Le check point de Qalandiya a changé d’aspect. Des unités renforcées de l’armée et de la police civile, des unités spéciales et la patrouille de la frontière s’y tiennent, derrière des barrières de métal dressées tout autour. De l’autre côté des barrières, les Palestiniens se massent et attendent, hommes à droite, femmes à gauche. Les problèmes habituels d’obtention de permis, d’études, ou de travail, ont été remplacés par une unique préoccupation, commune à tous : aller prier aux lieux saints du Haram al Sharif et d’al Aqsa sur le Mont du Temple.
Soldats et policiers sont là pour sélectionner, selon trois critères, ceux qui veulent entrer dans le terminal : la couleur de leur pièce d’identité (vert et orange pour les Palestiniens résidants de Cisjordanie, bleu pour les Palestiniens résidants de Jérusalem et d’Israël), leur âge, et s’ils ont ou non une autorisation spéciale pour aller prier. Parfois ils laissent passer un Palestinien parce qu’il a l’air "assez vieux", pour le voir refouler une demi-heure plus tard. Au guichet de contrôle, on s’est aperçu qu’il lui manquait trois mois pour avoir l’âge minimum pour passer...
Le rituel habituel du "refus d’accès à la prière" fonctionne mieux que les années précédentes. Cette année, la fête juive de Soukkoth coïncide avec le troisième vendredi de Ramadan. Des milliers d’Israéliens juifs vont en pèlerinage au Mur des Lamentations pour prier et glisser leur requête dans les fentes des pierres antiques du Mur, selon la vieille tradition. A cette occasion, les Palestiniens sont contrôlés de façon particulièrement approfondie, pour en tenir un maximum à l’écart de la terre sacrée. Il est clair que, pour ce qui est de la prière, on ne peut pas comparer les Juifs, dont la prière monte directement auprès du Vrai Dieu, et les Musulmans, dont nous ne reconnaissons pas la foi.
(Qalandiya, 28.9).
Instructions officielles communiquées avant le mois de Ramadan :
– Accès libre aux hommes de plus de 50 ans.
– Accès libre aux femmes de plus de 45 ans.
– Accès autorisé aux hommes de 45 à 50 ans disposant d’un permis spécial pour aller prier.
– Accès autorisé aux femmes de 35 à 45 ans disposant d’un permis spécial pour aller prier.
– Refus général d’accès aux hommes de moins de 45 ans et aux femmes de moins de 35 ans.
Le premier vendredi de Ramadan – qui coïncidait avec le deuxième jour de la fête juive de Rosh Hashana – en fait seuls les hommes de plus de 60 ans étaient autorisés à passer. Ce n’est qu’à 11h que la consigne a changé, et que les hommes de 50 à 60 ans ont pu passer également.
Le deuxième vendredi de Ramadan – veille de Yom Kippour – tout accès a été refusé.
Les troisième et quatrième vendredis de Ramadan, les instructions initiales (antérieures au Ramadan) étaient en vigueur.
Premier vendredi du mois de Ramadan 2007. Un déploiement spécial de l’Administration Civile, de l’armée, et de la police est visible au check point, mais la coordination laisse à désirer. Malgré l’annonce publique de l’Administration Civile concernant les hommes de plus de 50 ans et les femmes de plus de 45, en réalité jusqu’à 11h du matin seuls les hommes de plus de 60 ans (et qui ne figurent pas sur la liste noire des services secrets) sont autorisés à passer. Après 11h la consigne change, et hommes et femmes de plus de 50 ans peuvent passer sans permis spécial. (Bethléem, 14.9)
Le Terminal lui-même est presque vide : il y a peu de passage, parce que très peu de personnes en provenance de Qalandiya ont pu y entrer, et que seuls les détenteurs de cartes d’identité bleues sont autorisés à passer le check point.
A l’extérieur, de l’autre côté de la route qui mène à l’esplanade du Terminal, derrière les barrières de la police, des centaines de personnes, hommes, femmes, vieillards et enfants, se sont massées en deux points. Leur nombre finit par dépasser les mille. Des tout-petits dans les bras de leurs parents, des gens âgés qui attendent en groupe, au soleil, ou à l’ombre, demandant avec insistance de pouvoir passer. Ils sont venus pour participer à la prière à la mosquée Al Aqsa, et n’ont pas eu le droit d’entrer. Seul un filet de gens sélectionnés, détenteurs d’une pièce d’identité bleue (résidants d’Israël), qui ont réussi à se frayer un chemin à travers la foule, ont eu le droit de passer la barrière de la police et d’avoir accès au terminal. Souffrance, colère et frustration sont perceptibles, mais c’est dans un silence tendu que les gens s’entassent.
