Je crois qu’il y est enfin parvenu…
Fort opportunément, des soldats israéliens se mettent à témoigner de la brutalité de l’attaque sur Gaza. Leurs témoignages ont été accueillis par l’armée israélienne qui a décidé de commander une enquête. Depuis, un débat secoue les cénacles israéliens entre ceux qui admettent que "l’armée la plus morale du monde" est fondée à enquêter sur les brebis galeuses qui se dissimulent dans ses propres rangs et ceux qui préféreraient que le processus soit confié à une commission indépendante. Tout le monde ou presque, en Israël, s’accorde sur le fait que ce travail doit être fait en Israël, par des Israéliens et pour des Israéliens. Personne ou presque, en Israël, ne se demande pourquoi ces soldats n’ont pas réagi durant l’agression elle-même, ce qui aurait peut-être contribué, sinon à la stopper, du moins à en limiter les dégâts. Personne ou presque, en Israël, ne se demande pourquoi ces âmes torturées attendent la fin de la tragédie pour soulager leurs consciences. Surtout, personne ou presque, en Israël ne se pose la question de la nouveauté de ces révélations. En vérité, elle n’existe pas. Personne dans le monde n’a attendu que ces jeunes gens aillent à confesse pour apprendre que "l’armée la plus morale du monde" avait assassiné des civils, des centaines d’enfants, qu’elle avait dévasté, brûlé, ruiné avec autant de retenue qu’un Gengis Khan au meilleur de sa forme.
Il suffisait de regarder les écrans de télévision, y compris ceux des pays amis d’Israël qui n’ont pas réussi à maintenir jusqu’au bout le blackout devant l’ampleur du massacre. Il suffisait de lire les comptes rendus d’Amnesty International, de Human Rights Watch, de l’UNRWA, de l’ONU, qui reprenaient, presque mot pour mot, ceux des organisations palestiniennes de défense des droits de l’Homme. Des organisations israéliennes comme Gush Shalom ou Mahsom Watch avaient relayé ces accusations. Leur voix est très faible et le grand public israélien les perçoit comme des organisations allogènes, sujettes à soupçon.
Et pourtant, ce qui fait événement, c’est le "coming out" des soldats israéliens. C’est que leurs déclarations sont venues fort opportunément remettre en selle le caractère exemplaire de leur pays. Quel formidable exemple de la force du vieil adage : " Quand des événements nous dépassent, feignons d’en être les organisateurs ". Que retiennent les médias, en effet ? Ils retiennent la formidable vitalité démocratique d’une société qui n’hésite pas à dévoiler ses tares. Ce faisant, elle préserve, croit-elle, son capital moral. Elle continue dans sa propension à se percevoir comme une société idéale, insensible aux bruits du reste du monde. Elle organise en vase clos sa mise en accusation et son absolution.
On a beaucoup parlé de l’autisme d’une société qui organise des déjeuners sur l’herbe à la lisière d’un territoire où se déroule un massacre et qui applaudit à chaque explosion, à chaque nuage de fumée, une société où des soldats se promènent avec des tee-shirts appelant ouvertement au massacre. Gaza en a été l’illustration éclatante.
Je rejoins l’excellent travail de Gidéon Lévy qui met au jour cette attitude dans le film " Valse avec Béchir ". Construit sur le massacre de Sabra et Chatila, ce film réussit la prouesse d’occulter les souffrances palestiniennes pour ne retenir que celles des "héros" israéliens qui les ont fait subir. Leurs tourments seuls valent d’être mis en scène et seule, l’absolution de leurs pairs vaut acquittement...