Photo : Vue aérienne du camp de réfugié.e.s de Ein el-Hilweh créé en 1948 et dont le nom signifie « source d’eau douce » en arabe - Crédits : UNRWA
Au moins neuf personnes ont été tuées et des dizaines d’autres blessées au cours de trois jours de combats à Ein el-Hilweh, le plus grand camp de réfugiés palestiniens au Liban.
La recrudescence des échanges de tirs et des bombardements lundi a contraint de nombreux habitants terrifiés à fuir leurs maisons dans le camp, qui abrite plus de 63 000 personnes, selon l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA).
Cinq membres du Fatah et un combattant du mouvement armé Junud al-Sham figurent parmi les personnes tuées dans les affrontements, ont indiqué des responsables.
Les médias locaux ont annoncé que plus de 40 personnes, dont des enfants, ont été blessées dans le camp situé près de la ville portuaire de Sidon, dans le sud du Liban.
Les violences ont commencé samedi lorsqu’un inconnu a tenté de tuer un membre d’un groupe armé nommé Mahmoud Khalil, mais a tiré mortellement sur son compagnon.
Dans les affrontements qui ont suivi, le commandant du Fatah, Abu Ashraf al-Armouchi, et plusieurs de ses collaborateurs ont été tués. Al-Armouchi était chargé de la sécurité à l’intérieur de Ein el-Hilweh.
Dans une déclaration diffusée par l’agence de presse palestinienne WAFA, la présidence palestinienne a dénoncé « le massacre odieux et l’assassinat terroriste des forces de sécurité nationale qui travaillaient dur pour maintenir la sûreté et la sécurité du camp et de ses résidents ».
La sécurité des camps palestiniens au Liban est une « ligne rouge », a-t-elle ajouté.
L’UNRWA a déclaré qu’elle avait suspendu ses services dans le camp en raison des violences, mais qu’elle avait ouvert ses écoles aux familles cherchant à fuir les combats. Plus de 2 000 personnes ont abandonné leurs maisons, a ajouté l’organisation.
Le camp, densément peuplé, est le théâtre de violentes luttes intestines entre les factions palestiniennes depuis des décennies.
Quelle est l’histoire du camp, pourquoi les combats continuent-ils d’y éclater et quelle est la signification de ces derniers affrontements ?
Qu’est-ce que le camp d’Ein el-Hilweh ?
Comme de nombreux autres camps de réfugiés palestiniens au Liban et dans les pays voisins, Ein el-Hilweh a été créé à la suite de la Nakba de 1948, qui signifie « catastrophe ».
La Nakba est l’expulsion d’au moins 750 000 Palestiniens de leurs maisons, villages et villes par les milices sionistes lors de la création de l’État israélien.
Ein el-Hilweh a été créé à l’origine par le Comité international de la Croix-Rouge ; la plupart de ses premiers habitants avaient été déplacés des villes côtières du nord de la Palestine.
Aujourd’hui, on compte parmi ses habitants un grand nombre de réfugiés palestiniens, déplacés pendant la guerre civile libanaise et à la suite du conflit de Nahr el-Bared en 2007, lorsque des combats ont éclaté entre le Fatah al-Islam, un groupe armé, et l’armée libanaise.
La population de réfugiés à Ein el-Hilweh a continué à augmenter après 2011, lorsque la guerre civile a éclaté en Syrie après que Bachar el-Assad a réprimé les manifestations antigouvernementales. Des millions de personnes ont été déplacées, y compris des réfugiés palestiniens qui résidaient en Syrie. Nombre d’entre eux se sont réfugiés au Liban et se sont réinstallés dans le camp.
Le camp est entouré d’un grand mur et son accès est limité. Les matériaux utilisés pour la construction sont réglementés par l’armée libanaise, qui gère plusieurs points de contrôle menant au camp.
En vertu d’un accord de longue date, l’armée libanaise n’entre pas dans le camp, laissant sa sécurité interne aux mains des factions palestiniennes qui s’y trouvent.
Onze autres camps de réfugiés officiels sont enregistrés auprès de l’UNRWA au Liban. Ils abritent près d’un demi-million de Palestiniens. Ils vivent dans des conditions sordides et sont soumis à diverses restrictions légales, notamment en matière d’emploi.
Quelle est l’histoire derrière ces affrontements à Ein el-Hilweh ?
Ein el-Hilweh a connu de nombreuses vagues de violence au fil des décennies. Le camp a été le théâtre de combats entre factions et a été un champ de bataille entre les groupes palestiniens et les forces libanaises.
En 1974, pendant la guerre civile libanaise, des dizaines d’avions de chasse israéliens ont bombardé et mitraillé des camps de réfugiés palestiniens au Liban, principalement le camp d’Ein el-Hilweh, dans des attaques présentées comme une réponse à un bombardement antérieur.
Plusieurs personnes avaient été tuées et des dizaines d’autres blessées lors de ce qui, à l’époque, était considéré comme l’attaque aérienne la plus lourde jamais menée au Liban.
On estime qu’environ 20 000 personnes vivaient dans le camp d’Ein el-Hilweh à l’époque, et que nombre d’entre elles ont vu leurs habitations endommagées ou détruites par les bombes et les roquettes israéliennes.
En 1982, lors de l’invasion israélienne du Liban, l’armée israélienne a lourdement bombardé le camp, laissant des bâtiments à moitié détruits dans une mer de décombres.
Les combats qui ont conduit à la quasi destruction du camp, où vivaient environ 25 000 résidents à l’époque, ont duré plusieurs jours, et le nombre de personnes tuées ou blessées reste imprécis.
Des dizaines d’autres frappes aériennes israéliennes ont été enregistrées au cours de la décennie suivante, notamment après le retrait d’Israël de Beyrouth en 1985.
Au début des années 1990, le camp et ses environs ont été le théâtre de combats entre les combattants palestiniens et l’armée libanaise, qui ont fait des dizaines de morts dans le contexte d’instabilité qui a suivi la fin de la longue guerre civile libanaise.
Depuis lors, les différentes factions se sont affrontées pour dominer le camp et ont également réprimé les groupes armés et les fugitifs qui cherchaient un abri dans les quartiers surpeuplés du camp.
En 2017, les factions palestiniennes se sont engagées dans près d’une semaine de combats acharnés contre un groupe armé affilié à ISIL (ISIS).
Que s’est-il passé lors des derniers combats ?
Les combattants liés à la faction du Fatah ont pris de plus en plus d’importance à Ein el-Hilweh ces dernières années.
Au cours des combats entre les membres du Fatah et le groupe islamiste Junud al-Sham ce week-end, un obus de mortier a touché une caserne militaire à l’extérieur du camp et a blessé un soldat, dont l’état est stable, a indiqué l’armée libanaise dans un communiqué.
Les factions du camp ont utilisé des fusils d’assaut et des lance-grenades propulsés par fusée et ont lancé des grenades dans les rues étroites d’Ein el-Hilweh.
Les violences ont duré plusieurs heures et ont poussé certains habitants des quartiers de Sidon proches du camp à fuir leurs maisons. Deux écoles gérées par l’UNRWA ont été endommagées.
Les combats ont été condamnés par le Premier ministre intérimaire Najib Mikati, qui a appelé les dirigeants palestiniens à coopérer avec l’armée libanaise pour contenir la situation.
Traduit par : AFPS