C’est le paradoxe de ces trois derniers mois : le peuple arabe le plus insoumis de l’histoire contemporaine, celui des fedayins et des Intifadas, est à peu près le seul qui ne se soit pas soulevé depuis qu’au mois de décembre la révolution tunisienne a provoqué une réaction en chaîne de l’Égypte au Maroc, et du Yémen à la Syrie. Certes, à Gaza, toujours asphyxiée par un blocus épouvantable, des groupes radicaux expédient des roquettes sur le sud d’Israël, et à Bil’in, en Cisjordanie, des manifestations pacifistes continuent de se tenir chaque semaine [1], mais on est loin des vagues de manifestants de la place Tahrir, au Caire, ou de Tunis. Ce calme apparent, Leïla Shahid l’expliquait dans le récent entretien qu’elle nous a accordé : « Les Palestiniens ne peuvent aller plus loin que le premier check-point. La politique israélienne est une politique de fragmentation » (Politis n° 1142).
En outre, depuis juin 2007, le peuple palestinien est divisé géographiquement et politiquement. Mais il existe une autre raison, moins évidente : la stratégie suivie par l’Autorité palestinienne est à bien des égards déconcertante. C’est une stratégie économique de construction d’une société sur une base néolibérale. Une stratégie qui renverse la logique politique qui faisait jusqu’alors de la conquête d’un État souverain, dans les frontières de 1967, et avec Jérusalem-Est pour capitale, la priorité qui mobilisait les énergies. Créer une société sans État, pour exiger ensuite la reconnaissance de l’État, c’est le pari des dirigeants palestiniens. Mais n’est-ce pas prendre le risque de s’adapter durablement à l’occupation ? Peut-on mener à bien un projet économique lorsqu’on ne dispose pas de la souveraineté ? L’enquête menée sur place par Clémentine Cirillo-Allahsa propose des réponses à ces questions. Elle témoigne aussi des transformations en cours dans la société palestinienne. Au moment où les pays voisins, l’Égypte, la Jordanie et même la Syrie, sont en plein bouleversement, c’est tout le conflit israélo-palestinien qui est en train d’être reconfiguré. À l’intérieur comme à l’extérieur.