Ce week-end, j’ai passé beaucoup de temps à voyager en Palestine, ce qui amène inévitablement à traverser les nombreux postes de contrôle israéliens disséminés à travers toute la Cisjordanie. Je voyageais en transport en commun, dans un bus en majorité rempli de Palestiniens. Cependant, en tant que citoyen britannique, et contrairement aux Palestiniens, je n’avais pas à descendre du bus et à marcher à travers les terminaux des check-points. Le checkpoint de Qualandia, véritable poste-frontière entre la ville cisjordanienne de Ramallah et Jérusalem, est peut-être l’un des exemples les plus criants des pratiques discriminatoires de l’armée israélienne.
A l’arrivée au check-point, tout Palestinien ayant un permis pour se rendre à Jérusalem ou une carte d’identité de Jérusalem mais ayant moins de 60 ans, doit descendre du bus et traverser d’hostiles et inhospitaliers tourniquets métalliques où des soldats, assis derrière des vitres blindées, vérifient la validité de ses papiers. Bien évidemment, tout cela pourrait être fait facilement si tous les passagers restaient dans le bus. Bien évidemment, selon les Israéliens, c’est pour « raison de sécurité » - prétexte intemporel- qu’on demande aux Palestiniens de descendre du bus et de traverser le terminal à pied. Mais en fait, ce n’est que pour des considérations politiques : à n’en pas douter, si la sécurité était une telle préoccupation, tout le monde, quelque soit son âge ou sa nationalité, devrait descendre du bus. Après tout, le terrorisme n’est certainement pas limité aux Palestiniens de moins de 65 ans, en possession d’une carte d’identité de Jérusalem ou d’un laissez-passer. Si la sécurité était réellement la priorité, tout le monde descendrait du bus pour traverser le terminal à pied et faire vérifier ses bagages.
Cette fois-ci, je voyageais avec un autre citoyen britannique. Alors que les Palestiniens descendaient du bus, nous restâmes assis et le bus s’approcha de la zone de contrôle, où un soldat monta dans le bus, plaquant nerveusement son arme contre sa poitrine. Les cinq autres passagers du bus étaient tous Palestiniens, des femmes entre 60 et 70 ans qui ne parlaient pas hébreu. Le soldat se mit à leur aboyer dessus en hébreu, leur demandant de montrer leurs papiers. Arrivant vers nous, il jeta un regard rapide sur nos passeports britanniques, sans les ouvrir, sans même vérifier la validité de nos visas, et à notre grande surprise, se mit à nous parler avec un fort accent de l’Est de Londres. Il se mit à rire, et nous demanda ce que nous faisions en Israël (bien que nous étions alors en Cisjordanie, dans les Territoires occupés Palestiniens). Je répondis sèchement que j’étais ici car mon père était Palestinien, il se retourna alors et me dit « Ah, personne n’est parfait ».
Ceci m’amène plusieurs réflexions. Premièrement, quand on contrôle un point de passage traversé par une majorité de personnes parlant arabe, leur parler en hébreu est encore une autre démonstration du comportement dominateur et brutal dont fait si régulièrement preuve l’armée israélienne. En tant que force occupante, et afin d’éviter toute incompréhension et toute méprise quand ils communiquent avec les Palestiniens, ils devraient maîtriser au moins les bases de la langue de la population occupée. Bien évidemment, les chauffeurs de bus israéliens parlent tous un hébreu presque courant, démontrant une nouvelle fois le comportement soumis qui est désormais si ancré chez de nombreux Palestiniens.
