Un ballon blanc flotte au-dessus du quartier de Silwan. Il n’ira nulle part. Un peu comme les habitants de cette grande zone arabe de Jérusalem-Est. Le ballon est retenu par un long fil qui trahit sa mission : la surveillance électronique. Le gouvernement israélien a renforcé les mesures de sécurité pour faire face à un nouvel accès de fièvre dans la ville.
Des unités lourdement armées stationnent aux entrées du quartier. Le 22 octobre, un habitant a tué un bébé de 3 mois en renversant en voiture des passagers à un arrêt de ce tramway dont le tracé symbolise la mixité illusoire de Jérusalem. Depuis, chaque nuit, Silwan gronde. Les pavés volent. Jerusalem entend les détonations, les sirènes de la police, parfois les hélicoptères. Les affrontements se succèdent dans cette zone urbaine surpeuplée, encaissée dans la vallée du Cédron, au pied de l’enceinte de la vieille ville.
Le sort du « terroriste », dont le corps a été retenu plusieurs jours par les autorités avant les funérailles, n’est qu’un épisode de plus. La détérioration sécuritaire à Jerusalem-Est date de début juillet, lorsqu’un adolescent palestinien de Chouafat a été brûlé vif en réponse à l’assassinat de trois étudiants juifs en Cisjordanie. Depuis, les émeutes se sont installées, tandis que les regards étaient tournés vers la bande de Gaza, en guerre.
En réponse, le gouvernement Nétanyahou a misé sur la force. Il a également revendiqué la poursuite de la politique de colonisation. Lundi 27 octobre, désireux de donner des gages à sa base radicale, le premier ministre a ordonné l’avancement d’un projet déjà existant, la construction de 1 060 logements dans les quartiers juifs de Har Homa et Ramat Shlomo. « C’est un consensus, tous les gouvernements l’ont fait », s’est défendu M.Nétanyahou, anticipant les critiques occidentales et celles de ses alliés modérés.
Mission civilisatrice
Selon le Bureau central des statistiques, Jérusalem compte 815 000 habitants, dont 300 000 Arabes. Jérusalem-Est est occupé illégalement par Israël depuis 1967, dit le droit international. Mais le pays n’a jamais cessé de favoriser les implantations juives, qu’il s’agisse de cités comme Gilo ou Pisgat Zeev ou d’îlots en quartiers arabes. Aujourd’hui, Silwan incarne cette tectonique des plaques urbaines. La zone compte environ 45 000 habitants, dont 500 colons juifs. Ils rachètent les maisons une à une, légalement, assistés par des organisations religieuses et extrémistes richement dotées. Les vendeurs se cachent souvent derrière des prête-noms.
Les colons, eux, se sentent en mission civilisatrice : ils accomplissent un dessein biblique, à la lumière duquel l’existence d’un Etat palestinien n’aurait guère de sens. Ils vivent barricadés, drapeau israélien sur le toit. « Au total, 29 maisons ont été prises ainsi, explique Fakhri Abou Diab, président du Comité des habitants de Silwan. Les autorités les protègent. Nous, nous payons de forts impôts locaux, mais on n’a aucun service municipal. Nous sommes à 82 % sous le seuil de pauvreté, nous avons 46 % de chômage. Nous voulons des infrastructures, de l’électricité, des permis de construire. »
L’installation nocturne de colons au milieu des habitations arabes suscite d’inévitables tensions. Mais l’impact psychologique et politique, compliquant l’hypothèse d’une division de la ville dans le cadre d’une solution à deux Etats, est plus dévastateur que les conséquences démographiques. « On avance les yeux ouverts vers la catastrophe, en espérant que quelque chose d’autre se passera, explique le professeur Moshe Amirav, de l’Université hébraïque, éminent spécialiste de la ville. Même s’il est impossible de comparer avec l’ancienne Afrique du Sud ou les Etats-Unis des années 1950, les graines de l’apartheid existent ici. On voit la détérioration d’année en année. Les quartiers comme Silwan n’ont jamais figuré dans les programmes publics de réhabilitation. »
M. Nétanyahou « prêt à diviser Jérusalem »
Les ruelles de Silwan sont sales, abandonnées. Le contraste est saisissant avec le haut de la colline, où se dresse la muraille de la Cité de David. Il s’agit d’un lieu mythique pour les croyants juifs, où Jérusalem a été fondée il y a 3 000 ans. On y conduit des fouilles archéologiques, les touristes affluent. Elad, la fondation très marquée à droite qui gère le parc national de la Cité, en fait une base de reconquête immobilière. « Chaque mois, entre 40 et 50 propriétés arabes sont mises en vente », assure Aryeh King. Celui-ci est le directeur du Israel Land Fund, autre ONG promouvant le rachat de terres par les colons. Ardent partisan de la judaïsation de Jérusalem-Est, Aryeh King estime qu’elle est la seule façon d’assurer la « souveraineté d’Israël ». M. Nétanyahou n’a guère ses faveurs. Trop conciliant, car « prêt à diviser de facto Jérusalem ».
Ces organisations juives en mission dans la vallée rechignent à employer la dénomination Silwan, ne voulant pas lui donner chair. Ateret Cohanim est l’une d’entre elles. Son porte-parole, Daniel Luria, nous conduit dans une partie de Silwan qui fut autrefois un village yéménite. Les habitants juifs ont été victimes de massacres dans les années 1930. Daniel Luria considère que la situation actuelle relève donc d’une réparation. « Personne ne vire personne dehors ! Quand un Arabe veut vendre, un juif a le droit d’acheter », dit-il.
Le porte-parole fait visiter une résidence avec plusieurs appartements, en attente de familles de colons et d’étudiants religieux. Un magnifique carrelage en mosaïque révèle l’ancienneté du lieu. Derrière la porte d’entrée, cinq membres de la police aux frontières font le guet. Des caméras balaient les rues adjacentes. Les poubelles ne sont pas ramassées, mais le gouvernement israélien paie des effectifs pour surveiller des maisons de colons vides. « C’est le centre du monde juif, ici ! », s’enthousiasme Daniel Luria.