Lundi 17 mars 2008
Je suis rentré samedi matin d’un séjour de dix jours à Jérusalem et à Ramallah où j’ai rencontré de nombreux Palestiniens et Israéliens. Je suis rentré convaincu plus que jamais que la solution à deux Etats était bel et bien morte. L’armée israélienne n’est absolument pas disposée à modifier la situation sur le terrain en renonçant à la domination qu’elle y exerce. En réalité, plusieurs Israéliens m’ont dit qu’un nombre croissant d’officiers de l’armée israélienne servant dans les territoires occupés habitent dans les colonies et font tout ce qu’ils peuvent pour éviter tout démantèlement de barrages ou d’autres barrières. Le responsable d’une organisation israélienne respectable m’a dit que le conseiller pour la Cisjordanie de l’ancien Ministre de la défense Amir Peretz disait que l’armée israélienne fait tout ce qu’elle peut pour empêcher toute évolution positive sur le terrain par la Feuille de Route et la mission de Tony Blair. Le conseiller de Peretz a déclaré que l’armée israélienne avait recruté des jeunes Palestiniens de Naplouse pour leur faire tenter de passer le point de contrôle de Hawara porteurs d’une ceinture explosive. Ils ont été interceptés (puisqu’il s’agissait d’un coup monté), l’armée a fait grand bruit autour de leur arrestation et en a tiré argument pour justifier la poursuite du siège de Naplouse. Les jeunes gens ont été libérés peu de temps après leur arrestation.
Le bureau du Coordinateur des Nations unies pour les Affaires humanitaires dispose de vraiment la meilleure – et aussi la plus décourageante – représentation que j’ai vue de la situation en Cisjordanie, situant sur une carte des villages et des villes palestiniennes des zones a, b et c, des zones militaires interdites, des réserves naturelles déclarées israéliennes, la barrière de séparation, les colonies avec leur plan directeur de développement, le réseau routier israélien de desserte des colonies, les barrières et les barrages – qui, ensemble, rendent 40% de la Cisjordanie inaccessible aux Palestiniens. Lorsque l’on examine cette représentation et que l’on voit le degré de morcellement et de cloisonnement atteint par la Cisjordanie, et comment Jérusalem-Est est presque complètement encerclée par des colonies israéliennes, on ne peut pas imaginer qu’un Etat palestinien viable puisse jamais exister.
Il y a un sentiment de désespoir chez presque chacun des Palestiniens avec qui je me suis entretenu. Ils ne voient aucune disposition chez les Israéliens à s’engager dans des pourparlers significatifs sur un statut final. En fait, disent-ils, les pourparlers sont au point mort, tandis que l’expansion des colonies se poursuit à un rythme soutenu et accéléré. Des projets de nouveaux ensembles d’habitations sont approuvés presque tous les jours, non seulement à Jérusalem-Est mais ailleurs en Cisjordanie. Aucune construction palestinienne n’est autorisée en zone c, quelle qu’en soit la destination, même si les Palestiniens sont propriétaires du terrain depuis des générations. L’armée israélienne démolit toute construction faite par des Palestiniens en zone c. La Cisjordanie est maintenant vraiment morcelée par des points de contrôle, des routes réservées aux Israéliens, des zones militaires interdites et des “postes frontières” permanents – comme des terminaux tout autour des principales villes palestiniennes. Quelqu’un qui transporte des produits depuis ou vers Naplouse, par exemple, doit décharger et recharger ses camions au moins deux fois pour chaque voyage.
L’armée israélienne a pris des mesures autoritaires encore plus contraignantes sur la vie quotidienne des Palestiniens. Nabil Kassis, le président de l’université Bir Zeit, m’a dit qu’il ne lui a pas été possible de faire appel à des enseignants étrangers pour son université depuis plusieurs années. Les Israéliens refusent d’accorder des permis de travail à des enseignants étrangers. Dans le passé, les étrangers pouvaient obtenir un visa de trois mois au point d’entrée israélien et, au bout de trois mois, il leur suffisait de se rendre pour un jour ou deux en Jordanie ou ailleurs pour obtenir à nouveau un visa de trois mois à leur retour. Les israéliens ont mis fin à cette pratique, rendant les choses encore plus difficiles pour quiconque en Cisjordanie dépasse l’échéance de son visa.
Je n’ai trouvé aucun Palestinien qui ait quelque chose de positif à dire à propos de la mission de Tony Blair. Un Palestinien impliqué dans les négociations a déclaré que Blair vient deux ou trois jours par mois et passe seulement deux heures avec les Palestiniens. Sur le terrain ils ne voient aucune évolution positive comme résultat de ses efforts. Je me suis laissé dire qu’un représentant du Département d’État allait prochainement rejoindre la mission Blair comme chef de délégation. Un plaisantin a cruellement commenté la chose en disant que son affectation constituait l’exemple rare d’un rat sautant à bord d’un navire qui coule.
