Pourquoi avez-vous demandé à Anne Hidalgo, Maire de Paris, d’annuler l’événement Tel-Aviv sur Seine qui doit se dérouler ce jeudi ?
Nous dénonçons une opération de communication masquée derrière une image prétendument positive de Tel-Aviv pour essayer de faire oublier la politique israélienne vis à vis du peuple palestinien. Nous dénonçons également son caractère indécent, un an seulement après les massacres de Gaza, et quelques jours après l’agression criminelle contre une famille palestinienne. Cette opération arrive aussi au moment où la politique israélienne est de plus en plus rejetée, où le ton monte, même au niveau de l’Union européenne...
Anne Hidalgo a publié une tribune dans Le Monde pour défendre Tel-Aviv Plage. Elle y indique notamment que Tel-Aviv est "la première ville d’opposition" et que, "même dans le contexte enlisé et violent du conflit israélo-palestinien, Tel-Aviv reste une ville ouverte à toutes les minorités, y compris sexuelles, créative, inclusive, en un mot une ville progressiste, détestée à ce titre en Israël par tous les intolérants". Qu’en pensez-vous ?
L’image de Tel-Aviv prétendument libérale est mise en avant pour "blanchir" l’image d’Israël. Tel-Aviv est une ville qui manifestement ne se laisse pas intimider par les religieux et fait preuve de tolérance sur le plan des moeurs. Il y a probablement une joie de vivre à Tel-Aviv pour ceux qui peuvent se le permettre mais surtout une grande inconscience. A quelques kilomètres de là se trouvent le mur et la bande de Gaza. Cette vitrine est parfois utilisé de manière indécente : en 2013, le premier couple homosexuel marié en France a été invité, tous frais payés à Tel-Aviv... alors même que le mariage civil n’existe pas en Israël !
Le mouvement LGBT (Lesbiennes, gays, bisexuels, transgenres) lui-même n’apprécie pas forcément cette instrumentalisation. Les Anglo-saxons parlent de "pink washing" ("blanchiment gay") ; certains activistes en Angleterre, aux Etats-Unis ou en Allemagne ont signifié leur refus d’en être complices.
Certains artistes prennent aussi leurs distances. En 2012, plusieurs d’entre eux ont refusé de participer à La Nuit blanche de Tel-Aviv, une manifestation culturelle. Ils refusaient d’être utilisés pour retaper l’image du gouvernement Netanyahu, faire oublier la colonisation et le refus de l’Etat juif de se conformer au droit international.
Dire que Tel-Aviv est une ville d’opposition est faux. C’est la capitale, économique et politique, de l’Etat d’Israël, pour tous les gouvernements qui ne reconnaissent pas l’annexion de Jérusalem. Certes, le maire de Tel-Aviv est travailliste, mais ce parti n’est pas opposé à la colonisation ; il a régulièrement gouverné en coalition avec le Likoud, qui se situe à l’extrême droite, si l’on applique critères politiques français. Et c’est sous Ehud Barak, Premier ministre travailliste, que la colonisation s’est le plus accrue. En outre, je n’ai trouvé aucune déclaration du maire de Tel-Aviv condamnant la colonisation ou les massacres.
Anne Hidalgo met en avant les manifestations tenues à Tel Aviv en réaction au meurtre du bébé palestinien. Mais les activistes israéliens présents sur place ont eux-même regretté la faible affluence de ce rassemblement.
L’association CAPJPO-Europalestine appelle à manifester si cet événement "obscène" n’est pas annulé. Allez-vous rejoindre cette manifestation ?
L’Association France Palestine solidarité, comme d’autres organisations, milite pour que Tel Aviv sur Seine soit annulé. Nous ne rejoindrons pas le rassemblement de la CAPJPO. Nous ne travaillons pas avec cette association. Nous n’avons pas appelé à un rassemblement en tant que tel. Notre bataille a été menée sur Internet. La pétition demandant l’annulation de Tel Aviv sur Seine a recueilli plus de 23 000 signatures.
Si l’événement a tout de même lieu, nous avons prévu d’aller à la rencontre des Parisiens sur place, afin d’expliquer nos positions, tout en restant dans la tonalité attendue de ce qu’est Paris plages. Nous serons attentifs et saurons dénoncer les provocations si elles ont lieu.
Pourquoi le conflit israélo-palestinien provoque-t-il toujours autant de réactions en France ?
Il y a plusieurs raisons à cela. D’abord, les pays occidentaux, à travers l’ONU naissante, sont responsables, depuis le début, de ce conflit. Il n’aurait pas atteint un tel niveau de blocage sans le laissez-faire de l’Occident. D’autres conflits dramatiques existent ailleurs, mais nous en portons moins la responsabilité.
Ensuite, les prises de positions de notre gouvernement qui vole souvent au secours des dirigeants israéliens, comme l’été dernier, lors des massacres à Gaza, contribuent à attiser les tensions. Enfin, beaucoup de Français ont eu l’occasion d’aller en Palestine, ils ont pu se rendre compte de ce qui s’y passe ; quand on rencontre et commence à connaître les Palestiniens, on n’a pas envie de les laisser tomber...
On peut aussi remonter plus loin dans le temps pour comprendre ce phénomène. Pétris de mauvaise conscience face à la période sombre de leur histoire où rares ont été ceux qui se sont opposés au régime nazi, une partie des Français évacuent cette culpabilité par un soutien inconditionnel à Israël. L’histoire coloniale mal digérée de la France a par ailleurs donné naissance, dans une partie de la population à un racisme anti-arabe inadmissible. Certains sites communautaires juifs sont des concentrés de racisme anti-arabe. Nous nous opposons à cela. La communauté juive de France a intérêt à sortir au plus vite de ces amalgames et à se démarquer clairement de la politique israélienne. Le combat pour les droits du peuple palestinien est un combat pour la justice. Il concerne la société française dans son ensemble.