BONJOUR, Joe. Chez toi aux Etats-Unis ton nom est traîné dans la boue. Mais ici tu peux te sentir chez toi.
À ton époque, tu as réussi à mettre l’ensemble des États-Unis en hystérie. Tu découvrais un agent soviétique sous chaque lit. Tu brandissais une liste d’espions soviétiques au Département d’État (une liste qui n’a jamais été montrée à personne). Dans une centaine de langues dans le monde – y compris l’hébreu – le nom de McCarthy, de McCarthisme, est devenu un mot familier. Oui, il est sûr que tu as laissé ta marque.
Mais tu n’étais après tout qu’un plagiaire. Avant toi, le Comité interne des Activités Anti-Américaines (House Anti-American Activities Committee) semait la terreur dans le pays, détruisait des carrières, conduisait des gens au suicide et ternissait la réputation des États-Unis dans l’ensemble du monde démocratique. Il “enquêtait” sur les intellectuels et les artistes et stigmatisait beaucoup d’entre eux comme “anti-américains”.
JE DOUTE que Faina Kirschenbaum ait jamais entendu parler de ce comité. Elle n’est pas née aux États-Unis mais en Union Soviétique stalinienne, et c’est sa patrie spirituelle. Son attitude à l’égard de la démocratie reflète ce milieu socio-culturel.
La signification de son nom germanique est “cerisier”. Mais les fruits de cet arbre sont toxiques.
Cette semaine, la Knesset a adopté un projet de loi présenté par Kirschenbaum, un colon qui est aussi le directeur général du parti d’Avigdor Lieberman. Le projet de loi demande la création d’une Commission d’enquête parlementaire pour rechercher si des fonds internationaux ou provenant de pays étrangers financent les organisations qui “prennent part à la campagne de déligitimisation des soldats des Forces israéliennes de défense (IDF)”. Un projet de loi parallèle déposé par le membre du Likoud Danny Danon exige que la Commission d’enquête recherche si des gouvernements étrangers financent des “activités israéliennes contre l’État d’Israël”.
Il est facile de deviner à quoi va ressembler une telle enquête par un comité composé d’hommes politiques désignés par la majorité raciste de droite à la Knesset. L’infâme Comité des activités anti-américaines apparaîtra comme franchement libéral en comparaison.
Il est très intéressant de voir qui a voté pour et qui a voté contre. Parmi les 41 qui ont voté pour, il n’y avait pas seulement les fascistes habituels de l’extrême droite, avec à leur tête le Kahaniste déclaré Michael Ben-Ari, mais aussi le principal représentant des orthodoxes Jacob Litzman, l’ancien porte-parole de l’armée Miri Regev et l’ancien chef d’état-major Moshe Ya’alon. Il faut accorder une mention spéciale à Matan Vilnai membre dirigeant du Parti travailliste qui faillit un jour devenir chef d’état-major, actuellement secrétaire d’État à la Défense chargé des colonies.
Parmi les 17 qui ont voté contre il y a , naturellement, les membres arabes de la Knesset qui étaient présents et tous les membres du Meretz. Une heureuse surprise fut causée par Yitzhak Herzog, candidat à la présidence du parti travailliste, l’ancien membre du Likoud maintenant à Kadima Meir Sheetrit et le membre du Likoud Michael Eitan. Eitan est le dernier membre qui reste du mouvement révisionniste de Vladimir Ze’ev Jabotinsky, qui associait un programme nationaliste extrême pour les affaires étrangères à une attitude très libérale sur les questions locales.
En tout, 58 des 120 membres de la Knesset ont pris part au vote. Où étaient les 62 autres ? Ils se cachaient. Benjamin Nétanyahou avait disparu. Ehoud Barak avait disparu. Tzipi Livni avait disparu. Même Eli Yishai avait disparu. On peut supposer qu’ils ont tous un certificat médical pour justifier leur absence.