Deuxièmement, le soldat qui monta à bord de mon bus, était un autre exemple frappant du déséquilibre de traitement grandissant entre les étrangers et les touristes d’un côté, les Palestiniens de l’autre. Plusieurs fois, j’ai été accueilli à des postes de contrôle en Cisjordanie par des « Bienvenue en Israël ». La Cisjordanie ne fait pas partie d’Israël, c’est en fait une terre conquise en temps de guerre, mais il suffit de traverser la Cisjordanie pour se rendre compte que ces deux entités ne pourraient pas être plus éloignées l’une de l’autre, à la fois économiquement et visuellement. Dès lors se pose la question : est que ces soldats sont simplement ignorants du maelstrom politique dans lequel ils interviennent, ou bien ce refus de reconnaître les terres du peuple palestinien ne démontre-t-il une plus sinistre arrogance ?
Le service militaire en Israël est un rite de passage. En dehors de sa valeur purement militaire, faire son service militaire était traditionnellement reconnu pour faciliter l’intégration des nouveaux immigrants et apporter un supplément d’éducation à de nombreux Israéliens. Le Service National est obligatoire pour les hommes et les femmes d’Israël de plus de 18 ans, même s’il y a des exceptions pour les minorités (pour les Arabes israéliens), pour ceux qui ne sont pas aptes physiquement ou psychologiquement, pour les femmes mariées avec enfants ou pour les juifs ultra-religieux. Ces jeunes grandissent sans contraintes ni difficultés sociales, jouissant de la vie en Israël, puis sont jetés dans la réalité du tourbillon qu’est le conflit israélo-palestinien.
L’ordre de mission de l’IDF (Forces de Défense Israéliennes) stipule que l’IDF défendra l’existence, l’intégrité territoriale et la souveraineté de l’Etat d’Israël. De plus, en 1992, l’IDF a rédigé un Code de Conduite. Le Principe de Base A (à propos des valeurs) affirme que tous les appelés de l’IDF exprimeront les valeurs de base de camaraderie, discipline, respect des droits humains, loyauté, exemplarité personnelle et de professionnalisme. Ce qui amène une question : est-ce que le soldat qui me répondit de manière immature que « personne n’est parfait » croit vraiment qu’il rend service à son pays ? Il n’était clairement pas professionnel, et il n’a montré aucun respect envers moi ou les autres passagers.
Malheureusement, ce n’est pas un incident isolé. Franchissant le checkpoint de Gilo entre Bethlehem et Jérusalem, deux Palestiniens marchaient devant moi. Nous étions les seuls à emprunter le passage en ce milieu de journée. Quand nous sommes arrivés à la guérite de contrôle, une voix grave retentit dans le haut-parleur, dans un anglais peu assuré : « touristes en premier ». Serrant mon passeport, je refusais de passer avant les Palestiniens, qui de toute évidence se rendaient au travail et étaient pressés. Au lieu de cela, je me mis de côté et je regardais la jeune soldate hurler sur les Palestiniens pour qu’ils montrent leurs papiers et se mettent face au mur. Elle répondit ensuite à son téléphone portable et s’engagea dans une conversation pendant plusieurs minutes avant de faire signe aux deux hommes de passer.
Encore une fois, en traitant les Palestiniens d’une manière si désinvolte, tout ce que ces soldats arrivent à faire, c’est de faire honte à leur pays ; un pays qui parle constamment de démocratie et de respect pour la vie de ses citoyens. Pour promouvoir la paix et le respect entre Palestiniens et Israéliens, Israël doit commencer à traiter les Palestiniens avec le respect qu’il demande sans cesse à ses citoyens dorlotés. Ces jeunes hommes et femmes, qui passent sous les drapeaux, directement depuis l’école, doivent être au courant – politiquement et socialement- de la souffrance produite par ce conflit et comprendre que leur mission ne doit pas être prise à la légère. Pour le moment, l’armée israélienne ne fait rien : le minimum serait de faire prendre conscience de la réalité du conflit aux appelés. Jusqu’à ce qu’ils soient appelés, beaucoup d’entre eux ne connaissent pas la réalité de la vie de l’autre côté du mur de séparation, seuls les média leur offrant une image déformée. Il est temps que certains de ces soldats prennent conscience que ce n’est pas un jeu, mais que c’est à des vies humaines qu’ils sont confrontés.