La première rend possible le retrait de la citoyenneté à des personnes estimées coupables de délits contre la sécurité de l’État. Israël s’enorgueillit d’avoir une grande variété de lois de ce genre. Le retrait de la citoyenneté sur de tels fondements est contraire au droit et aux conventions internationales.
La seconde est plus raffinée. Elle permet à des communautés de moins de 400 familles de nommer des “commissions d’admission” qui peuvent s’opposer à ce que des personnes indésirables y vivent. Très astucieusement elle interdit de façon précise le rejet de candidats en raison de leur race, leur religion, etc. – mais ce paragraphe est purement formel. Un candidat arabe sera refusé simplement à cause de ses nombreux enfants ou parce qu’il n’a pas fait de service militaire.
Une majorité de membres n’ont pas jugé utile de se présenter pour le vote. Après tout, il était tard et ils ont des familles, eux aussi. Qui sait, certains ont même eu honte de voter. Mais une troisième loi est encore pire et elle est assurée de franchir les dernières étapes d’ici à quelques semaines : la loi mettant hors la loi le boycott des colonies.
DEPUIS SES étapes initiales, le texte rudimentaire originel de ce projet de loi a été sensiblement amélioré.
Tel qu’elle se présente actuellement, la loi punira toute personne ou association qui apellera publiquement à un boycott d’Israël – économique, universitaire ou culturel. Par “Israël”, selon cette loi, on entend toute personne ou entreprise israélienne, en Israël ou dans tout territoire contrôlé par Israël. En clair : cela concerne entièrement les colonies. Et pas seulement le boycott des produits des colonies qui fut initié par Gush Shalom il y a quelques 13 années, mais aussi le refus récent d’acteurs de jouer dans la colonie d’Ariel et l’appel d’universitaires à refuser de soutenir le soi disant centre universitaire qui s’y trouve. Elle s’applique aussi, naturellement à tout appel au boycott d’une université israélienne ou d’une entreprise commerciale israélienne.
C’est un acte législatif fondamentalement vicié : il est anti-démocratique, discriminatoire, annexioniste et en même temps anticonstitutionnel.
CHACUN A le droit d’acheter ou de ne pas acheter ce qu’il souhaite à qui il ou elle choisit. C’est tellement évident qu’il n’est pas nécessaire de le confirmer. Cela fait partie du droit de libre expression garanti par toute constitution respectable, et c’est un élément essentiel d’une économie de marché.
Je peux acheter au magasin du coin parce que j’aime le propriétaire et fuir le supermarché d’en face qui exploite son personnel. Les entreprises dépensent des sommes considérables pour me convaincre d’acheter leurs produits plutôt que ceux des autres.
Qu’en est-il des campagnes à motivation idéologique ? Il y a des années, lors d’une visite à New York, je me laissai convaincre de ne pas acheter de raisins de Californie, parce que les propriétaires opprimaient les travailleurs migrants mexicains. Ce boycott s’est poursuivi longtemps et fut – si mes souvenirs sont exacts – couronné de succès. Personne n’osa suggérer que de tels boycotts devraient être interdits par la loi.
Ici en Israël, des rabbins de nombreuses communautés placardent régulièrement des affiches appelant leurs ouailles à ne pas acheter dans certains magasins dont ils pensent qu’ils ne sont pas cashers, ou pas assez cashers. De tels appels sont monnaie courante.
De tels appels sont pleinement compatibles avec les droits humains. Des citoyens pour qui le porc est une abomination ont le droit d’être informés des magasins qui vendent du porc et de ceux qui n’en vendent pas. Pour autant que je sache, personne en Israël n’a jamais contesté ce droit.
Tôt ou tard, des groupes anti-religieux vont lancer des appels à boycotter les boutiques casher, qui paient aux rabbins – dont certains sont les plus intolérants d’entre eux – de lourdes taxes pour leurs certificats. Ils soutiennent d’importantes institutions religieuses qui plaident pour transformer Israël en un “État Halakha” – l’équivalent juif d’un “État de Sharia” musulman. De nombreux milliers de contrôleurs de Kashrout et des myriades d’autres fonctionnaires religieux sont rémunérés par un public largement sécularisé.
Alors, que dire d’un boycott anti-rabbinique ? Il est difficile de l’interdire, puisque des droits égaux sont garantis aux religieux et aux anti-religieux.
AINSI IL s’avère que tous les boycotts à motivation idéologique ne sont pas mauvais. Et les initiateurs de ce projet de loi – les racistes de l’école de Lieberman, les gens de droite du Likoud et les “centristes” de Kadima – ne le prétendent pas. Pour eux, les boycotts sont seulement mauvais lorsqu’ils sont dirigés contre la politique nationaliste, annexioniste de ce gouvernement.
Cela est explicitement affirmé dans la loi elle-même. Les boycotts sont illégaux s’ils sont dirigés contre l’État d’Israël – mais non, par exemple, par l’État d’Israël contre quelqu’autre État. Aucun Israélien de bon sens ne condamnerait rétroactivement le boycott imposé par le judaïsme mondial à l’Allemagne immédiatement après l’arrivée au pouvoir des Nazis – un boycott qui servit de prétexte à Goebbels lorsqu’il déclancha, le 1er avril 1933 le premier boycott antisémite nazi (“Deutsche wehrt euch ! Kauft nicht bei Juden !”)