Il y a des votes dont la signification est même plus importante que l’objet lui-même – des votes qui caractérisent une époque et qui apparaissent rétrospectivement comme décisifs. Il est bien possible qu’il se soit agi d’un tel vote.
LA PREMIÈRE chose qui ressort à propos de cette loi est qu’elle ne s’applique pas à toutes les associations politiques d’Israël.
Si une telle loi à caractère impartial avait été promulguée, je l’aurais accueillie favorablement. Je suis très curieux de connaître l’origine de l’argent qui soutient les colons et les autres organisations d’extême droite.
Des sommes considérables, des dizaines et des centaines de millions, alimentent ces organisations – de nombreuses fois plus que les montants dérisoires perçus par les associations de droits humains et de paix. Certaines de ces organisations se consacrent à l’expulsion des Arabes de Jérusalem Est. Ils proposent aux propriétaires de maisons palestiniens des prix astronomiques pour leur propriété et de nouvelles identités aux États-Unis afin qu’ils puissent ensuite mener une vie heureuse là-bas. Ils louent les services d’hommes de paille, la plupart du temps des Arabes. Les faibles succombent à la tentation. Cela coûte beaucoup d’argent, et l’un des donateurs bien connus est un milliardaire réputé qui a fait fortune comme propriétaire de casinos. En Israël, à ce propos, la possession d’un casino est une activité criminelle.
On sait que les financeurs de l’extrême droite comprennent quelques uns des dirigeants de sectes évangéliques, des anti-sémites nés, qui croient que Jésus reviendra sur terre quand tous les juifs seront rassemblés dans ce pays. Ensuite – ou bien les juifs se feront baptiser ou ils seront anéantis jusqu’au dernier homme et à la dernière femme. Ces adhérents à la solution réellement-finale représentent la principale source de financement de beaucoup d’associations de droite.
Cet argent entretient des associations ouvertement fascistes aussi bien que d’autres plus discrètes, qui plaident pour le renvoi des universités des professeurs “de gauche”, qui organisent des réseaux d’étudiants espions pour les renseigner sur leurs assistants (une autre façon de gagner de l’argent pour leurs études). Il y a des organisations qui contrôlent les médias pour les expurger de gens suspects d’écarts de conduite comme la lutte pour la paix. Il y a aussi un important appareil qui passe au crible tous les médias de la télévision, de la radio et de la presse dans l’ensemble du monde arabe pour alimenter nos “correspondants en questions arabes” (presque tous des anciens du renseignement militaire et du Shin-Bet) en morceaux de choix, comme une anecdote sur un prédicateur musulman fanatique du Yémen ou une déclaration particulièrement méchante dans un salon du Caire. Ils réussissent très bien à empoisonner les sources de paix.
Si une commission d’enquête sérieuse s’intéressait au financement de l’extrême droite, elle découvrirait qu’une grande partie de ce financement vient tout droit de la poche du contribuable américain. C’est l’un des grands scandales : le gouvernement des États-Unis est en train de financer une grande partie des colonies. Pendant des dizaines d’années, il a fermé les yeux sur les organisations américaines qui fournissent des fonds aux colonies – des colonies qui sont illégales même du point de vue politique officiel du gouvernement des États-Unis. Aux États-Unis, on peut faire des donations exemptes d’impôts pour des causes humanitaires – mais pas pour des objectifs politiques. Presque tout l’argent qui va à l’extême droite en Israël est officiellement annoncé comme destiné à des causes humanitaires.
Et que dire des mafieux russes qui sont intimement liès à la droite israélienne ? Qu’en est-il des divers dictateurs d’anciens États de l’ex Union Soviétique ? D’où Lieberman, dont les liens avec ces pays sont bien connus, obtient-il ses fonds ? Des enquêteurs de la police essaient depuis des années d’éclaircir ce mystère, sans résultats concrets pour le moment.
Tout cela pourrait occuper plusieurs commissions d’enquête dans les années qui viennent – et les auteurs des projets de loi le savent parfaitement bien. Ils sont catégoriques : des enquêtes sur les seules associations de gauche, très clairement pas sur celles de droite. (comme la dame qui criait dans l’ombre d’un cinéma : “Otez vos mains ! Pas vous, VOUS !”
