Novembre : Avigail, âgée de deux ans, de Jérusalem
C’était il y a un mois, le soir du 28 novembre 2013. Shirin Ben Zion, habitante du quartier de Armon HaNatziv à Jérusalem-Est, rentrait chez elle en voiture, avec ses trois enfants à l’arrière. Sur la route séparant le quartier israélien de Armon HaNatziv du quartier palestinien de Sur Baher, des pierres ont été lancées sur la voiture. Une des pierres a atteint à la tête Avigail, âgée de deux ans. La mère terrorisée l’a transportée d’urgence vers un centre de soins. Les services d’urgence ont déclaré ensuite ce soir-là que “le pronostic vital de la toute-petite n’était pas engagée, qu’elle était consciente et dans un état stationnaire quand elle a été hospitalisée au service de traumatologie de l’Hôpital Hadassah.”
Armon HaNatziv est l’un des quartiers juifs fondés au début des années 1970 à Jérusalem-Est, récemment conquise et annexée à Israël, dans le but de “mener une politique du fait accompli”, de “densifier la population juive” et de créer “une ceinture juive” autour de la Vieille Ville. Armon HaNatziv a été construit sur un vaste terrain dont ont été expropriés en 1970 les Palestiniens de Sur Baher, qui jusqu’alors utilisaient ce terrain pour y faire paître leurs troupeaux. Il y a eu des tensions entre les habitants palestiniens et les Israéliens vivant sur les anciennes terres de ceux-là, dégénérant en violences pendant la Première et la Seconde Intifada et à nouveau l’année dernière. Hors des frontières d’Israël, des quartiers tels que Armon HaNatziv sont considérés comme des territoires occupés et ont été comptés comme tels dans les orientations de l’Union Européenne qui sont récemment devenues des directives. Mais Shirin Ben Zion n’était pas au courant de tout cela, quand elle a déménagé avec son mari et ses enfants à un moment relativement tranquille il y a deux ans. Pour elle et pour la plupart des Israéliens, Armon HaNatziv n’est rien d’autre qu’un quartier ordinaire de Jérusalem où les prix des logements se trouvent être plus faibles qu’ailleurs.
La blessure de la toute-petite Avigail Ben Zion s’est immédiatement trouvée à la “une” et les journaux ont rivalisé dans les formulations sensationnelles : “Toute-petite Blessée dans une Attaque Terroriste”, “Escalade du Terrorisme des Pierres”, “Escalade Intolérable sur la Ligne de Jonction de Jérusalem”. La photo de la petite Avigail est apparue sur toutes les “unes” et des interviews approfondies ont été publiées, de la mère affolée (qui projette de déménager dans un autre quartier le plus tôt possible) et d’autres membres de la famille qui ont dit comment ils avaient entendu les nouvelles dévastatrices.
Le Maire de Jérusalem, Nir Barkat, récemment ré-élu dans des élections que les habitants palestiniens de Jérusalem-Est ont totalement boycottées, s’est précipité à l’hôpital pour rendre visite à la toute-petite et faire une déclaration aux nombreux représentants de la presse qui étaient présents : “C’est intolérable. Les peines pour avoir jeté des pierres doivent être augmentées, une pierre est une arme, purement et simplement.”
Le Premier Ministre Benjamin Netanyahu a déclaré que “les forces de sécurité prendront toutes les mesures nécessaires pour attraper les salauds qui ont touché Avigail”. Dès le petit matin de la même nuit, des agents de la Sûreté sont arrivés chez quatre jeunes Palestiniens de Sur Baher et les ont placés en détention en les soupçonnant d’être les auteurs. Il a été rendu compte de l’arrestation avec grande satisfaction le matin suivant et aucun journaliste n’a exprimé le moindre doute sur la culpabilité des détenus.
Trois jours plus tard, les médias ont rendu compte de la bonne nouvelle de la sortie de l’hôpital de Petite Avigail, apparemment sans blessure grave bien qu’elle doive rester sous surveillance médicale. Ainsi, plus ou moins, cette histoire s’est terminée et les projecteurs des médias se sont déplacés ailleurs.
Décembre : Hala, âgée de trois ans, de Gaza
Il y a eu une semaine d’escalade dans les relations entre Israéliens et Palestiniens. Le week-end dernier, Nafi As-Saadi, âgé de 23 ans, a été tué dans le Camp de Réfugiés de Jénine quand ses habitants palestiniens ont avec audace osé s’opposer à une descente en fin de nuit et à des arrestations par des soldats israéliens. A Qalqiliya, Saleh Yassin, âgé de 28 ans, a été tué dans des circonstances analogues. Et Odeh Hamad, 27 ans a été tué lorsqu’il s’est approché de la barrière-frontière séparant la Bande de Gaza d’Israël. Les Palestiniens disent qu’il voulait juste ramasser de la ferraille pour la recycler, ce qui était son gagne-pain, tandis que, selon les militaires, il essayait de saboter la barrière. De toute façon, il était entré dans la zone des trois cents mètres au-delà de la barrière et, selon les règles établies par les FDI (Forces de Défense Israéliennes), toute personne qui fait cela est passible d’une peine de mort immédiate.
