Denise Hamouri. « Il fait froid, il pleut ce dimanche 8 mars, jour autorisé pour les visites familiales aux prisonniers de Jérusalem à la prison de Guilboa. Elles sont organisées par le CICR, en collaboration avec les autorités pénitentiaires israéliennes.
« Pour me rendre à la prison, je prends le car qui part vers 5 h 45 de Jérusalem. Deux heures de trajet environ. Nous arrivons vers 8 heures. La prison est grande, laide, sinistre surtout par ce temps gris et froid. Le temps de vérifier les cartes d’identité, il nous faudra attendre encore une bonne heure et demie dehors. Pendant ce temps les gens se reposent un peu. Les enfants courent partout.
« Aujourd’hui, pendant cette attente, on ne parle que de Gilad Shalit et des négociations du Caire qui sont une lueur d’espoir pour des familles dont les fils, les maris, les pères sont emprisonnés depuis des dizaines d’années, dans l’indifférence totale, et condamnés à des peines très lourdes de vingt, trente ans ou à des peines de prison à vie, sans forcément avoir "du sang sur les mains", comme on l’entend répéter si souvent. Ensuite, chacun, à l’appel de son nom, essaie de faire entrer un livre, un vêtement mais aujourd’hui, tout est refusé.
« Vers 9 h 45, après la fouille corporelle, on peut avoir accès au parloir encadré par des agents de sécurité. Les prisonniers sont déjà là, assis derrière des vitres épaisses. Les enfants courent, certains ne connaissent leur père que derrière cette vitre.
« Salah est là. Il m’attend. Il demande d’abord des nouvelles de son père qui a des petits ennuis de santé en ce moment. Je le rassure mais je le sens encore inquiet. Puis il me questionne sur son petit frère qui était un gamin turbulent et qui est maintenant un ado un peu difficile qui fait des siennes au collège… Et enfin il me demande des nouvelles de sa sœur qui lui écrit de longues lettres pleines de "secrets" auxquelles il répond toujours. Il est ému de ne pas avoir vécu ces étapes de passage à l’adolescence avec eux mais de loin, derrière des grilles…
« Je lui demande comment se passe la vie en prison. "Tout va bien", me répond-il. Il ne se plaint jamais même s’il m’a parlé parfois des brimades et des punitions infligées aux détenus : les fouilles, les privations de visites, les sanctions financières - l’argent que nous pouvons envoyer est en effet parfois confisqué aux détenus protestataires.
Par contre, il me parle beaucoup des lettres, cartes et messages qu’il reçoit de France. Cela l’aide à rester courageux et cela fait aussi grand plaisir à ses camarades. Salah me dit que tous ici sont rivés aux écrans de télévision, dès que cela est possible, pour suivre les négociations d’un éventuel échange de prisonniers.
« Au centre de détention de Guilboa, les prisonniers viennent en majorité de Jérusalem ou sont arabes israéliens, et cette éventuelle libération est leur seul espoir. Certains ont déjà passé plus de vingt ans derrière les barreaux.
« Mais quarante-cinq minutes, ça passe vite, il faut déjà se quitter. Les enfants font des signes d’adieu, envoient des baisers, certains sont très graves et très sérieux maintenant qu’il faut partir, même les plus jeunes. En sortant, je parle avec une dame accompagnée d’une jeune fille, elle me dit que sa fille avait 3 ans quand son mari a été arrêté. Elle a maintenant 23 ans et devrait bientôt se marier. Son mari ne l’aura pas vue grandir…
« Il est un peu moins de midi. Chacun monte dans le bus en parlant toujours de Gilad Shalit et en espérant que, la prochaine fois, peut-être… »