[1] voir aussi Henri Guirchoun dans le NouvelObs :
Tzipi Livni succède donc à Ehoud Olmert à la tête de Kadima. Comment peut-elle s’imposer dans un parti centriste israélien miné par les affaires de justice ?
– Le résultat de la primaire montre, une fois de plus, qu’on peut s’attendre à tout en Israël, y compris lors d’une élection interne à un seul parti politique. Il y a plusieurs années, les Israéliens s’étaient endormis un soir avec Shimon Peres comme Premier ministre et s’étaient réveillés le lendemain matin avec Benjamin Nethanyaou élu.
On a assisté hier à quelque chose du même genre : des sondages pré-électoraux très favorables à Tzipi Livni, des sondages sortie des urnes qui disaient de même et, à l’arrivée, un résultat plus que serré.
Mais, au-delà, pour la signification politique de ce résultat, il est intéressant de noter qu’entre les deux principaux candidats de Kadima, Tzipi Livni et Shaul Mofaz, on ne pouvait trouver personnalités plus différentes l’une de l’autre et projets politiques plus différents l’un de l’autre. Pour résumer, on trouve d’un côté, Tzipi Livni, actuelle chef de la diplomatie, plutôt favorable à la poursuite des négociations avec les Palestiniens notamment, favorable aussi, quoiqu’un peu plus tièdement, à la concrétisation des pourparlers avec la Syrie et tout à fait pour l’usage d’un renforcement des sanctions au sein de la communauté internationale pour ce qui concerne l’Iran. Shaul Mofaz, lui, ancien chef d’Etat et ex-ministre de la Défense, a fait campagne sur un seul thème : celui de la manière forte vis-à-vis des Palestiniens et du monde arabe, d’une méfiance, maintes fois répétées, sur la possibilité de paix avec la Syrie et, surtout, sur l’option militaire, qu’il juge indispensable pour ce qui concerne la menace d’un Iran qui pourrait se doter de l’arme nucléaire.
Donc, sur tous ces points, on voit que les militants de Kadima ont eu de la peine à choisir. Or, pour l’avenir du parti centriste, cela pose problème, puisque le projet de Tzipi Livni était de maintenir, dans le fond, la formation créée par Ariel Sharon au centre, alors que celui de Shaul Mofaz était d’en faire une sorte de "Likoud bis", ancré davantage à droite. Le fait que les électeurs de Kadima n’aient pas aussi clairement tranché ne renforce pas le parti centriste et ne donne guère les coudées franches à celle qui vient d’être élue de justesse. Cette fragilité au sein-même de Kadima ne va pas non plus lui faciliter la tâche pour les négociations qu’elle devra mener avec les autres partis de la coalition gouvernementale, qui va de la gauche pacifique et laïque du Meretz, aux religieux traditionnalistes du Shass et au parti travailliste d’Ehoud Barak.
Ses détracteurs soulignent fréquemment son manque de capacités en matière de sécurité. A-t-elle l’expérience politique nécessaire ?
– Le thème de son expérience, ou plutôt de son inexpérience, a, bien entendu, été brandi par son concurrent au sein de Kadima, comme il l’est aussi d’ailleurs par ses futurs concurrents au sein des autres partis dans la perspective d’une prochaine élection générale qui est désormais plus que probable. Et c’est à cette difficulté qu’elle va être confrontée : car, d’un côté, elle a besoin de temps, non seulement pour former son cabinet, mais aussi pour faire la preuve de son leadership sur Kadima et de ses capacités à diriger le gouvernement. Ce temps lui est nécessaire afin de conserver une chance de battre le Likoud à l’élection générale. Mais sa courte victoire la rend fragile dans son parti, vis-à-vis de la coalition et surtout mine sa crédibilité pour ses futures adversaires qui vont ainsi pouvoir réclamer au plus vite des élections, pensant que plus tôt elles se tiendront, plus leurs chances de gagner augmenteront.
Quant à son expérience à proprement parler, elle n’a pas fait carrière dans l’armée, mais au Mossad, ce qui n’est pas si éloigné des questions sécuritaires. On peut rappeler que le Premier ministre sortant, Ehoud Olmert, était l’un des hommes qui avait le plus d’expérience politique en Israël, et la défaite politique d’Ehoud Barak un an et demi après son élection avait sanctionné, là encore, l’un des soldats les plus décorés d’Israël.
D’aucuns voient déjà en elle la nouvelle Golda Meir. Que penser de cette comparaison et a-t-elle, avant tout, une chance d’être élue ?
– On évoque une "nouvelle Golda Meir" parce que c’est une femme. Mais quelle Golda Meir ? Celle qui avait dirigé les Affaires étrangères israéliennes puis mené le parti travailliste et dirigé le gouvernement depuis sa cuisine de Tel-Aviv ou celle à qui on a reproché de ne pas avoir su préparer la guerre du Kippour en 1973 avant de la chasser du pouvoir sans le moindre égard ? Je pense que la notoriété de Golda Meir fait peut-être rêver un peu Tzipi Livni, mais pas la fin de son parcours. Au-delà de cette question de l’expérience et du machisme, qui sera utilisé sans doute contre elle, elle conserve toutes ses chances, d’une certaine façon, à condition de rester elle-même. Or, ce qui lui a permis de se hisser jusque-là, c’est un langage clair, une discrétion et une sobriété rares parmi les politiques israéliens et, surtout, une irréprochable honnêteté. Elle contraste aussi avec son prédécesseur, Ehoud Olmert, avec son futur adversaire, Benjamin Nethanyaou (qui avait également été visé par des affaires de justice) et même avec celui qui pourrait être à la fois son partenaire et son adversaire, Ehoud Barak, accusé par la presse et l’opinion d’avoir sombré dans le bling-bling et qui vient justement de mettre en vente l’appartement de milliardaire qu’il occupait à Tel-Aviv. Par ailleurs, étant donnée la chute dans les sondages du parti travailliste, il y a de fortes chances qu’une partie de la gauche du camp laïc et favorable à la paix reporte ses voix sur elle afin de repousser l’épouvantail Nethanyaou. Voilà pourquoi "Mme Propre" garde toutes ses chances.
http://tempsreel.nouvelobs.com/actualites/opinions/3_questions_a/20080918.OBS1832/une_irreprochable_honnetete.html