L’enquête, menée par le Centre arabe pour la promotion des médias sociaux (7amleh), a permis de déterminer dans quelle mesure les Palestiniens connaissent et comprennent les questions liées aux droits numériques, notamment la vie privée et le droit à l’information.
7amleh a interrogé 509 Palestiniens de Cisjordanie et de Gaza et a constaté que 32 % des participants ont déclaré avoir été victimes de violations de la vie privée ou que leurs données personnelles avaient été utilisées à leur insu et sans leur consentement.
L’enquête a également révélé que 69 % des personnes interrogées étaient favorables à une législation palestinienne visant à protéger la vie privée et les données personnelles, y compris les données électroniques.
Dans son enquête, le groupe a constaté de graves lacunes dans la connaissance par le public de ses droits et un manque d’accès au droit à la vie privée dans la sphère numérique.
"Cette enquête démontre l’urgente nécessité pour l’Autorité palestinienne d’adopter une législation complète sur la vie privée et la protection des données dans le TPO. Celle-ci doit être conforme aux principes du droit international et aux normes en matière de droits de l’Homme, ce qui peut protéger tous les citoyens et garantir la responsabilité selon le principe de l’État de droit, y compris sur les secteurs officiel, civil et privé", a déclaré Nadim Nashif, directeur de 7amleh, dans un communiqué.
"Cela révèle en outre la nécessité pour les entreprises privées, en particulier les fournisseurs de services de télécommunications, de développer des politiques de confidentialité contraignantes, pour toutes leurs parties, et dans leurs affaires internes et externes, qui garantissent l’application des lois et des normes de droits de l’Homme relatives à la vie privée."
La Palestine dans le monde numérique
Alors que l’analyse des droits numériques est souvent focalisée sur les aspects de la censure et de la surveillance, la récente enquête de 7amleh s’est concentrée sur les perceptions et les attitudes des Palestiniens eux-mêmes vis-à-vis du concept de vie privée et de leur accès aux droits sur les données.
Après la répression brutale des Palestiniens au printemps et à l’été 2021, 7amleh a lancé la première "source ouverte en ligne indépendante pour surveiller, documenter et suivre les violations des droits numériques des Palestiniens" avec le nom 7or un terme arabe qui signifie "être libre".
Alors que les colons, l’armée et la police israéliens intensifient et augmentent leurs agressions à travers la Palestine historique, la complicité des entreprises de Big Tech telles que Facebook, Instagram et Twitter a également été constatée pour pratiquer la censure et réduire au silence les témoignages des Palestiniens.
Les résultats de l’enquête ont montré que la violation des droits numériques des Palestiniens comporte plusieurs niveaux. Non seulement les Palestiniens sont confrontés à la censure et à une cyber-attaque sur le partage et la production d’informations mais la société palestinienne se voit simultanément refuser l’accès aux informations sur ses droits numériques.
Les droits numériques et l’Intifada de l’Unité
L’atteinte aux droits numériques des Palestiniens n’est pas un fait récent. Les analystes juridiques palestiniens et les experts en médias sociaux mettent en garde depuis des années contre l’utilisation accrue des plateformes de communication sociale par Israël et l’AP comme mécanisme de surveillance des Palestiniens, et d’incrimination de ces derniers.
La censure et le blocage systématiques des comptes palestiniens au printemps et à l’été 2021, dans un contexte de pandémie mondiale, ont peut-être rendu plus évidente l’ampleur de ces violations.
Pour les régimes autoritaires comme l’AP et les régimes coloniaux comme Israël, la surveillance, l’atteinte aux droits numériques et l’armement des espaces sociaux numériques sont devenus des a priori pour réprimer les dissidents civils et les militants politiques.
L’AP est allée jusqu’à ratifier une loi sur la cybercriminalité par décret présidentiel en 2018, l’utilisant principalement contre les dissidents politiquement engagés ou les activistes de la jeunesse. Elle a permis à l’AP de détenir et condamner des militants palestiniens par voie judiciaire.
La loi sur les cybercrimes continue d’être injustement employée contre les Palestiniens et "est devenue un outil pratique pour faire taire les voix critiques et poursuivre les activistes et les journalistes", explique Marwa Fatafta à Mondoweiss.
En effet, Nizar Banat, assassiné par les forces de sécurité palestiniennes pour avoir dénoncé la corruption de l’AP sur ses réseaux sociaux a également été détenu à plusieurs reprises par l’AP en vertu de la législation sur les cybercrimes, avant d’être tué.
