Avant tout, je veux présenter mes excuses à toutes les femmes de bien qui exercent le plus vieux métier du monde.
J’ai récemment présenté Shimon Peres comme une prostituée politique. L’une de mes lectrices a protesté énergiquement. Les prostituées, fait-elle remarquer, gagnent leur argent de façon honnête. Elles donnent ce qu’elles promettent.
Notre président, par ailleurs, ne dit la vérité que par accident. C’est un imposteur politique et un charlatan politique. On peut lui appliquer aussi les mots de Winston Churchill à propos d’un ancien Premier ministre : “Le très honorable gentleman trébuche quelquefois sur la vérité, mais il se hâte toujours de poursuivre comme si rien ne s’était produit.” Ou les mots de l’ancien Premier ministre Amnon Rubinstein sur Ariel Sharon : “Il rougit lorsqu’il dit la vérité.”
Comme un colporteur qui propose des objets de contrefaçon, Peres est en train de proposer une marchandise qui s’appelle Benyamin Netanyahu. Il présente au monde un Netanyahu que nous n’avons jamais connu : un artisan de paix, un modèle de vérité, un homme qui n’a pas d’autre ambition que de rester dans l’histoire comme le fondateur de l’État de Palestine. Un Juif vertueux au point d’éclipser tous les Goyim vertueux.
POURTANT , TOUS ces mensonges ne sont rien comparés à la banalisation de l’Holocauste.
Dans certains pays, c’est un délit criminel, passible de prison. On peut banaliser de nombreuses manières. Par exemple : affirmer que les chambres à gaz n’ont jamais existé. Ou bien : que ce ne sont pas six millions de juifs qui ont été tués, mais seulement six cent mille. Mais la plus dangereuse forme de minimisation est la comparaison de l’Holocauste à des événements courants, en le transformant ainsi en “un détail de l’histoire”, à la manière infâme de Jean-Marie Le Pen.
C’est exactement le crime qu’a commis Shimon Peres cette semaine.
Comme un laquais marchant devant le roi, répandant des fleurs sur la route, Peres s’est envolé vers les États-Unis afin de préparer le terrain pour la prochaine visite de Netanyahu. Il s’est imposé à un Barack Obama réticent, qui n’avait d’autre choix que de le recevoir.
Se faisant passer pour le nouveau Winston Churchill, l’homme qui mit le monde en garde contre la montée de l’Allemagne nazie, il a prévenu Obama avec une grandiloquence solennelle : “En tant que Juifs, il nous est impossible de ne pas comparer l’Iran à l’Allemagne nazie.”
Il y a au moins trois choses qu’il faut dire à propos de cette phrase : (a) Ce n’est pas vrai, (b) C’est une banalisation de l’Holocauste, et (c) cela reflète une politique catastrophique.
Est-ce que l’Iran ressemble réellement à l’Allemagne nazie ?
Je n’aime pas le régime qu’il y a là-bas. Comme athée convaincu, partisan résolu d’une séparation totale entre l’État et la religion, je suis contre tout régime fondé sur la religion – en Iran, en Israël ou dans tout autre pays.
Par ailleurs, je n’aime pas les politiciens du genre de Mahmoud Ahmadinejad. Je suis allergique aux dirigeants qui s’adressent aux foules du haut d’un balcon. Je déteste les démagogues qui font appel aux bas instincts de haine et de peur.
Hélas, Ahmadinejad n’est pas le seul dirigeant de ce type. Le monde en est même plein, et certains d’entre eux sont parmi les plus dévoués soutiens du gouvernement israélien. En Israël, également, nous ne manquons pas de ce genre d’individu.
Mais l’Iran n’est pas un État fasciste. On constate à l’évidence qu’il y a là-bas une grande part de liberté, y compris de liberté d’expression. Ahmadinejad n’est pas le seul candidat à la présidence dans la campagne électorale en cours. Il y en a plusieurs autres, certains plus radicaux, d’autres moins.
