Ils faisaient tout leur possible pour ne pas hurler « Arik, roi d’Israël ! »
Sharon a commencé d’accomplir pour eux ce que les accords d’Oslo n’avaient jamais osé aborder : le démantèlement des colonies. Les médias lui ont promis une place au panthéon des grands hommes. Il est l’homme qui a fixé une date limite pour « la fin de l’occupation », qui « a ouvert un nouveau chapitre dans l’histoire du Moyen Orient (Shimon Shiffer, Yediot Aharonot, 20 février).
En ce dimanche de fête, peu voulaient se souvenir que, après avoir approuvé le désengagement - pratiquement dans le même élan - le gouvernement a décidé de construire sa fameuse « barrière de sécurité » sur une ligne qui annexera, en pratique, 7 % de la Cisjordanie. Sharon démontre que le principe de l’action unilatérale peut fonctionner dans deux directions. Mais ce n’était pas une autre de ses fameuses astuces. Le Parti travailliste est partenaire à part entière dans la décision de la barrière, qui annexe à Israël l’importante colonie urbaine de Maaleh Adumim et le Bloc d’Etzion.
Un expert confirmé de Yediot Aharonot, Sever Plotzker, a écrit dans l’éditorial principal du journal, pour ce dimanche historique : « Le rêve du Grand Israël s’est évanoui, disparu de l’agenda, au moins pour la génération actuelle. Sous Ariel Sharon, Israël se retire de Gaza et en évacue toutes ses colonies - comme premier pas, et non le dernier, vers un retour à ses propres frontières ».
Mais quelles sont ces propres frontières ? A la lecture de la carte, les Palestiniens ont effectué un tour complet, après une odyssée qui a commencé il y a onze ans à Oslo, de retour à l’ « étape initiale » d’alors, appelée « Gaza et Jéricho d’abord ». Le plan de désengagement ne promet rien de plus. Et même moins, car il ne leur promet pas la souveraineté sur Gaza. Yasser Arafat, à son époque, avait compris qu’il ne fallait pas permettre de séparer Gaza de la Cisjordanie. Abou Mazen l’a laissé faire. A Charm el Cheikh, il a donné son accord à la séparation des deux, sans obtenir d’engagement d’Israël pour l’avenir.
Pour Israël, Gaza et la Cisjordanie sont des mondes séparés. En avril 2002, au plus fort de l’Intifada, le Likoud et le Parti travailliste s’alliaient pour faire guerre à part entière en Cisjordanie, dans une opération appelée « Bouclier défense ». Israël n’a pas hésité à écraser l’Autorité Palestinienne et mettre Arafat politiquement en quarantaine. Mais il n’a pas pénétré à Gaza - et ce n’est pas une coïncidence. Israël n’y a aucun intérêt, alors qu’il voit la Cisjordanie comme son propre territoire stratégique, même si une partie doit passer un jour dans les mains d’une Autorité Palestinienne docile.
Les « propres frontières » du future Etat palestinien varient selon l’œil du spectateur. Vues du côté lésé, elles dépendent des forces qu’il peut rassembler pour reconquérir ce qui lui a été volé. Si, pour récupérer Gaza, dont Israël ne veut pas, les Palestiniens ont du faire quatre ans d’Intifada, imaginez quelle sorte de Guerre Mondiale ils vont devoir faire pour récupérer la Cisjordanie !
Cependant, à part le peuple palestinien, nombreux sont ceux qui bénéficient de cette parodie. Pour Abou Mazen et l’Autorité Palestinienne, le retour dans l’arène politique, après le fiasco laissé par Arafat, doit passer par Sharon. Le Parti Travailliste israélien obtient une place au gouvernement sans avoir à renoncer à des principes que, de toute façon, il n’a jamais eus. Le parti Yahad (qui a les droits d’auteur de l’Initiative de Genève), croit que Sharon, en brisant le tabou du démantèlement des colonies, lui ouvrira la voie pour continuer là où il s’est arrêté.
Comme d’habitude, les partis arabes n’ont pas dépassé le stade des proclamations. Ils ont annoncé leur opposition au désengagement parce qu’il ne garantit pas les besoins minimum des Palestiniens, mais dans les votes cruciaux à la Knesset, soit ils se sont abstenus, soit ils ont voté non alors qu’ ils savaient que les oui l’emporteraient. Dans les commissions de la Knesset, alors que le compte était serré, deux d’entre eux ont voté le désengagement. La Gauche israélienne officielle, en un mot, montre son manque habituel de perspicacité.
Le sort de la Cisjordanie ne sera pas celui de Gaza. Le démantèlement de quelques petites colonies de Cisjordanie coûtera très cher aux Palestiniens : ils devront accepter que restent d’autre colonies plus importantes - sans compter des concessions sur Jérusalem et les réfugiés. Lorsque le prix sera annoncé, ils concluront que le coût de l’indépendance est le renoncement à cette indépendance. Alors, encore une fois, ils prendront les armes. Et « Arik, roi d’Israël » découvrira qu’il ne menait pas seulement les Palestiniens par le bout du nez, ni Israël, mais aussi lui-même. Pendant qu’il coincait Arafat à la Mouqata pour y mourir de mort lente , il laissait Abou Mazen libre de ses mouvements. Mais Abou Mazen, les mains vides, sera impuissant à arrêter le prochain soulèvement. Qui lui restera-t-il alors ?