Nashif a déclaré à Mondoweiss qu’il était important de réviser et d’évaluer "dans quelle mesure ces acteurs ont accès aux informations des gens sans aucune sorte de garanties".
"Nous n’enquêtons pas beaucoup sur l’aspect de la vie privée qui provient des acteurs internes tels que les différentes autorités et ministères et les personnes qui y travaillent", a-t-il déclaré.
L’AP a emprunté sa pratique numérique à Israël qui a l’habitude de violer les espaces numériques des Palestiniens ainsi que des alliés présumés. "Quand nous venons en Palestine, le plus grand contrevenant ici est Israël, et ils ne collectent même pas des données de manière normale, ils collectent des données de la manière la plus déshumanisante et coercitive possible", a déclaré l’experte en droits numériques Marwa Fatafta à Mondoweiss.
Non seulement Israël viole les données mais il a également utilisé des publications de Palestiniens sur les réseaux sociaux comme preuve de crime, même si ces derniers ne faisaient qu’exprimer des opinions sur l’actualité.
Un exemple, le défenseur palestinien des droits de l’Homme Salah Hammouri, Jérusalémite et citoyen français, actuellement en détention administrative en Israël - une pratique illégale au regard du droit international. Hammouri était surveillé par le groupe technologique israélien NSO, contre lequel la Palestinian Digital Rights Coalition a intenté un procès en avril de cette année.
L’imbrication des sphères numériques et des droits humains ne se limite pas à ce qui se passe dans le cyberespace. Les répercussions se font également sentir sur les dynamiques qui se déroulent en Palestine et sont le reflet de relations déréglées.
Législation, transparence et réglementation
En août 2021, l’organisation de défense des droits numériques, Access Now, a mené une étude sur les fournisseurs d’accès à Internet en Palestine. L’étude a révélé que "Tous les FAI en Palestine ne respectent pas les normes de confidentialité et de protection des données, exposant les données personnelles à une utilisation abusive."
"Dans un contexte d’occupation... en ne mettant pas de mécanismes de protection, vous facilitez grandement la tâche de l’occupation pour prendre [vos données]", a déclaré Nashif à Mondoweiss.
De manière alarmante, près d’un tiers des participants ont déclaré ne pas savoir comment la réglementation des politiques numériques peut réellement les protéger.
Cette méfiance à l’égard du respect des droits par le biais de la politique peut également être due aux violations systémiques auxquelles les Palestiniens sont confrontés quotidiennement sous l’occupation. Au-delà de cela, cependant, l’AP, sous la gouvernance israélienne de facto, n’a aucun moyen de pression pour fournir une protection contre les violations israéliennes, qui continuent à persister sans relâche.
"L’architecture juridique et infrastructurelle actuelle a permis la surveillance de masse des communautés palestiniennes et l’exploitation de leurs données personnelles pendant des décennies sans qu’elles aient à rendre des comptes", note Fatafta.
"Connaître" versus "accéder" à ses droits
La connaissance et la compréhension des communautés sur leurs droits numériques sont essentielles pour parvenir à la justice et assurer une représentation et un engagement précis entre la société civile et les décideurs politiques ou les personnes influentes. "Nous produisons chaque jour une empreinte numérique de masse, donc l’idée est que vous avez des droits, le droit de consentir, le droit de remédier et de rectifier des informations incorrectes", a expliqué Fatafta.
Cependant, bien que 32 % des participants sachent que leur vie privée a été violée ou que leurs données ont été utilisées sans leur consentement et à leur insu, plus de la moitié d’entre eux ne savent pas quels sont les organismes en charge de collecter des plaintes ni où s’adresser pour demander des comptes aux responsables.
Ainsi, comme le montrent les résultats de l’enquête, les données et la vie privée des Palestiniens sont menacées par trois acteurs : les autorités, les entreprises de télécommunications et les communautés palestiniennes dans leur engagement les unes envers les autres.
"Cela met en danger l’ensemble de la société et c’est pourquoi il est vraiment troublant que ces entreprises et ces autorités ne prennent pas les mesures qu’elles devraient prendre à l’époque que nous vivons", a souligné M. Nashif.
En comprenant notre dépendance continue aux modes de communication technologiques, il devient une priorité de s’assurer que les espaces numériques ne reproduisent pas les répressions expérimentées dans nos espaces physiques.
"Toute notre vie et nos données sont en ligne et quelqu’un doit les protéger", a souligné M. Nashif.
Traduction et mise en page : AFPS /DD