La Palestine
est surréaliste ; tout continue à se faire :
la cueillette, les programmes de développement,
les plans de formation, la
rénovation des moulins, alors que l’économie
est au bord de l’effondrement,
l’Autorité nationale exsangue et l’unité
nationale malmenée.
Demeure, chevillée au
corps, cette volonté
tenace des agriculteurs
de parier sur l’avenir
en s’impliquant totalement
dans ce projet
de construction de la
filière oléicole, bien
qu’ils soient conscients
qu’au rythme où Israël
construit le mur et
étend les colonies, le
territoire accessible se
rétrécit sans cesse. Audelà
de l’apport économique
réel auquel
l’AFPS contribue avec
ce projet de développement
d’une huile de
qualité, l’espoir et la
joie qu’il suscite est une réussite.
Un vrai travail collectif
Dans les coopératives, nous mesurons
cette année l’apport du travail collectif.
A Mazare’an Nubani, dans la région de
Ramallah, la coopérative qui, en deux
années d’existence, est passée de trente
à cinquante membres, organise la trituration
collective des olives. Une vraie
révolution culturelle qui a nécessité beaucoup
de force de persuasion et la confiance
née de l’expérimentation des actions
pilotes menées depuis trois ans. Celle-ci
permet, en mettant en
commun les petites quantités
récoltées par chaque
oléiculteur, de presser
les olives le jour même
de la cueillette au lieu
d’attendre plusieurs jours
avant d’en ramasser une
quantité suffisante, au
risque d’une fermentation
du produit.
Dès 15h, Mahmoud, le
président de la coopérative
qui a suivi les formations
de techniciens
proposées par le PFU,
accueille les oléiculteurs
au local de la coopérative.
Le plus souvent à
cheval, ceux-ci apportent les olives qu’ils
ont récoltées sur leurs terres très accidentées
dans des sacs de jute qu’ils transfèrent
dans les caissettes ajourées. Les
olives sont inspectées afin de s’assurer
de leur qualité, puis pesées et les données
sont inscrites immédiatement dans
un fichier informatique. A 17h, toutes
les caissettes sont chargées sur un tracteur
qui appartient à la coopérative et
transportées au moulin privé du village
voisin d’Arura afin d’y être pressées. Le
chauffeur et un manutentionnaire sont
payés par la coopérative.
Au moulin règne l’effervescence des
grands jours. Cette année, la production
est énorme. Les sacs s’entassent, débordant
les possibilités d’accueil. Les caissettes
de la coopérative sont groupées
dans un coin en attendant leur tour. Le
contrat passé avec le moulin spécifie que
le pressoir doit être nettoyé au kärcher
avant la trituration collective. Mahmoud,
accompagné, à tour de rôle, d’un autre
coopérateur, surveille le bon déroulement
des opérations. L’huile est ensuite
transvasée directement du moulin dans un
tank en inox attelé au tracteur puis transportée
immédiatement au lieu de stockage
de la coopérative où se trouvent les
cuves en inox. Des échantillons sont prélevés
quotidiennement. Seule l’huile dont
le taux d’acidité est satisfaisant sera stockée.
La quantité pressée est immédiatement
inscrite et informatisée le soir même.
Chaque semaine, le producteur reçoit le
tableau personnalisé de la quantité d’olives
qu’il a livrées, du rendement en huile,
du volume qui lui revient, une fois déduites
la part du moulin et l’évaluation des pertes
(environ 1,5%).
Une huile primée par le premier jury officiel de
dégustation
Le travail de cette coopérative est exemplaire
au point que l’huile de Mazare a
remporté les suffrages du premier jury officiel palestinien de dégustation qui
a tenu sa première session les 15 et 16
novembre 2006, en présence de Jean-
Marie Baldassari, l’expert oléicole des
Alpes de Haute-Provence qui a formé ses
membres à l’analyse sensorielle. Cette
distinction suscite une véritable émulation
entre les coopératives et, en facilitant
la vente rapide de leur huile, elle
incite d’autres producteurs à rejoindre
la coopérative.
Bien sûr les quinze coopératives soutenues
par le PFU -grâce notamment à
l’aide apportée par l’AFPS- n’avancent
pas toutes au même rythme. Beaucoup
d’oléiculteurs ne sont pas encore
convaincus de la nécessité de travailler
ensemble, craignant d’y perdre en mélangeant
leurs olives...« Tant qu’ils raisonneront
en termes de quantité, ils ne
seront pas convaincus du bénéfice de travailler
collectivement » nous explique
Jehad, un des responsables du PFU. « Si
nous privilégions la qualité, nous savons
qu’il faut réduire le temps de pressage
et augmenter nos capacités de stockage
pour mieux répartir le produit d’une
année sur l’autre, donc nous sommes
contraints de travailler ensemble. Regardez
un char, il avance grâce à ses
chaînes... »
Trois niveaux différents
Thomas Cazalis qui, au sein du PFU,
coordonne le projet, distingue trois
groupes. Le premier regroupe les cinq
coopératives les plus récentes (Mazare,
Farkha, Qireh, Joret Amra, Jenin), extrêmement
motivées, bien organisées, qui
travaillent collectivement. Le deuxième
groupe est constitué de six coopératives
dynamiques mais plus anciennes, donc
plus lentes à réactualiser leur pratique
(Saïda, Kufr Thulth, Tell, Deir Istya,
Assira Shamaliyye et Qabalan). Le dernier,
constitué de quatre coopératives
qui ne pratiquent pas la trituration collective
ni le stockage en commun, ne
répond pas aux exigences d’une filière
de qualité.
« Nous sommes, nous dit Thomas, à la
charnière entre les actions démonstratives
des projets pilotes et la consolidation
des acquis au sein de chaque
coopérative pour leur permettre de
s’engager dans la filière, de l’arbre
jusqu’à la bouteille, afin d’exister sur les
marchés internationaux. »
L’enjeu de la commercialisation
Car si 2006 est une excellente année,
ajoute-t-il, « elle révèle toutefois les faiblesses
des coopératives en matière de
commercialisation qui se traduisent par
un mécontentement des meilleures visà-
vis des prix proposés sur le marché
y compris par les entreprises de commerce
équitable. Le succès du développement
de la filière de qualité destinée
à l’exportation a conduit également
le secteur privé à se positionner sur ce
marché, faisant courir le risque aux
producteurs de se voir reléguer encore
plus au rang de simples fournisseurs.
Ayant pris conscience de la nécessité de
s’organiser pour peser sur la fixation
des prix, il y a urgence à développer
les capacités des coopératives à pouvoir
produire et commercialiser plus directement
leurs huiles. »
« Tout cela, rappelle Jehad, à condition
qu’il nous reste encore une Palestine.
Quand on regarde les implantations
israéliennes, ce sont eux les maîtres de
la terre. Dans mon village, à Qireh,
toutes les terres de la coopérative sont
en zone C, sous contrôle israélien. La
vraie question que vous devriez poser
à Bush ou à Chirac serait : “Montrez-nous
sur la carte ce qui reste de la Palestine.”
»
Monique Etienne