Et l’avenir ? Où est la frontière d’Israël ? Ligne verte, barrière, frontières jordanienne et libanaise ? La carte des Sionistes de 1900 allait jusqu’au milieu du Liban et une bonne bande à l’Est du Jourdain… Et que fait-on des Arabes au-delà des 30% "supportables" ? Question ouverte…
À JÉRUSALEM, nous avons été reçus par l’OCHA, antenne de l’ONU. Cartes et chiffres montrent avec clarté les avancées de l’invasion israélienne en Cisjordanie :
– Depuis 1987 la surface des terres occupées a été multipliée par 4.
– Il existe 562 barrages de tous types sur les routes reliant les villes et villages palestiniens.
– Le Mur (en béton, de protection contre les snipers, autour des quartiers israéliens dans les villes, en barrière de 6 à 8 mètres de haut grillagée, électrifiée, pourvue de capteurs de contact et de miradors) fera 712 km en méandres à l’intérieur de la "ligne verte" fixée par l’ONU en 1967 entre l’État d’Israël et le futur État palestinien, montrant la véritable intention d’annexion d’Israël.
– 657 Palestiniens tués en 2006, 17 Israéliens (civils) ;
– en 2007, 373 Palestiniens, 13 Israéliens (7 civils et 6 soldats).
– Nous constatons l’ampleur des violations des accords internationaux, l’inaction de la communauté internationale bien qu’elles soient de notoriété publique.
Nous visitons l’association SABEEL (Source de Vie) qui réunit des Palestiniennes chrétiennes. Elles travaillent en direction des clergés, et de groupes de femmes, d’hommes, de jeunes, pour un œcuménisme comprenant musulmans et juifs, et la promotion d’une prise de conscience de la réalité politique et un engagement pour la paix et la justice.
Nous assistons à une conférence de Michel Warschawski, journaliste qui écrit dans les journaux israéliens, mais aussi dans le Monde, le Monde Diplomatique, Témoignage Chrétien etc. "Anapolis n’est pas une conférence de paix, mais de guerre : elle vise à renforcer le front des pays "modérés" contre les pays "islamistes".
Le Mur ne sépare pas seulement les Israéliens des Palestiniens, mais le monde entier : il identifie une menace : l’islamisme, menace permanente parce que non identifiable dans la réalité.
Le rapport des forces est nettement favorable à Israël, mais il est nécessaire de recréer "l’esprit de sacrifice".
Israël est de tous les pays le plus brutal dans la destruction des acquis sociaux d’après-guerre. 1/3 des enfants, sous le seuil de pauvreté, sont nourris par des ONG "à tendance mondiale" qui ont remplacé l’État social.
Le résultat est que beaucoup d’Israéliens ont beaucoup moins d’enthousiasme pour sacrifier leur vie pour la patrie. On a même vu pendant la guerre au Liban un général, en pleine opération, pendu à son portable pour surveiller l’évolution de… ses actions !) Il y a eu beaucoup de déserteurs, pas tous des Refuzniks idéologues, mais des jeunes qui ne veulent plus servir de poires."
Warschawski nous a ensuite emmenés (tout un car) visiter le Nord de Jérusalem Est, municipalité palestinienne. Il nous a fait longer la barrière, dans un espace en forme de doigt qui pénètre profondément en Cisjordanie et sépare très douloureusement les Palestiniens de Jérusalem de ceux de Cisjordanie (familles séparées, commerces ruinés etc.) Il nous a désigné les implantations israéliennes que nous n’aurions pas su discerner dans ce contexte urbain, véritable marée blanche très impressionnante.
Deux autres protubérances semblables sont dessinées : l’une à l’Est de Jérusalem, qui s’étend jusqu’à 8 km de la mer Morte et que nous voyons sur la colline en face), comprend la très importante implantation de Maale Adoumim (40.000 habitants) maintenant reliée à Jérusalem Ouest (israélienne) par un tramway (construit par deux entreprises françaises, Alsthom et Veolia, et dont nous avons suivi le chantier au retour), qui traverse toute la Jérusalem Est, paraît-il sans un arrêt prévu pour les Arabes ; l’autre au Sud ; à l’Ouest il y a la ligne verte virtuelle, Jérusalem Ouest, Israël. Cette ligne verte disparaîtrait, si "les Nations" acceptaient la demande d’Israël d’entériner "les faits accomplis" et de reconnaître le Mur comme nouvelle frontière. Jérusalem deviendrait entièrement israélienne.
