A la veille de la nouvelle année, le président palestinien Mahmoud Abbas a déclaré que la Palestine reconnaissait la compétence de la Cour pénale internationale (CPI), qui a été créée pour traduire en justice les crimes internationaux les plus graves que sont le génocide, les crimes de guerre et crimes contre l’humanité.
Cette déclaration est rétrospective, renvoyant au 13 juin 2014, début du dernier conflit à Gaza. Deux jours plus tard, Mahmoud Abbas a soumis aux Nations unies les documents de ratification du Statut de Rome, et ouvert la voie à l’adhésion de la Palestine à la CPI, qui en sera officiellement membre le 1er avril.
Ces deux initiatives donnent conjointement compétence à la CPI pour des crimes commis par des ressortissants palestiniens ou sur le territoire palestinien depuis le 13 juin 2014, rendant ainsi possible la traduction en justice des responsables politiques ou militaires israéliens et palestiniens.
Les réactions ont été essentiellement hostiles. Le gouvernement israélien a annoncé avec colère des représailles à venir, et a rapidement suspendu le transfert des recettes des taxes collectées au nom de l’Autorité palestinienne. Les Etats-Unis ont qualifié cette initiative de « contre-productive » et certains sénateurs ont évoqué l’idée de couper les aides à l’Autorité palestinienne. Le ministre canadien des Affaires étrangères a dit qu’il s’agissait d’une « décision provocatrice » qui serait « lourde de conséquences fâcheuses ».
Les critiques de l’UE ont été plus voilées : la nouvelle Haute Représentante de l’Union pour les Affaires étrangères a fait référence aux « mesures prises récemment […] susceptibles d’aggraver la situation déjà tendue », et a exhorté les deux parties à « s’abstenir de tout acte qui soit de nature à faire obstacle à une reprise rapide des négociations ».
Les médias du monde entier ont clairement donné l’impression de relayer le consensus selon lequel Mahmoud Abbas mettait la paix en péril et risquait une escalade des tensions en allant à la CPI.
Cette vision est pourtant erronée. Plutôt qu’un obstacle aux négociations ou une provocation à l’égard d’Israël, la CPI pourrait permettre aux deux parties de lutter contre l’impunité et renforcerait en réalité les chances de mettre un terme au cycle de violence.
L’impunité dont jouissent l’ensemble des parties est une des raisons pour lesquelles la résolution du conflit israélo-palestinien nous a jusqu’à maintenant échappé. En l’absence de tout facteur de dissuasion des violences à venir, les adversaires sont pris au piège d’une logique d’agression et de représailles qui semble sans fin.
Nous autres Israéliens avons le droit à la légitime défense, mais nous devons également admettre que les abus quotidiens donnent des raisons aux Palestiniens sous occupation de nous voir aussi comme des agresseurs.
Les tirs indiscriminés de roquettes sur Israël par des terroristes palestiniens sont inexcusables, mais comme le sont également les abus plus discrets et insidieux liés à l’expansion des colonies israéliennes qui privent des Palestiniens ordinaires de leur liberté de mouvement et d’association comme leur accès à des moyens de subsistance.
Ces activités pourraient potentiellement faire l’objet d’enquêtes de la CPI, une perspective qui pousseraient certainement les parties à bien considérer leurs actes avant de commettre ce qui pourrait être qualifié à l’avenir de crime de guerre.
Comme le gouvernement israélien l’a vite relevé, la compétence rétroactive de la CPI concerne aussi bien le Hamas que Tsahal, et ce point montre à lui seul que l’initiative palestinienne est responsable, à la hauteur de ses obligations d’Etat observateur aux Nations unies, et signale sa volonté d’agir en conformité au droit international.
L’UE dit qu’elle soutient la CPI comme « un moyen essentiel pour promouvoir le respect du droit international humanitaire et des droits de l’homme, contribuant ainsi […] au maintien de la paix, à la prévention des conflits et au renforcement de la sécurité internationale ». Elle s’est engagée à « promouvoir un soutien universel au statut de Rome ».
Et pourtant, elle semble faire une exception dans le cas d’Israël et de la Palestine. Cela nuit aux intérêts affichés de l’Europe à promouvoir la paix, ainsi qu’à son opposition de principe envers l’expansion des colonies. Cette exception laisse aussi plus de place aux réactions résolument négatives, menaces ou représailles de la part d’Israël et d’autres gouvernements.
L’Europe a pour tradition de se comporter de manière impartiale envers toutes les parties revendiquant un foyer national en terre sainte. Fidèle à cette tradition, elle devrait cesser de s’opposer implicitement à l’adhésion de la Palestine à la CPI, et au contraire la soutenir haut et fort pour ce qu’elle est, à savoir un renforcement de l’application universelle des principes de justice internationale et d’Etat de droit.
Les Etats membres de l’UE devraient appeler Israël et les Etats-Unis à s’abstenir de toutes représailles, et encourager la Cour à enquêter sur tout crime de guerre potentiel. En tant que pays démocratique, c’est une responsabilité qui incombe également à Israël.
Les principes fondateurs du droit international moderne ont émergé en réaction aux horreurs de la Shoah, au cours de laquelle six millions de juifs ont été tués. Ils ont permis de traduire en justice les dirigeants de l’Allemagne nazie, mais ont été aussi conçus comme des instruments cruciaux pour dissuader de futurs abus.
Ils existent pour notre protection à tous, et pour promouvoir la justice. Si nous choisissons de les ignorer ou de faire de certains cas des exceptions, nous rendons nulle leur protection et affaiblissons la crédibilité des institutions créées pour les incarner.
La CPI est née des cendres de la Shoah : plus que quiconque, les juifs israéliens devraient soutenir son mandat et son rôle.