Et l’Iran n’est pas un État antisémite. Une communauté juive, dont les membres refusent d’émigrer, y vit de façon assez confortable. Elle bénéficie de la liberté religieuse et a un représentant au parlement. Même si nous ne prenons pas de telles informations au pied de la lettre, il est clair que les Juifs d’Iran ne sont pas persécutés comme l’étaient les Juifs en Allemagne nazie.
Et, très important : l’Iran n’est pas un pays agressif. Il n’a pas attaqué ses voisins depuis des siècles. La longue et sanglante guerre Irak-Iran avait été déclenchée par Saddam Hussein. Il faut se souvenir qu’à l’époque Israël (contrairement aux États-Unis) a soutenu la partie iranienne et lui a fourni des armes. (Une transaction de ce genre fut révélée accidentellement dans l’affaire de l’Irangate.) Avant la révolution de Khomeiny, l’Iran était notre allié le plus important dans la région.
Ahmadinejad hait Israël. Mais le fait qu’il ait menacé de détruire Israël a été démenti. Il apparaît que la phrase cruciale de son fameux discours ait été mal traduite : il n’a pas déclaré sa détermination à effacer Israël de la carte, mais exprimé son opinion qu’Israël disparaîtrait de la carte.
Franchement, je ne pense pas qu’il y ait une si grande différence entre les deux versions. Lorsque le dirigeant d’un grand pays prédit que mon État va disparaître, cela m’inquiète. Lorsque ce pays semble faire tout ce qu’il peut pour produire une bombe nucléaire, cela m’inquiète encore davantage. J’en tire des conclusions, mais j’y reviendrai.
En outre, Ahmadinejad – à la différence d’Hitler – n’est pas le dirigeant suprême de son pays. Il est dépendant du pouvoir réel, qui est détenu par des membres du clergé. Tous les signes indiquent qu’ils ne constituent pas un groupe d’aventuriers. Au contraire, ils sont très pondérés, évolués et prudents. Actuellement, ils sont en train de rechercher prudemment les voies d’un dialogue avec les États-Unis, essayant d’aboutir à un accord sans sacrifier leurs ambitions régionales, ce qui est plutôt normal.
Bref, les discours d’un dirigeant démagogue ne transforment pas un pays en Allemagne nazie. L’Iran n’est pas un pays fou. Il n’a pas d’intérêts réels en Israël/Palestine. Ses intérêts sont centrés sur la zone du Golfe Persique et il souhaite accroître son influence dans l’ensemble du monde arabe et musulman. Ses relations avec la Syrie, le Hezbollah et le Hamas sont principalement au service de ce dessein, et il en va de même pour les provocations anti-israéliennes d’Ahmadinejad.
Bref, la comparaison de l’Iran à l’Allemagne nazie manque d’arguments fondés sur des faits.
DU point de vue juif, la comparaison est encore plus contestable.
L’Holocauste fut un crime unique. C’est vrai, le XXe siècle a vu d’autres actes terribles de génocide, mais ils ne ressemblent pas à la Shoah. Dans l’Empire Ottoman, un massacre horrible des citoyens arméniens eut lieu, lequel se termina en génocide. Hitler lui-même y fit allusion, déclarant que l’élimination des juifs serait oubliée de façon semblable. Staline tua des millions de citoyens soviétiques au nom d’une idéologie monstrueuse qui avait vu le jour sous la forme d’une croyance humaniste. C’est aussi ce que fit fait Pol Pot, qui tua des millions de gens pour transformer la société et la rendre meilleure. Au Rwanda, des membres d’une tribu ont assassiné les membres d’une autre. Et hélas la liste n’est pas close.
Mais l’Allemagne nazie fut un cas unique par son recours aux outils d’une société industrielle moderne pour éliminer des minorités impuissantes (n’oublions pas les Rom, les handicapés et les homosexuels) dans un processus inscrit dans la durée, planifié et parfaitement organisé, avec la contribution de tous les organes de l’État. Si le régime nazi n’avait pas été éliminé par la guerre, Hitler aurait poursuivi par l’élimination de beaucoup plus de millions de Polonais, d’Ukrainiens et de Russes.
