Ils sont une trentaine dans le salon de cet appartement cossu de Jérusalem-ouest. Biscuits et sodas sur les tables, l’atmosphère est bon enfant, plus proche d’une réunion de voisins que d’un meeting de l’ultradroite. Et pourtant. Tous sont venus écouter Danny Ayalon. Ancien ambassadeur d’Israël aux États-Unis, il est un des membres importants d’Israël Beteinou, le parti d’extrême droite dirigé par Avigdor Lieberman, auquel les sondages prédisent un score sans précédent lors des élections législatives du 10 février.
Ce soir, Ayalon est venu présenter le programme de son parti à des électeurs de droite encore indécis mais attirés par des slogans nauséabonds tels que « Seul Lieberman comprend l’arabe ». L’heure n’est plus au politiquement correct, croit-il utile de prévenir, car Israël fait face à une grave menace : l’islam radical. « Je ne dis pas que tous les musulmans sont des terroristes, mais que tous les terroristes sont des musulmans », lance-t-il, expliquant que le monde fait face à un « clash des civilisations ». D’ailleurs, souligne-il, le conflit avec les Palestiniens n’est pas territorial, sinon ils auraient accepté les accords de Camp David et d’Annapolis « où les dirigeants israéliens leur ont tout donné ». Et il n’y aura de toute façon aucune discussion tant que la question de l’Iran mais aussi du Hezbollah et du Hamas ne sera pas « réglée ».
« Nous avons aussi un problème interne que j’appellerais celui de la solidarité nationale », poursuit sans ciller Alayon, en référence à la cible privilégiée d’Israël Beitenou : les Arabes israéliens, qui représentent 20 % de la population, qu’il accuse d’être une cinquième colonne dans le pays. Ayalon rappelle la promesse électorale de son parti en cas de victoire : obliger tout citoyen arabe israélien à faire une déclaration d’allégeance envers Israël, État juif et sioniste, sous peine de perdre sa citoyenneté.
Si le discours de ce parti n’est pas nouveau, son écho grandissant au sein de l’électorat juif israélien l’est. D’origine russe, Avigdor Lieberman puisait jusqu’ici ses voix dans la communauté russophone, mais la « guerre contre Gaza » a changé la donne.
« La campagne est dominée par les questions de sécurité, autour du Hamas, du Hezbollah et de l’Iran, et certains partis capitalisent sur cette situation, explique Raphael Ventura, de l’Institut israélien de la démocratie. C’est le cas de Lieberman qui se concentre sur la question des Arabes vivant en Israël, parle de menace extérieure et intérieure. Cet état d’esprit l’aide à gagner ». Le succès de Lieberman intervient dans un climat déjà très hostile à la population arabe. Il y a un mois, la commission nationale électorale a interdit d’élections deux partis arabes, tandis que plus de 700 personnes, en majorité des Arabes israéliens, ont été arrêtées lors des manifestations organisées en Israël pour protester contre la guerre à Gaza.
Enfin, Israël Beteinou profite de la perte de crédibilité des dirigeants des formations « traditionnelles », tous les grands partis ayant depuis des années mené les mêmes politiques. Quatre jours avant le vote, le pourcentage d’indécis, 30 %, est sans précédent en Israël. Résultat : alors que le parti avait trois députés à la Knesset, le parlement israélien, en 2005, il est monté à 11 depuis 2006 et en obtiendrait 18 à 19 sièges lors de cette élection, ce qui en ferait la troisième force politique du pays devant le Parti travailliste [1].
À Jérusalem-ouest, Danny Ayalon semble avoir convaincu son auditoire. « Vous n’allez pas donner les terres et c’est très important pour moi », le félicite une femme d’une quarantaine d’années, tandis qu’une autre trouve l’idée de la déclaration de loyauté insuffisante face à « des personnes qui ont fait allégeance avec l’ennemi ».
Dans son éditorial de jeudi, le quotidien de centre-gauche Haaretz a lancé un appel urgent à « rejeter Lieberman ». « Comme d’autres leaders de l’extrême droite nationaliste raciste en Europe - Jean-Marie Le Pen, Jörg Haider et d’autres -, il dirige sa propagande directement vers le noyau de peur et de faiblesse de la société, semant les sentiments nationalistes et utilisant une minorité comme punching ball », écrit le journal qui appelle les trois principales formations du pays - Likoud, Kadima et Parti travailliste - à s’en démarquer publiquement.
Netanyahou en tête dans les sondages
Le même jour, Benjamin Netanyahou, le chef du Likoud, en tête dans les sondages, a promis à Lieberman un poste important dans son prochain gouvernement s’il était élu, et Ehoud Barak, candidat du Parti travailliste, a refusé d’exclure une alliance avec lui. Rien d’étonnant à cela. Jusqu’en janvier 2008, Lieberman siégeait dans le gouvernement dirigé par Kadima et le Parti travailliste, en tant que vice-premier ministre et ministre chargé des affaires stratégiques.