Tout au Nord de notre doigt, Warschawski nous a fait descendre du car et nous a montré dans le paysage, très espacés : une station service, un supermarché, un camp militaire : "Voilà une parabole de la stratégie israélienne : on installe des points importants, dans toute la Cisjordanie. Ensuite on les relie les uns aux autres par des routes protégées. Puis on dessine de généreux plans de développement tout autour, et on construit. Quand ces agglomérations se rejoignent en "blocs de colonies", véritables villes de 40 ou 50.000 habitants comme c’est le cas près de la ligne verte, on dessine une barrière de sécurité qui tourne entre ces villes et les villages ou villes arabes de façon que, à l’Ouest de cette ligne, la proportion d’arabes ne dépasse jamais 30% de la population. Si nous acceptions ce "fait accompli", cela constituerait une annexion de 10% de l’actuelle Cisjordanie alors que celle-ci est déjà réduite depuis 1967 à 22% de la Palestine du protectorat anglais." On peut vérifier tout cela en consultant la carte dressée par l’ONU.
DEIR ISTIYA est un gros village de 4.000 habitants, près du gros bloc de colonies d’Ariel (N-O de la Cisjordanie). Il est entouré de 9 colonies israéliennes créées au sommet des collines alentour, sur une partie des terres du village dont les oliviers ont été arrachés et qui sont entourées depuis d’un gros rouleau de barbelés.
Pour y arriver, nous n’avons pas eu de problème aux check points. Notre taxi après Ramallah prend une petite route sinueuse et un peu cahotante. C’est plus long, nous dit-il, que la grande route mais nous ne risquons pas d’être bloqués à un check point (ça nous est arrivé une seule fois, cette année, pendant près d’une heure).
Nous sommes heureux de retrouver nos hôtes de l’année dernière, très chaleureux, qui nous logent tous les neuf et nous répartissent chaque matin par groupe de trois dans des familles différentes chaque jour. Cette année nous n’avons pas vu le moindre colon nous menaçant de son fusil, comme c’était le cas l’année dernière, pour nous empêcher d’entrer dans une oliveraie, ni une oliveraie mal tenue parce que le propriétaire n’arrive plus à y entrer depuis quatre ans. Mais nous n’avons finalement pas eu l’autorisation d’aller cueillir dans une parcelle située au beau milieu des colonies.
Un autre petit groupe que le nôtre s’est vu tout à coup cerné par des soldats, tout autour du champ : émotion des Palestiniens comme des Français… jusqu’à ce qu’ils se rendent compte que les fusils étaient braqués vers l’extérieur, pour dissuader les colons de toute conduite hostile !
Le samedi, un autre propriétaire dit à un autre groupe : nous profitons du Shabbat : les Juifs restent chez eux, nous serons tranquilles.
Tout en cueillant ou en mangeant nous bavardons avec nos hôtes, en anglais qu’ils parlent presque tous. Un jeune partageant le haut de mon échelle raconte qu’il est étudiant en physique à l’université de Ramallah. – Veut-il enseigner ? – Non, il préfèrerait travailler dans un laboratoire ou comme ingénieur. Mais c’est très difficile à trouver. Les Israéliens accordent très peu de permis de construire. Mais il espère…
Une femme dit que son mari est parti pour Dubaï pour gagner sa vie avec une petite boutique et maintenant il ne peut plus rentrer. Nous avons entendu cela plusieurs fois : les Palestiniens qui partent à l’étranger perdent leur passeport et ont ensuite un statut d’étranger. (Warschawski nous avait dit : les forces de l’ordre surveillent moins les routes mais beaucoup plus les frontières, avec les méthodes internationales de lutte contre le terrorisme). Un homme du haut de sa branche me dit : pourquoi le monde entier nous désigne-t-il comme terroristes alors que ce sont eux qui nous terrorisent ?
À Deir Istiya j’avise une maison que je n’avais pas remarquée l’an dernier : elle a un toit rouge. Je demande : - C’est une nouvelle maison ?
– Non, elle était là, mais elle n’avait pas encore son toit rouge.
– Alors, vous vous mettez donc à la mode israélienne ? (en effet j’avais appris l’an dernier : toits rouges bien alignés, antenne de communication = colonie israélienne. Toits en terrasse en désordre, minaret = village palestinien).
– Non, c’est un Israélien qui l’a construite ici…
Depuis, dans nos déplacements, j’ai vu beaucoup d’autres toits rouges dans des villes ou villages nettement palestiniens. Les permis de construire étant gérés par le gouvernement israélien, les Palestiniens le subissent-ils ou l’acceptent-ils ? Les populations se mélangent-elles de gré ou de force ?
Après mon retour je rencontre à Grenoble une amie qui faisait partie de notre groupe, mais était restée après, nous quelques jours. Un soir, chez notre hôte, ils avaient reçu un coup de téléphone prévenant qu’un commando israélien arrivait. Les gens sont sortis de partout en courant pour récupérer les enfants dans la rue, chez les amis, et les mettre à l’abri. Les militaires sont entrés dans les maisons, les ont fouillées assez violemment et ont embarqué un enfant de 12 ans pour le faire parler. Le 8 octobre dernier, ils avaient déjà subi une incursion de ce genre.