LES AUTEURS des projets de loi n’ont pas caché l’identité des associations sur lesquelles ils veulent “enquêter”. La liste comprend B’Tselem (“À l’image de”), une équipe chevronnée qui surveille ce qui se passe dans les territoires occupés et qui est traitée avec respect, même par l’armée ; Shovrim Shtika (“Rompre le Silence”), un groupe d’anciens soldats qui recueille des témoignages de soldats ; Yesh Din (“Il y a une loi”), qui milite pour des questions de propriété de la terre dans les territoires occupés et qui surveille aussi les tribunaux militaires ; Yesh Gvul (“Il a une limite”) qui défend les soldats refusant de servir dans les territoires occupés ; Machsom Watch (“Surveillance des points de contrôle”), une organisation de femmes volontaires qui surveillent ce qui se passe aux barrages routiers ; “Médecins pour les Droits Humains” qui vient de recevoir le Prix Nobel Alternatif à Stockholm pour ses activités au service des malades dans les territoires occupés ; l’Association pour les Droits Humains, le Nouveau Fonds, IR Arim (“Cité des Peuples”) qui mène des luttes légales contre la pénétration des colons dans Jérusalem Est ; et Shalom Achschav (“La paix Maintenant”) pour ses importantes activités de surveillance des constructions dans les colonies.
(En ce qui me concerne, c’est une liste profondément insultante parce qu’elle ne comprend pas Gush Shalom (Le Bloc de la Paix). Peut-être parce que les organismes qui se cachent derrière les auteurs de la proposition de loi savent que le Gush ne reçoit pas un centime de quelque source gouvernementale que ce soit.)
Il n’y a rien de mal à recevoir des fonds d’origines gouvernementales internationales qui militent pour les droits humains dans le monde entier. Le groupe “Rompre le Silence” ne cache pas le fait que son livre récent, une série de témoignages de 183 soldats, a été financé par l’Union Européenne. Il s’en est félicité sur la couverture du livre.
PARTICULIÈREMENT CONDAMNABLE est la prétention des racistes à parler au nom des soldats. Ils ne parlent pas de la délégitimation des colons, ni la droite fasciste, ni de la politique raciste de notre gouvernement – seulement de la “déligitimisation des soldats des Forces Israéliennes de Défense”.
C’est une tactique de tous les mouvements fascistes du monde. Ils se drapent dans le drapeau du patriotisme (“le patriotisme est le dernier refuge d’une crapule”) et prétendent défendre nos troupes.
Nos troupes viennent de toutes les couches de la société. Elles comprennent des gens de droite et des gens de gauche, des religieux et des laïques, des colons et des informateurs de “Rompre le Silence”. Qui a mandaté ce revendeur de cerises empoisonnées pour parler en faveur de “nos troupes” ? Malheur à l’armée qui a besoin de tels défenseurs !
LA CARRIÈRE de Joe McCarthy fut brutalement interrompue. Il fut enterré par une phrase restée dans l’histoire.
Joseph Nye Welch, avocat respecté représentant l’armée des États-Unis, qui comparut devant le comité McCarthy, fut choqué par ses méthodes et s’écria : “N’avez-vous aucun sens de la décense, Monsieur, à la fin ? Ne vous reste-t-il aucun sens de la décence ?”
L’auditoire dans la salle explosa spontanément en applaudissements. Ces quelques mots enflammèrent l’opinion publique américaine. Soudain la roue tourna. L’époque McCarthy prit fin, l’opinion publique retrouva la raison et depuis lors, on se souvient du McCarthisme comme d’une chose honteuse.
J’attends maintenant qu’un honnête citoyen israélien ferme l’égout de la Knesset qui menace de submerger tout le pays.
M. Benjamin Nétanyahou, monsieur, ne vous reste-t-il aucun sens de la décence ?