La situation à Gaza est vraiment horrible et au bord du désastre humanitaire. L’UNRWA (Office de Secours et de Travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche Orient) déclare qu’au moins 80% de la population de Gaza dépend de l’aide alimentaire pour bénéficier du strict minimum quotidien de calories. L’UNRWA ne fournit que 60% des besoins alimentaires aux réfugiés auxquels il distribue des colis de nourriture et est tributaire d’une économie en état de fonctionnement pour apporter le reste. Mais l’économie à Gaza est à la limite de l’effondrement. Le taux de chômage dépasse 50% et s’accroît. De nombreuses entreprises ont fermé complètement et ont licencié leur personnel parce qu’elle ne peuvent plus s’approvisionner ni expédier leur production.
Le secteur agricole est en train de s’effondrer. L’armée israélienne ne permet d’entrer aucun engrais à Gaza, aucun aliment pour volailles, très peu de carburant, pas de pièces de rechange pour les alimentations en eau et les systèmes d’évacuation ; elle coupe de plus en plus l’alimentation en électricité. Au moins 40% de la ville de Gaza est en permanence privée d’électricité et la situation est encore pire dans d’autres parties de la Bande de Gaza. Les Palestiniens évacuent des dizaines de milliers de mètres cubes d’eaux usées non traitées dans la Méditerranée parce que les usines de traitement sont hors d’état. Il y a un énorme réservoir d’eaux usées dans le nord de la Bande de Gaza qui risque d’inonder des villages à tout moment. La nappe phréatique est de plus en plus polluée (sa salinité s’accroît depuis quelques temps). L’eau potable est de moins en moins traitée du fait de la détérioration du système de traitement faute de pièces de rechange, ce qui crée un risque de pandémie.
En général, les Palestiniens reconnaissent que c’est seulement la communauté internationale qui évite à Gaza de s’effondrer complètement, mais ils conservent peu d’espoir de voir la communauté internationale faire beaucoup pour améliorer la situation. Et ils considèrent que l’administration Bush aligne totalement sa position sur celle d’Israël pour punir Gaza et qu’elle répugne à faire quoi que ce soit pour convaincre Israël de réduire sa pression sur Gaza. On m’a raconté une anecdote qui résumait l’impuissance des États Unis face à Israël. Le consulat à Jérusalem a envoyé un Palestinien de Gaza aux États Unis avec une bourse Fullbright. L’étudiant palestinien est revenu à Amman depuis un an mais il n’a pas pu rentrer à Gaza. Les États-Unis l’ont installé dans un hôtel à Amman et lui payent des indemnités journalières depuis près d’un an. Sa situation me rappelle le film de Tom Hanks, “The Terminal”, où quelqu’un reste reste bloqué à l’aéroport Kennedy pendant un an parce que son pays avait cessé d’exister.
Il semble vraisemblable que tôt ou tard, l’armée israélienne entrera en force à Gaza pour tenter de détruire le gouvernement du Hamas et son infrastructure, ce qui aggravera encore la situation humanitaire, sans compter de lourdes pertes en vies humaines. Malgré la situation catastrophique à Gaza, aucun des Palestiniens avec qui je me suis entretenu ne pensait que le Hamas courait le moindre risque d’être renversé. Deux années après les élections législatives de 2006 le Fatah n’a pas fait grand chose, voire rien, pour redorer son blason,.
Il est difficile de savoir ce qui va se produire à l’expiration du mandat de Mahmoud Abbas en janvier 2009. Un Palestinien m’a dit que la Présidence réfléchissait à un projet de loi électorale qui serait promulguée par un décret présidentiel puisque l’Assemblée Législative ne s’est pas réunie depuis plus d’un an (et ne peut pas se réunir). Il est intéressant de noter que ce projet de loi stipule que les élections législatives et présidentielles se tiendraient en 2010, accordant ainsi une année de plus en fonction à Abou Mazen. Je ne sais pas si cela est vrai ou non, mais tant pis pour l’insistance de l’administration Bush sur la démocratie. Les Palestiniens avec lesquels je me suis entretenu ne voyaient, de toute façon, aucune possibilité de tenir des élections, compte tenu de la séparation entre la Cisjordanie et Gaza. Et des élections tenues seulement en Cisjordanie (et peut-être Jérusalem-Est) ne bénéficieraient d’aucune crédibilité.
Les Palestiniens considèrent que Salim Fayyad leur est imposé par l’administration Bush. Certains membres du Fatah se montraient critiques à l’égard de Fayyad, sans doute parce que le Fatah ne bénéficie plus des fonds publics. D’autres Palestiniens louaient ses efforts mais estimaient que si ni les États Unis ni Israël (et dans une mesure bien moindre les autres membres du Quartet) ne faisaient grand chose pour assurer la réussite de Fayyad, que peut-on espérer ?
Je suis allé pour la première fois à Gaza et en Cisjordanie il y a quinze ans et j’y suis retourné régulièrement depuis, mais ceci était ma première visite depuis 14 mois. Je pense à chaque fois que la situation ne pourrait pas empirer, du moins depuis l’an 2000 et le déclenchement de la seconde intifada, mais d’une façon ou d’une autre elle empire. Je suis convaincu que les conditions sur le terrain seront bien pires lors de ma prochaine visite.