Ces cas n’ont presque eu droit à aucune mention dans les médias israéliens qui ont rendu compte dans les jours suivants d’attaques palestiniennes sur des Israéliens. Un appareil explosif a été placé dans un bus à Bat Yam, et, grâce à la vigilance des passagers et du chauffeur, il a explosé sans faire de victimes. Le jour suivant, Ramy Ravid, 41 ans, un colon au service de la communauté en tant que policier dans la colonie de Geva Binyamin près de Ramallah, a été poignardé dans le dos, tandis qu’il dirigeait le trafic à l’entrée de la colonie, mais par chance le couteau n’a pas touché les organes vitaux. Et le lendemain, Salah Abu Latif, âgé de 22 ans, un entrepreneur civil de la ville de Rahat dans le Néguev, travaillant pour le Ministère de la Défense d’Israël, est allé réparer la barrière-frontière de Gaza afin de gagner de l’argent pour acheter une maison et pour se marier, et s’est fait tirer dessus par un sniper palestinien anonyme et a été tué sur le coup.
Salah Abu Latif étzait un Bédouin du Néguev, une communauté visée par le projet du gouvernement de déplacer des dizaines de milliers de ses membres de leur maison et de leurs terres. Il y a juste quelques semaines, des manifestations de Bédouins ont été dispersées avec une grande violence policière, certains des manifestants –des Bédouins de l’âge d’Abu Latif- étant toujours détenus derrière les barreaux dans une détention particulièrement prolongée. Abu Latif a été tué en tant qu’employé civil des militaires. Le Gouvernement d’Israël a décidé que l’assassinat d’un citoyen israélien ne pouvait être toléré et a ordonné à l’armée de prendre des mesures immédiates de représailles.
Comme l’a remarqué le commentateur vétéran Alex Fishman, il existe depuis longtemps une directive explicite du Chef d’Etat-Major et du Commandant Général du secteur Sud, qui doit être effective quand de telles représailles sont ordonnées, intitulée “Zéro Dommage Collatéral”. C’est-à-dire que les cibles et les armes pour une action de représailles doivent être soigneusement choisies de façon à éviter de nuire à des non-combattants.
Parmi d’autres choses, il est bien connu que les canons installés sur des blindés sont efficaces et sont des moyens appropriés pour livrer bataille à d’autres blindés, mais leur utilisation d’une autre façon doit très probablement aboutir à un “Dommage Collatéral”. Pour des raisons qui sont inconnues (et il est loin d’être sûr que quelqu’un ne
doive un jour mener une enquête sur celles-ci), il a été décidé que des obus tirés par chars serait des représailles rapides valables pour la mort de Salah Abu Latif. L’équipage d’un blindé a reçu pour instructions de tirer quelques obus dans la direction générale de laquelle le sniper avait tiré (et d’où il était depuis longtemps parti).
La famille Al Buheiry possède un petit élevage de poulets à l’Est du Camp de Réfugiés de Maghazy dans la partie centrale de la Bande de Gaza. Un des obus du blindé a directement atteint la maison de la famille. Hala Buheiry, âgée de trois ans, a été tuée sur le coup, touchée à la tête par un éclat d’obus. Soin frère Bilal, également âgé de trois ans, a été blessé, comme l’ont été Muhammad, âgé de six ans et la mère des enfants.
Dans les journaux israéliens du lendemain, il était très difficile de trouver une trace ou une mention de la mort de Hala Al Buheiry, âgée de trois ans. Sa photo n’est pas apparue sur les “unes”, et n’a été trouvée sur aucune page. Sa mort n’a pas non plus été mentionnée sur les gros titres parlant des représailles de l’armée à Gaza. Ceux qui lisent attentivement les comptes-rendus de la presse sans oublier un mot ont pu trouver, noyée discrètement parmi beaucoup d’autres détails, une référence selon laquelle “les Palestiniens affirment qu’une enfant âgée de trois ans a été tué”. Pas un fait objectif. C’est quelque chose que les Palestiniens affirment.
Quel était le nom de la fille ? Qui étaient les membres de sa famille ? Comment est-ce arrivé, exactement ? Ceux qui voulaient le savoir devaient aller voir sur les sites palestiniens d’information. Techniquement, cela est très facile pour chacun dont l’ordinateur est connecté au réseau , un clic avec la souris de l’ordinateur suffit. Mais très peu d’Israéliens envisagent de consulter un site palestinien d’information.
Ce qui attirait la plus grande attention des médias c’était les comptes-rendus sur l’état d’alerte dans la région de la frontière avec Gaza, dans l’attente de représailles palestiniennes. Les communautés frontalières en ayant longtemps souffert faisaient des préparatifs fiévreux et l’armée plaçait les batteries du Dôme de Fer anti-missiles jusqu’à Be’er Sheva, et cette armée se préparait pour une nouvelle manche importante. Mais ces dernières semaines, les Palestiniens de la Bande de Gaza ont déjà beaucoup souffert de la combinaison dévastatrice de pluies torrentielles et d’inondations, du siège israélien établi de longue date et de l’hostilité manifeste du régime militaire israélien envers le gouvernement du Hamas à Gaza. De la Bande de Gaza n’est venue qu’une réponse symbolique à la mort de la petite Hala Al-Boheiry, deux roquettes tirées en direction des champs israéliens, ne faisant ni victimes ni dommages. L’escalade s’était arrêtée. Au moins dans ce secteur, au moins pour l’instant.
(Traduit de l’anglais par Y. Jardin)