BI’LIN : Depuis 2005, il s’y organise tous les vendredis une manifestation non violente. Quelle constance ! C’est pour soutenir un énorme travail que mène un mouvement de juristes militants pour défendre le droit des habitants à l’accès à leurs terres confisquées par le Mur. Dans le cas de Bi’lin, suite à leur plaidoirie devant la cour suprême israélienne, celle-ci a ordonné un déplacement de la barrière il y a un an. Mais… rien. Le lobby des colons et des militaires n’a ni loi ni maître !
Nous sommes donc à Bi’lin. À l’arrivée un homme nous entraîne chez lui, en face : vidéo où on le voit corps à corps avec les soldats ; puis fumigènes ; puis il chancelle, on le ramasse, descend son pantalon : il a 4 meurtrissures sanglantes en haut des cuisses : balles de caoutchouc.
Nous partons en cortège, une petite centaine. Avant le mur les soldats nous somment de nous retirer, puis : fumigènes. Ils tirent avec des canons droit sur nous mais aussi loin au vent. Le gaz est beaucoup plus fort que l’an dernier. Impossible de sortir du nuage. J’ai le temps de voir un jeune chanceler puis je ne vois plus rien : ça brûle trop fort, j’ai mon pull sur les yeux, réduite à essayer de voir mes pieds par-dessous pour me débrouiller entre les pierres de la colline. Hors service ! Je retrouve en haut du chemin le jeune (un beur) soigné par un secouriste : des plaies de balle de caoutchouc sous un bras et sur le côté du thorax. Il va bien mais se lamente : "Comment je vais me faire recevoir par mes parents à Bruxelles" !
Je rentre à la maison des internationaux mais les autres, plus jeunes, restent l’heure et demie prévue à manifester. Il y a des Palestiniens, des Israéliens pour la Paix, des internationaux. Au regroupement de conclusion, le responsable de la manif nous paraît cette année beaucoup plus découragé : c’est le non dialogue absolu.
JÉRICHO : Nous traversons le beau désert de Judée pour visiter un groupe de bédouins campés à 6 km de la ville. Leur territoire ancestral était à Beer Sheva, qui se trouve maintenant en Israël. Ils ont été chassés et le sont encore souvent. Ils redoutent d’être acculés à abandonner la vie nomade qu’ils aiment : quand l’herbe de leurs bêtes sèche, à l’automne, ils doivent acheter de l’aliment ; cette année on le leur vend 4 fois plus cher qu’il y a 3 ans : prix dissuasif ! Leurs sources habituelles sont asséchées par une pompe puissante qui canalise l’eau pour la colonie voisine : ils doivent acheter l’eau en citerne.
DEISHEH : C’est un des camps où on a entassé les 70.000 réfugiés des 500 villages palestiniens qui ont été, en 1948, soit rasés soit récupérés par les Israéliens dans le but de ramener à 30% maximum la population arabe du jeune état d’Israël, qui devait – et doit toujours d’après eux – être un état juif : majorité juive à l’assemblée, lois juives, armée juive. (Cependant ce sont les Arabes qui sont : terroristes, fondamentalistes, racistes, non démocratiques, non laïques…)
Donc ces gens vivent ici avec leurs descendants depuis 1948. D’abord sous des tentes, entourées d’une clôture, puis dans de petits cubes de béton d’environ 3 m d’arête (on en a conservé un pour les visiteurs). Et maintenant dans de petites maisons palestiniennes et de petites ruelles très étroites où nous n’avons pas vu de voitures sauf un livreur de légumes. Quelques unes sont en cours de rénovation par le HCR qui fait vivre toute la ville (40 000 habitants) avec 2 $ par jour et par habitant.
Nous sommes hébergés et pilotés pendant toute la journée par le directeur du centre culturel, très actif et militant. Il a passé 7 ans en prison, en plusieurs séjours (une fois ils lui ont rendu toutes ses affaires pour qu’il se change pour la sortie, fait payer une forte amende (environ 700 euros), et au dernier moment, ils ont tout repris pour une nouvelle peine.
Notre hôtesse nous avait raconté la même chose : son frère libéré, en route, la famille préparant la fête, puis il est repris sur la route du retour pour une nouvelle peine). Le directeur nous fait visiter son centre, vaste et tout neuf : chambres avec salle de bains, salle de Gym avec machines de musculation, bureaux, salles de réunion, grande salle (1000 places) pour réunions ou repas de mariage (cuisine), jardin très fleuri et jeux pour familles, centre d’animation pour jeunes et pour enfants. Il nous montre aussi dans le quartier : le dispensaire, l’école pour enfants sourds (offerte par le Pape Jean-Paul II). Une grande photo montre les profils de Jean-Paul II et Yasser Arafat, très souriants, se tenant chaleureusement les mains, et une légende : "Et maintenant, comment allez-vous construire une maison de pierres vivantes" ? signé St Paul (sic) ; et j’ai pensé : Qui parle à qui ?