On ne peut raisonnablement s’attendre à rien de semblable en Iran. Ni l’idéologie, ni la composition du régime ni aucun autre signe n’indiquent cette direction. En ce qui concerne l’accroissement de ses capacités nucléaires, la force de dissuasion israélienne empêchera toute idée de ce genre d’apparaître. (N’oublions pas que le seul pays à avoir jamais utilisé des bombes nucléaires dans une guerre fut notre ami, les États-Unis d’Amérique.)
Rien de ce qui se produit aujourd’hui dans le monde ne ressemble à la Shoah, au cours de laquelle six millions de Juifs furent éliminés. Les Palestiniens n’ont pas tué six millions de Juifs et nous n’avons pas tué six millions de Palestiniens. Comparer les Arabes aux Nazis n’est pas moins odieux que de comparer les Israéliens aux Nazis. Beaucoup de choses terribles ont été commises et sont en train d’être commises en notre nom – mais elles sont aussi éloignées des actions des Nazis que ne l’est la terre des galaxies lointaines.
Toute comparaison de ce genre pour les besoins d’une propagande passagère revient à banaliser l’Holocauste et ceux qui l’ont perpétré. Si les Nazis n’étaient pas pires que les ayatollahs, alors la Shoah n’était pas si terrible, après tout.
Dans tous mes contacts avec des dirigeants palestiniens, y compris Yasser Arafat, je leur ai toujours conseillé d’éviter cette fâcheuse comparaison. Ce serait aussi un bon conseil à donner à nos dirigeants.
EST-CE QUE la comparaison de l’Iran à l’Allemagne nazie sert les intérêts israéliens ?
L’Iran est là. Ce fut notre allié dans le passé, et il peut redevenir notre allié dans l’avenir. Les dirigeants vont et viennent, mais les intérêts géopolitiques sont plus ou moins constants. Ahmadinejad peut être remplacé par un dirigeant qui verra les intérêts iraniens sous un autre jour.
La menace nucléaire à l’égard d’Israël ne va pas disparaître – ni à la suite d’un (mauvais) discours de Peres ni à la suite d’un (bon) discours de Netanyahu. Dans toute la région, des installations nucléaires vont surgir. C’est un processus qu’on ne peut pas arrêter. Nous avons tous besoin d’énergie nucléaire pour dessaler l’eau de mer et pour produire de l’électricité sans détruire l’environnement. Comme a déclaré cette semaine un professeur israélien qui a travaillé dans le passé au centre nucléaire de Dimona : nous devons reconsidérer notre politique nucléaire. Il se pourrait bien que nous ayons intérêt à accéder à la demande de la porte-parole américaine pour qu’Israël (aussi bien que l’Inde et le Pakistan) adhère au traité de non prolifération nucléaire et à un régime de stricte supervision.
Le président Obama dit maintenant à Israël : mettez un terme au conflit israélo-palestinien. C’est une condition préalable à l’élimination de la menace à l’égard d’Israël. Lorsque les Palestiniens, et l’ensemble du monde arabe, feront la paix avec Israël, l’Iran ne pourra plus exploiter le conflit pour la poursuite de ses intérêts. Soit dit en passant, c’est ce que nous disons depuis de nombreuses années.
Le refus de Netanyahu-Lieberman-Barak d’accepter cette exigence montre l’absence de sincérité de leurs arguments concernant l’Iran. S’ils croyaient réellement que l’Iran représente une menace pour notre existence, ils s’empresseraient de démanteler les colonies, de détruire les avant-postes et de faire la paix. Cela serait, après tout, un faible prix à payer pour l’élimination d’un danger menaçant notre existence. Leur refus prouve que toute cette histoire de menace pour notre existence est un bluff.
Quant à la comparaison de l’Iran à l’Allemagne nazie – elle est aussi convaincante que la comparaison de Shimon Peres à Sir Winston.