La transition avant l’investiture de Barack Obama à Washington, le 20 janvier 2009, s’accompagne d’une nouvelle série de spéculations qui ravivent les inquiétudes sur les intentions d’Israël à l’égard de l’Iran. Deux informations récentes largement diffusées dans la presse israélienne rappellent la persistance du risque de conflit entre les deux Etats. La première souligne que Téhéran a procédé, le 12 novembre, à un nouveau test de missile balistique de moyenne portée capable d’atteindre des cibles dans toute la région. La seconde, parue le 26 novembre, reprend les déclarations de Téhéran selon lesquelles les Iraniens seraient en possession de 5 000 centrifugeuses d’enrichissement d’uranium.
On parle beaucoup des nouveaux missiles iraniens, tant en Israël qu’aux Etats-Unis. D’après Uzi Rubin, fondateur de l’Association israélienne de défense contre les missiles (IMDA), le nouveau missile iranien Sajeel-Ashura est bien plus avancé que tous les modèles précédents. Pour ajouter au malaise d’Israël, Ehoud Barak, le ministre de la Défense, a déclaré à la Knesset le 24 novembre que le Hezbollah [fidèle allié libanais de l’Iran] disposait de 42 000 missiles, soit trois fois plus que ce dont il disposait à l’époque de la guerre de juillet-août 2006. En outre, les stratèges militaires israéliens estiment que l’Iran pourrait rapidement abandonner ses ambitions nucléaires civiles actuelles. Certains analystes occidentaux – souvent proches du camp des faucons – affirment que le pays disposera bientôt de suffisamment d’uranium faiblement enrichi pour le faire passer en cascade dans ses centrifugeuses et l’enrichir dans le but d’obtenir suffisamment de matériau pour fabriquer une bombe atomique rudimentaire. Pour Israël, voir l’Iran se doter de l’arme nucléaire est en soi une idée intolérable. De plus, cela risque de provoquer une prolifération des capacités nucléaires dans la région, en Arabie Saoudite, en Turquie, en Egypte, voire en Syrie. Cette évolution pourrait certes s’étendre sur une période de vingt à trente ans, mais, en termes de sécurité, cette échéance ne paraît pas si lointaine aux yeux des militaires israéliens.
On ignore si l’Iran possède véritablement la technologie lui permettant de produire effectivement une telle arme, et certains ont affirmé que ses stocks de minerai d’uranium sont tellement contaminés de métaux lourds que la bombe qui en résulterait ne serait pas opérationnelle. Mais rien n’est sûr. De toute façon, il lui faudrait quand même des années pour produire un arsenal nucléaire susceptible de servir des objectifs militaires. Rien n’indique que l’Iran entende se lancer dans cette voie. Du point de vue israélien, en revanche, le fait que l’Iran soit en possession d’une arme nucléaire même "inefficace" représente un symbole politiquement lourd qui pèsera tant sur la politique intérieure israélienne que sur son statut de puissance militaire régionale. En un sens, aucune de ces évolutions à court terme n’a autant d’importance que l’inquiétude qui agite les militaires israéliens. Ceux-ci craignent que les Iraniens ne s’emploient à développer leur infrastructure nucléaire civile, en construisant de nouvelles centrales nucléaires (six sont prévues après Bushehr), des réacteurs destinés à la recherche et des usines d’enrichissement. Cela leur permettrait d’acquérir en définitive un savoir-faire suffisant pour développer des armes nucléaires au moment qui leur semblera bon dans les dix ans à venir.
L’économie iranienne en péril
Ce scénario du pire s’inscrit dans un contexte politique qui touche à la fois l’Iran et les Etats-Unis. Au cours des dernières années, le pouvoir s’est concentré à Téhéran entre les mains de l’ayatollah Ali Khamenei, le vieux guide suprême. Malgré son discours populiste antisioniste, le président Mahmoud Ahmadinejad n’est rien d’autre qu’un pantin, mais il préside un pays dont l’économie, en chute libre, combine une inflation galopante et une crise budgétaire qui s’est aggravée avec la chute des prix du pétrole. Le président de l’Iran doit faire face à une élection présidentielle en juin 2009, et il n’est pas du tout sûr que Khamenei le soutiendra. Ce dernier pourrait lui préférer un autre "jeune héros". Si Mahmoud Ahmadinejad n’est pas réélu et si l’administration Obama est prête à entamer le dialogue avec Khamenei, cela s’apparente à un scénario cauchemardesque aux yeux des militaires israéliens : un Hezbollah réarmé et une détente des relations américano-iraniennes, pendant que les Iraniens augmentent leur capacité de "faire tout péter" à court terme.
Tout cela ne suffirait pas à rendre une attaque israélienne sur les installations nucléaires iraniennes imminente, mais il faut prendre en compte deux autres considérations. La première, c’est que l’armée israélienne, malgré toute sa puissance supposée, a été tenue en échec par le Hezbollah dans le sud du Liban durant la guerre de l’été 2006. En conséquence, elle désire profondément reconquérir son statut de puissance militaire. La seconde, c’est qu’une attaque israélienne contre les installations nucléaires iraniennes n’aurait pas pour but de les détruire complètement, car les forces aériennes israéliennes ne sont tout simplement pas assez puissantes pour y parvenir ; il s’agirait plutôt de provoquer une réaction militaire iranienne contre Israël, mais aussi contre les forces américaines déployées dans la région, en particulier en Irak. Cela entraînerait les Etats-Unis dans la guerre, ce qui affaiblirait sérieusement les capacités militaires iraniennes, installations nucléaires comprises.
*Spécialiste des questions de sécurité et professeur à l’université de Bradford
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