Nous avons vu à divers endroits du quartier des bâtiments sociaux variés signés "Union européenne, Japon, France", tout juste finis, parfois pas encore ouverts au public. C’est bien que les Nations se préoccupent d’assister cette population. Ne serait-ce pas mieux qu’elles lui garantissent un État véritable et viable : liberté de circuler, d’entreprendre, de garer son propre sol, à l’abri de toute armée étrangère ? La promenade s’est terminée sur une terrasse d’où on voyait toute la ville. Au loin, un grand ensemble d’immeubles de 8 à 10 étages : les appartements y sont achetés par des gens du camp.
– Est-ce que la ville commence à avoir une économie propre, tend à devenir une vraie ville ?
– Non.
– Si un jour on accorde aux réfugiés le "droit au retour" dans la maison de leur ancien village, dont certains portent toujours la clé sur eux, quitteront-ils leur appartement ?
–Si j’apprends demain que le droit au retour entre en vigueur, je ne demande même pas son avis à ma femme et je retourne tout de suite dans mon village, parce que c’est mon pays, répond notre guide avec passion. Puis il ajoute : -Peut-être que certains voudront rester, mais ils doivent avoir le choix et recevoir un dédommagement pour ce qu’ils ont souffert et pour le prix de leur terre.
Sa femme a passé un moment avec nous pour répondre à nos questions concernant les femmes. Je sélectionne cette réponse : - Contrôle des naissances ? - Quand on a autant de chances que nous de perdre un enfant tué, on n’a pas envie de limiter les naissances. D’ailleurs nous aimons les enfants, ce sont les fleurs de la vie.
MA’SARAH : C’est un village palestinien au Sud-Ouest de Bethlehem. J’y avais rendez vous, hors mission AFPS, avec le maire, Mahmoud S., qui y est aussi professeur de physique au lycée. Il nous a fait visiter son lycée avec sa belle salle de sciences et ses ordinateurs, quelques équipements sociaux et surtout la vue du haut du village, vers l’Ouest : en contrebas, une route barre l’accès à une large vallée cultivée ; c’est une partie du terroir de Ma’sarah. C’est ce que le projet du Mur appelle l’enclave de Gush Etzion (12 km sur 12) ; près de la ligne verte il y a d’importantes colonies juives et la barrière doit quitter la ligne verte, passer le long de la route que nous voyons en bas pour annexer de fait toute la vallée. Il y a là 5 villages arabes qui seront enfermés ; ils ne pourront pas aller vers l’Ouest puisque c’est Israël, et seront privés à l’Est d’accès direct à leurs centres, Ma’sarah ou Bethlehem : seulement une porte, au Nord, dont ils n’auront pas la clé..
J’avais déjà rencontré Mahmoud à Mens en septembre où, profitant de son stage au CNRS de Grenoble, il avait demandé à rencontrer les élus d’une petite région rurale à peu près de la même taille que la sienne, avec quelques villages. L’UJFP (Union Juive Française pour la Paix) l’a orienté sur Mens et le Trièves et nous avons organisé une réunion à Mens où il a exprimé le souhait de parvenir à un jumelage avec la région. Le Ministère des Affaires Étrangères français encourage ce genre de jumelage, en particulier en Palestine, à travers "Cités Unies", en finançant pour moitié tout projet bien abouti entre collectivités territoriales française et palestinienne. Seuls 3 élus étaient présents à notre réunion, mais il y avait 70 autres personnes. Depuis, avec une dizaine des participants, nous essayons d’expliquer les choses aux autres maires ; ils sont réticents à l’idée d’un jumelage, difficile à léguer à une nouvelle municipalité. Mais nous allons recevoir en janvier Mahmoud, un agriculteur et deux adolescents en vacances à cette période pour leur faire visiter le Trièves : exploitations agricoles modestes, municipalités, réalisations touristiques ou de transformation des produits fermiers, et le collège pour préparer un échange par mel et peut-être plus tard par voyages dans les deux sens. Nous verrons ensuite comment les échanges peuvent mûrir.
Pour l’instant il nous faut payer les 4 voyages. Si par hasard vous souhaitiez ajouter à vos cadeaux de fin d’année déjà distribués un petit bout de billet d’avion, prévenez-nous : nous pourrions ainsi faire appel à vous si nous ne trouvions pas assez de subventions.
Merci pour tous les messages de vœux déjà reçus. Bonne année à tous dans la sérénité qui rend plus efficace en face d’autrui !