Les policiers, eux, s’agitent en permanence, menaçants. Il y a là des douzaines de policiers en tenue complète, avec matraque, casque à masque protecteur en plexiglas, vêtements de protection, gilet pare-balles, ainsi que la police montée, des canons à eau, et un véhicule équipé de ce qui semble être des dispositifs pour tirer des balles à revêtement de caoutchouc. Régulièrement policiers et militaires se précipitent de-ci delà. (Qalandiya 21.9)
A l’attention de la ligne spéciale humanitaire de l’armée.
A 16h30 tout est tranquille. Mais le calme peut n’être qu’apparent. En effet un père et son fils de sept ans arrivent au check point (ils habitent à Qusin) – et sont envoyés en cellule de détention, de même qu’un garçon de 11 ans, arrivé de Tulkarem, qui rentre chez lui. Le petit se couvre les yeux de ses mains et le père explique qu’ils reviennent de l’hôpital, où ils ont fait soigner les yeux de l’enfant. Il a demandé à pouvoir utiliser la ligne humanitaire à cause de l’état de son fils, et présenté les documents médicaux qui l’attestent. Le commandant du check point l’accuse de vouloir échapper au contrôle et refuse de l’écouter. Ce n’est qu’à 17h15 que le numéro de la carte d’identité du père est communiqué à la brigade pour vérification. Nos appels à la ligne spéciale de l’armée sont vains.
A 18h45 passe le dernier taxi pour Naplouse.
A 19h10 père et fils sont toujours détenus. Nous appelons pour la -deuxième fois le chef du DCO : il prétend avoir appris qu’ils ont été relâchés depuis longtemps. Nous lui donnons le numéro de mobile du père pour qu’il ait l’information lui-même.
A 19h20 père et fils repartent chez eux à pied. Il n’y a plus de taxis à cette heure-là, une heure et demie après la rupture officielle du jeûne.
Pendant ce temps, le garçon de 11 ans demande à pouvoir aller à Naplouse pour rentrer chez lui. Le commandant lui dit de téléphoner à ses parents pour que l’un d’entre eux vienne au check point. L’enfant répond qu’ils n’ont pas le téléphone. Réponse du commandant : "Alors, qu’il retourne d’où il vient." L’enfant s’en va plaider sa cause au point de contrôle des véhicules, mais le commandant intervient. La ligne spéciale de l’armée nous répond que sans numéro d’identité (pour un garçon de 11 ans !), ils ne peuvent rien faire. Le soleil est couché, et le gamin erre d’une baraque du check point à l’autre, l’air malheureux et apeuré. Il a le menton qui tremble, dans ses efforts pour retenir ses sanglots. Nous faisons de nouveau appel au chef du DCO.
A 17h30 un dernier piéton franchit à la hâte le check point. Il est prêt à se charger du gamin. Mais le commandant refuse et réitère sa suggestion qu’il retourne d’où il vient. L’homme qui tient le petit stand de vente essaie de lui expliquer qu’il n’a nulle part où aller, parce qu’il habite à Naplouse et que c’est là que sont ses parents. Il nous suggère de l’emmener au check point d’Huwwara, où le passage pour Naplouse se fait sans entrave. Le commandant du check point a entendu, et menace d’appeler le CP d’Huwwara pour bloquer le passage au gamin.
A 18h10 la nuit tombe et le check point est désert, à part nous, le père et son fils malade, et le gamin. La consigne de laisser passer l’enfant finit par arriver, apparemment sur intervention du chef du DCO. Le gamin a peur de marcher dans le noir, et le propriétaire du stand lui propose d’aller avec lui jusqu’à la station de taxis de l’autre côté. Le commandant pointe son arme sur lui en criant : "pas un d’entre vous ne passe là-bas !" Nous nous levons et crions à l’enfant de courir dans le noir, jusqu’à ce qu’il soit hors de vue. Nous voyons des phares et espérons que le conducteur l’a pris. A notre permanence suivante, nous rencontrons un étudiant témoin de la scène, qui nous apprend que le gamin a fini par rentrer chez lui sans encombre. (Beit Iba, 16.9)