Et aucun vrai sioniste ne trouverait à condamner les mesures de boycott prises par le Congrès, sous une forte pression juive, contre l’ancienne Union Soviétique, pour abattre les barrières à une libre émigration juive. Ces mesures connurent une grande réussite.
Le succès ne fut pas moindre pour le boycott mondial contre le régime d’apartheid en Afrique du Sud – un boycott chaleureusement accueilli par le mouvement de libération sud-africain, bien qu’il ait frappé aussi les travailleurs employés par les sociétés blanches boycottées (un argument répété actuellement par les colons israéliens, qui exploitent des travailleurs palestiniens pour des salaires de famine).
Ainsi des boycotts politiques ne sont pas mauvais, tant qu’ils sont dirigés contre d’autres. C’est la vieille “morale hottentote” de la tradition coloniale – “si je vole ta vache, c’est bien. Si tu voles ma vache, c’est mal.”
Les gens de droite ont le droit d’appeler à agir contre les organisations de gauche. Les gens de gauche n’ont pas le droit d’appeler à agir contre des organisations de droite. C’est aussi simple que cela.
MAIS LA loi n’est pas seulement anti-démocratique et discriminatoire, elle est également annexionniste de façon flagrante.
Par une simple astuce sémantique, en moins d’une phrase, les législateurs réalisent ce que des gouvernements israéliens successifs n’avaient pas osé faire : ils annexent à Israël les territoires palestiniens occupés.
Ou peut-être serait-ce l’inverse : les colons seraient-ils en train d’annexer Israël ? Le mot “colonies” ne figure pas dans le texte. Qu’à Dieu ne plaise. Tout comme le mot “Arabes” ne figure dans aucune des autres lois.
En revanche, le texte stipule simplement que les appels au boycott d’Israël, qui sont interdits par la loi, concernent aussi le boycott des institutions et entreprises de tous les territoires sous contrôle israélien. Cela comprend, naturellement, la Cisjordanie, Jérusalem Est et les Hauteurs du Golan.
C’est le cœur de l’affaire. Tout le reste n’est que camouflage.
Les initiateurs veulent réduire au silence notre appel au boycott des colonies qui gagne du terrain dans l’ensemble du monde.
L’IRONIE de la chose c’est qu’ils pourraient bien obtenir l’effet tout à fait contraire.
Lorsque nous avons démarré le boycott, notre objectif déclaré était de tracer une ligne claire entre Israël dans ses frontières reconnues – la ligne verte – et les colonies. Nous ne plaidons pas pour un boycott de l’État d’Israël qui, nous le pensons, envoie le mauvais message et pousse le centre israélien dans les bras de l’extrême droite qui n’attend que cela (“Le monde entier est contre nous !”) Un boycott des colonies, à notre avis, aide à restaurer le Ligne Verte et à faire une claire distinction.
Cette loi fait exactement le contraire. En effaçant la frontière entre l’État d’Israël et les colonies, elle fait le jeu de ceux qui appellent au boycott d’Israël en pensant (à tort de mon point de vue) qu’un état d’apartheid unifié ouvrirait la voie à un avenir démocratique.
Récemment, la folie de la loi a été mise en évidence par un juge français de Grenoble. L’incident concernait la société israélienne quasi monopolistique d’exportation de produits agricoles, Agrexco. Le juge a suspecté la société de fraude parce que des produits en provenance des colonies étaient faussement déclarés comme venant d’Israël. Il pourrait bien s’agir de fraude aussi parce que les exportations israéliennes vers l’Europe bénéficient d’un traitement préférentiel, ce qui n’est pas le cas pour les produits des colonies.
De tels incidents se produisent de plus en plus souvent dans divers pays européens. Cette loi va entraîner leur multiplication.
DANS LA version originale, les boycotteurs auraient été accusés d’un délit criminel et se seraient vu infliger une amende. Cela nous aurait causé une grande joie, à cause de notre refus de payer les amendes et du fait que l’emprisonnement qui s’en serait suivi aurait donné à l’affaire un tour dramatique.
Cette clause a maintenant été supprimée. Mais toute société des colonies et même chaque colon individuel qui se sent lésé par le boycott peut poursuivre en justice – pour des dommages illimités – tout groupe appelant au boycott et tout individu ayant un rapport avec l’appel. Du fait que les colons sont parfaitement organisés et qu’ils bénéficient de fonds illimités de toutes sortes de propriétaires de casinos et de sordides marchants de sexe, ils peuvent engager des milliers de poursuites et pratiquement paralyser le mouvement de boycott. C’est naturellement l’objectif.
Le combat est loin d’être terminé. Lors de la promulgation de la loi, nous demanderons à la Cour Suprême de l’annuler comme contraire aux principes fondamentaux de la constitution israélienne et aux droits humains fondamentaux.
Comme avait coutume de dire Menachem Begin : “Il y a encore des juges à Jérusalem !”
Mais y en a-t-il ?