indiqué que Mme Bezek, ancienne membre de la Knesset, "nous aide pour les relations diplomatiques et gouvernementales". Dans une interview, Mme Bezek a confirmé son rôle et a corroboré les affirmations du groupe, déclarant que si Iron Truth avait des contacts avec "de nombreux autres employés" dans des entreprises de médias sociaux, elle n’était pas impliquée dans cet aspect du travail du groupe, ajoutant : "J’ai pris sur moi d’être plutôt comme la connexion législative et juridique."
"Ce que nous faisons quotidiennement, c’est que nous avons quelques groupes de personnes qui ont des profils de médias sociaux dans différents médias - LinkedIn, X, Meta, etc. - et si l’un d’entre nous trouve du contenu antisémite ou des propos haineux à l’encontre d’Israël ou des Juifs, nous en informons les autres membres du groupe, et quelques personnes font en même temps un rapport aux entreprises de technologie", a expliqué Mme Bezek.
Jusqu’à présent, l’action gouvernementale de Mme Bezek a consisté à organiser des réunions avec le ministère israélien des affaires étrangères et les "ambassadeurs européens en Israël". Mme Bezek a refusé de nommer les politiciens israéliens ou le personnel diplomatique européen concernés, car leurs communications se poursuivent. Ces réunions ont aussi porté sur des allégations de "campagnes antisémites et anti-israéliennes" parrainées par des États étrangers, dont Bezek dit qu’Iron Truth recueille des preuves dans l’espoir de faire pression sur les Nations unies pour qu’elles agissent.
Iron Truth a également collaboré avec Digital Dome, une initiative bénévole similaire menée par l’organisation israélienne FakeReporter contre la désinformation, qui aide à coordonner le signalement massif de contenus indésirables sur les médias sociaux. Le fonds d’investissement israélo-américain J-Ventures, qui aurait travaillé directement avec les FDI pour promouvoir les intérêts militaires israéliens, a fait la promotion d’Iron Truth et de Digital Dome.
FakeReporter n’a pas répondu à une demande de commentaire.
Alors que la plupart des efforts de contre-désinformation trahissent un certain régionalisme géopolitique, Iron Truth est ouvertement nationaliste. Un article paru le 28 octobre dans le populaire site d’information israélien Ynet - "Vous voulez contribuer à la diplomatie publique ? Voici comment commencer" - citait le robot Telegram comme exemple de la manière dont les Israéliens ordinaires pouvaient aider leur pays, en notant que : "En l’absence d’un ministère de l’Information opérationnel, les Israéliens et Israéliennes espèrent pouvoir influencer, ne serait-ce qu’un peu, la caisse de résonance sur le net." Une mention dans le site d’information financière israélien BizPortal a décrit Iron Truth comme luttant contre "les contenus faux et incitatifs contre Israël".
Iron Truth est "un rappel puissant que ce sont toujours des personnes qui dirigent ces entreprises en fin de compte", a déclaré M. Brooking. "Je pense qu’il est naturel d’essayer de créer ces groupes coordonnés de signalement lorsque vous pensez que votre pays est en guerre ou en danger, et il est naturel d’utiliser tous les outils à votre disposition, y compris le langage de la désinformation ou de la vérification des faits, pour essayer de supprimer autant de contenu que possible si vous pensez qu’il est dangereux pour vous ou pour les personnes que vous aimez."
Selon M. Brooking, le véritable risque ne réside pas dans le canal officieux, mais dans la mesure dans laquelle les entreprises qui contrôlent la parole de milliards de personnes dans le monde acceptent que du personnel puisse arbitrairement contrôler l’expression. "S’il s’agit d’examiner un contenu en contournant les équipes chargées de la confiance et de la sécurité, les politiques permanentes, les politiques auxquelles ces entreprises consacrent beaucoup de travail, c’est un problème", a-t-il déclaré.
Traduction : AFPS