La présidence de l’Etat d’Israël n’a pas seulement changé de visage, mardi 10 juin, avec l’élection de Réouven Rivlin au poste qu’occupait Shimon Pérès depuis juin 2007, elle va aussi changer de style et d’orientation politique : à celui qui avait obtenu le prix Nobel de la paix en 1994 (avec Yitzhak Rabin et Yasser Arafat) pour ses efforts en faveur d’un règlement de paix avec les Palestiniens, succède un ardent défenseur du « Grand Israël » et de la colonisation, qui n’a jamais caché son opposition à la création d’un Etat palestinien.
Ancien président du Parti travailliste, Shimon Pérès a longtemps incarné le « camp de la paix ». Celui-ci est aujourd’hui très anémié et le président israélien a de facto servi de caution à la politique très nationaliste du premier ministre, Benyamin Nétanyahou, même s’il s’est opposé à lui sur de nombreux dossiers sensibles, à commencer par le processus israélo-palestinien. De ce point de vue, les idées de Réouven Rivlin semblent davantage en adéquation avec celles du chef du gouvernement, mais à première vue seulement : M. Nétanyahou défend, officiellement, le principe de deux Etats, et il est de notoriété publique que les deux hommes se détestent.
Son élection par les 120 députés de la Knesset (le Parlement israélien) a été acquise au second tour, par 63 voix contre 53 au député Meïr Sheetrit, membre du parti centriste Hatnouah (« Le mouvement »), que préside la ministre de la justice, Tzipi Livni. C’est un score plutôt modeste pour cet ancien président de la Knesset (de 2003 à 2006, et de 2009 à 2013) qui était donné largement favori par les sondages, mais qui s’explique notamment par le soutien à contrecœur que lui a accordé M. Nétanyahou, ce qui a eu pour effet d’émietter le vote du Likoud, le parti de la droite nationaliste dont M. Rivlin est membre depuis 1988.
UNE CAMPAGNE FERTILE EN COUPS BAS
Au premier tour, trois des cinq candidats en lice ont été éliminés : l’ancienne juge de la Cour suprême Dalia Dorner, l’ancien speaker (présidente) de la Knesset Dalia Itzik, et le Prix Nobel de chimie Dan Shechtman. Un sixième candidat, le travailliste Benyamin Ben-Eliezer, ancien ministre de la défense, avait été obligé de se retirer de la course présidentielle, samedi 7 juin, en raison des accusations de corruption le concernant. M. Ben-Eliezer était probablement le rival le plus dangereux de M. Rivlin, avant d’être rattrapé par de multiples révélations mettant en cause son intégrité. La dernière en date aura été la découverte, lundi, par les policiers, d’un coffre bancaire contenant une somme de 2 millions de shekels (426 000 euros) en liquide, que l’intéressé n’avait pas déclarée.
M. Ben-Eliezer aura été la dernière victime d’une campagne électorale qui aura été fertile en coups bas de toutes sortes, sous forme de rumeurs et de calomnies savamment propagées dans la presse. Un autre candidat de poids, Sylvan Shalom, ministre de l’énergie et du développement régional, a dû se retirer de la course (alors qu’il était le candidat pressenti par M. Nétanyahou), à la suite d’accusations de harcèlement sexuel, qui ont finalement été classées sans suite par la justice.
En devenant officiellement, à 74 ans, le 10e président d’Israël, le 28 juillet (le mandat de Shimon Pérès s’achèvera la veille, peu avant son 91e anniversaire), Réouven Rivlin, personnage affable et volontiers gouailleur, va donc entamer une cohabitation difficile avec Benyamin Nétanyahou. Leur inimitié (notoirement partagée par Sara Nétanyahou, l’épouse du premier ministre) est ancienne : elle est notamment due au caractère indépendant de l’ancien speaker de la Knesset, ce qui l’a conduit à s’opposer à plusieurs reprises à l’actuel premier ministre, comme à l’un de ses prédécesseurs, Ariel Sharon.
Depuis deux mois, le chef du gouvernement a tout fait pour barrer la route de M. Rivlin, allant jusqu’à tenter de convaincre Elie Wiesel (qui n’a pas la nationalité israélienne…) de se présenter. Las, âgé de 86 ans, le Prix Nobel de la paix a fait savoir que la fonction ne l’intéressait pas. Cette manœuvre avait été précédée par les efforts de M. Nétanyahou pour retirer au futur président israélien ce qui constitue sa prérogative la plus importante : le choix de la personnalité politique susceptible de former une coalition gouvernementale stable à l’issue des élections parlementaires.
Le premier ministre envisageait la nomination d’un comité spécial qui aurait proposé deux scénarios : soit la nomination automatique du chef du premier parti de la Knesset au poste de premier ministre ; soit la transformation du régime parlementaire actuel en régime présidentiel (une fonction que, il va de soi, M. Nétanyahou aurait briguée). Ces scénarios ayant tourné court, M. Nétanyahou n’a peut-être pas tort de craindre qu’en cas d’élections anticipées, Réouven Rivlin ne favorise pas sa reconduction au poste de premier ministre.
NATIONALISTE RADICAL MAIS DÉMOCRATE
Incarnation de la droite nationaliste la plus radicale, notamment s’agissant de son refus de toutes concessions territoriales envers les Palestiniens, Réouven Rivlin est cependant un personnage plus complexe qu’il n’y paraît, en ce sens qu’il est considéré comme un fervent partisan de la démocratie parlementaire, et de la démocratie tout court : il l’a prouvé en s’opposant aux tentatives d’ostracisme envers les députés arabes-israéliens, et aux projets de loi ultranationalistes comme celui – cher à M. Nétanyahou – de faire d’Israël l’Etat-nation du peuple juif.
Mais son combat de longue date en faveur du dialogue entre Juifs et Arabes a des limites idéologiques : dans la solution d’un seul Etat qu’il préconise, les intéressés devront nécessairement cohabiter… Israël dispose d’un nouveau président pour les sept prochaines années. Ce n’est pas faire injure à l’intéressé de souligner qu’il ne bénéficiera pas du prestige et de la stature de son prédécesseur : Shimon Pérès est l’un des derniers dirigeants de l’époque de la création d’Israël. Il jouit d’une notoriété sur la scène internationale, comme en Israël, qui lui confère une autorité débordant largement le cadre en principe honorifique et protocolaire de sa fonction.