Israël a réussi a présenter un rapport sur la situation des droits de l’homme dans son pays, sans même parler des territoires occupés. C’était la semaine dernière au Conseil des droits de l’homme, où l’Etat hébreu passait son examen périodique universel (EPU). Deux journalistes venus assister aux sessions de l’EPU dans le cadre d’un programme de formation (*) ont suivi la prestation avec une attention particulière : Gaby Goldman, du grand quotidien israélien Maariv à Tel Aviv ; et Nasser Laham, rédacteur en chef de l’agence de presse palestinienne Maan basée à Bethlehem. Une occasion unique pour un entretien croisé
Vous avez quitté la salle du Conseil avant la fin de l’examen d’Israël la semaine dernière, pourquoi ?
Nasser Laham Un rapport sur la situation des droits de l’homme en Israël qui ne mentionne pas les Palestiniens, c’est comme un steak sans viande. Israël a tenté d’imaginer un pays limité aux affaires intérieures [sans les Palestiniens]. Mais c’est la même terre, la même eau, la même vie…
Gaby Goldman J’ai eu le sentiment d’un total gaspillage de temps, chacun disant ce qu’on attendait qu’il dise. Le processus est totalement politisé, la plupart des commentaires étaient juste… je ne dirais pas des volées contre Israël, je m’attendais à plus virulent. C’était juste la répétition des mêmes choses, encore et toujours. Cela m’a fait comprendre clairement pourquoi les gens disent que les Nations Unies c’est principalement des paroles, et pour ainsi dire du temps perdu. C’est peut-être un nouveau mécanisme, mais les problèmes demeurent et cela ne semble mener nulle part.
Avez-vous appris quelque chose du rapport présenté par Israël ?
G.G. J’ai trouvé le rapport très intéressant sur les questions domestiques, il faisait un bon résumé de ce qui se passe en Israël, dont j’ignorais moi-même une large part. Mais de nouveau, on peut présumer qu’il y a nécessité d’améliorer le droit des femmes ou celui des handicapés en Israël, ou la liberté de religion, ou des choses comme ça. Mais le sujet vraiment principal, c’est celui des Palestiniens. Même moi, comme Israélienne, j’ai trouvé que c’était une lacune de ne pas le mentionner.
N.L. Beaucoup de choses manquent. Comme expert en affaires israéliennes, je trouve qu’on devrait parler plus à fond des problèmes du pays. Par exemple, des femmes qui sont amenées en Israël de Russie, comme des chevaux, c’est un problème très important et très délicat ; et les questions de droit civil, de religion, de mariage, de divorce, ne sont pas mentionnées clairement dans le rapport. Il n’était pas complet, même sur les problèmes israéliens, tout argument politique mis à part.
Cette coupure entre Israël d’un côté qui ne présentait que des affaires intérieures et les réactions de la salle de l’autre, qui a posé des questions principalement sur les territoires occupés, reflète-t-elle la situation sur le terrain ?
G.G. Non absolument pas. En Israël le sujet n’est pas évacué. La presse, le système politique, en fait tout Israël est pris au quotidien par la question palestinienne. Beaucoup plus que par les droits des femmes, ou des enfants… des questions dont on devrait s’occuper. Dans ce sens, c’est l’exact opposé de ce qu’on voit ici. Si ces problèmes bénéficiaient de la même attention et des mêmes ressources que le rapport le dit, Israël serait un paradis.
Etes-vous surpris de la manière dont la délégation a présenté son rapport ?
N.L. Je pense que le rapport était fait de manière professionnelle, mais que son contenu était faible.
G.G. J’étais un peu surprise. Mais après avoir discuté avec l’ambassadeur israélien, j’ai compris sa démarche. Il m’a dit, écoutez, on s’occupe de ce sujet (palestinien) chaque semaine et presque chaque jour. Chaque fois que nous sommes invités en session, ou ici ou là, on nous pose des questions sur le conflit israélo-palestinien. Nous voulions utiliser ce forum [l’EPU] pour présenter autre chose.
Qu’allez-vous écrire pour vos médias, depuis Genève ou de retour dans votre rédaction ?
G.G. D’une certaine manière, j’amènerai un élément de preuve de ce qu’on dit toujours en Israël sur l’ONU, incapable de changer. Même un mécanisme supposé être plus pragmatique, plus constructif, est totalement politisé, c’est une perte de temps, y compris sur des sujets aussi importants que les droits de l’homme.
N.L. J’ai écrit deux rapports, un avant, un après la session sur Israël. Je vais aussi écrire après les rencontres avec les ambassadeurs israéliens et palestiniens. A mon sens, l’EPU et le processus de l’ONU sont très utiles pour la psychologie du peuple palestinien, cela signifie que la vie n’est pas une jungle, et que nous pouvons discuter de nos problèmes d’une manière civilisée…
Mais l’ONU parle de vos problèmes depuis 40 ans…
N.L. Oui, je sais…
G.G. …et le problème se porte bien !
N.L. Je sais, mais l’autre alternative est de croire en Osama Ben Laden. Alors ne nous posons pas la question.
Qu’attendez-vous des recommandations qui vont suivre l’examen ?
N.L. De ce que j’ai entendu des Israéliens, ils veulent régler le problème… Je crois qu’ils veulent cesser l’occupation.
G.G. Comme je l’ai compris de l’ambassadeur israélien, dès lors qu’il s’agit d’un processus basé sur la discussion, ils ne vont pas intégrer les recommandations sur la fin de l’occupation ou le renoncement à la Cisjordanie. Donc, du point de vue israélien, il n’y a pas grand souci à se faire. D’abord, ils ne vont pas accepter ces recommandations. C’est leur prérogative, beaucoup de pays ont refusé de nombreuses recommandations, c’est ainsi que fonctionne le processus .
Vous sentez-vous d’abord Palestinien et Israélienne, ou d’abord journalistes ?
N.L. Les deux, il n’y a pas de conflit. Je me sens Palestinien, nationaliste, mobilisé, et je me sens journaliste, participant des droits de l’homme et du monde, je crois en cela.
G.G. Je suis d’accord. Je dirais d’abord journaliste, mais aussi être humain. Bien sûr, ici je suis comme journaliste. Mais le fait est que les Palestiniens et nous, pas seulement ici, mais aussi sur place, nous sommes si proches, nous sommes cousins, nous nous connaissons beaucoup mieux que nous connaissons des Juifs et eux des Arabes dans d’autres pays. Sur de nombreux points, je suis plus en accord avec les Palestiniens qu’avec, disons les extrémistes ou les gens d’un autre bord politique dans ma propre société.