Jérusalem - Bethléem, Paix et Amour
A notre arrivée, des dizaines de personnes - à pied ou en bus - sont déjà sur le chemin du travail, tandis que d’autres attendent leur moyen de transport au check point (C.P.). En deux heures, de 1600 à 1800 personnes le franchissent. Sur les 12 points de contrôle, cinq sont ouverts. Durant notre permanence les postes de contrôle ne sont pas surchargés, parce qu’à l’entrée, que nous ne pouvons pas aller observer, les soldats ne laissent passer qu’un petit nombre de personnes à la fois.
Pourquoi cette scène est-elle si dure ? Ce n’est pas une question d’ "efficacité" du contrôle, mais parce que l’humiliation, en tant que telle, est partie intégrante du système.
C’est humiliant que des gens de quarante, cinquante ou soixante ans, qui ne cherchent qu’à gagner leur vie, doivent, tous les matins, faire la queue une demi-heure, une heure, ou deux heures, et attendre à la merci de ces jeunes, garçons et filles, qui ont l’âge de leurs enfants, qui tirent leur autorité de leur uniforme et de leurs armes, et qui ont le droit de décider d’ouvrir à 5h... ou à 5h30, et de travailler avec diligence... ou en prenant leur temps.
C’est humiliant pour eux lorsque, entre les différentes queues qu’ils doivent faire, l’examen corporel, et la vérification de leurs papiers, ils doivent rajuster leur ceinture devant tout le monde, hommes et femmes.
C’est humiliant de faire la queue au milieu de la foule, devant un guichet vitré où le soldat est assis confortablement avec nourriture et boisson.
C’est humiliant de ne pas avoir de contact physique avec le soldat qui contrôle. Il faut passer sa carte biométrique ou magnétique dans la fente, et coller son permis à la vitre pour le faire lire au soldat qui est de l’autre côté.
Mais il existe une humiliation supplémentaire. Le soldat se trouve derrière une vitre renforcée. Même si les gens en colère frappent violemment du poing sur la vitre, il ne risque rien. Et pourtant seul un homme à la fois peut s’approcher de la vitre. Ceux qui font la queue, entassés, et qui s’impatientent devant les longues procédures de contrôle, n’ont pas le droit d’élever la voix : les forces de sécurité ressentent aussitôt un besoin urgent de rétablir l’ordre chez les indigènes. Ca commence par des vociférations : "Silence, tout le monde !" "Reculez !" "Disparaissez !" etc... Puis le soldat de la Police des Frontières repousse les gens du canon de son fusil. Ca finit par une punition comme à l’école : "Personne ne passe tant que l’ordre n’est pas revenu chez tout le monde." "Si quelqu’un ne comprend pas, qu’on lui traduise en arabe." Aujourd’hui l’ordre régnait à peu près. Du coup la sanction scolaire n’a duré que quelques minutes.
Le flot de gens qui franchissent le C.P. peut prêter à confusion. On voit les milliers de personnes qui passent, mais pas les (nombreux) milliers d’autres qui en sont empêchés. Depuis que le C.P. improvisé a été remplacé par un poste de contrôle en dur, on ne peut plus insister auprès du soldat pour qu’il laisse passer. Seuls ceux qui pensent (par erreur ?) avoir un permis valable viennent au C.P.
Un homme reste assis par terre pendant une heure à attendre que le soldat examine ses papiers, parce qu’ "il y a quelque chose qui ne va pas". Finalement le soldat les lui rend. Le verdict tombe : "Retourne à Bethléem". L’homme n’y croit plus, laisse tomber, et s’en va sans discuter.
Un autre ne comprend pas comment il se peut que jusqu’ici il soit toujours passé sans problème, et qu’aujourd’hui ils considèrent qu’il a de faux papiers.
Un autre a été convoqué au tribunal parce qu’il a été pris en Israël en tant qu’étranger en situation irrégulière. Il rapporte qu’on lui a dit au DCO (Bureau de coordination et de liaison) que la convocation suffisait et qu’il n’avait pas besoin d’un permis. Apparemment ce n’est pas le cas et il lui faut retourner au DCO. Son audience est dans deux heures et il ne sera pas à l’heure au tribunal.
Un autre arrive avec son petit garçon, qui doit être soigné à l’hôpital Muqassed de Jérusalem-Est. Il possède un permis de travail en Israël en règle. Il n’est pas autorisé à passer. Son permis lui permet de vendre sa force de travail en Israël, mais pas d’amener son petit garçon à l’hôpital à Jérusalem-Est.
Et que dire du langage orwellien qui règne au C.P. de Bethléem ? C’est le seul C.P. où passent de nombreux touristes, chrétiens pour la plupart. Alors la question d’image a de l’importance. C’est ainsi que la déprimante réalité est dissimulée derrière un panneau qui montre les lieux saints de Jérusalem, avec la mention "Jérusalem - Bethléem - Paix et Amour". (10 juillet 07)
Rien de spectaculaire ne se produit aux C.P. du nord de la Cisjordanie. Pas de foule, pas d’attente. Les gens n’ont pas de permis. Pas la peine de se lever tôt, et de gaspiller du temps et de l’argent. Le nouveau terminal de Reihan-Barta’a comporte 8 postes de contrôle, et celui de Jalame 16. Seuls un ou deux sont ouverts. Pas besoin de plus. Même s’il y a de l’affluence, elle se concentre généralement à la barrière d’entrée, du côté palestinien, ou à l’intérieur, qui nous est caché, mais pas aux postes de contrôle. (Jalame, 16 juillet 2007)
Un jeune de 21 ans reçoit l’ordre de relever sa chemise et marmonne entre ses dents, ce qui irrite tellement le commandant qu’il lui redonne cinq fois l’ordre de relever sa chemise. Le jeune élève la voix. Alors le commandant et un autre soldat lui donnent l’ordre de monter les marches derrière la "baraque humanitaire" vide. Pendant ce temps tous les contrôles s’interrompent. Les gens protestent, sans succès. Peu après, le jeune est amené dans la cellule. On lui apporte de l’eau, et il se rafraîchit le visage. Nous appelons le Centre Humanitaire, qui ne répond pas. Après sa libération, nous discutons avec lui. C’est un étudiant de l’université Al-Najah. Il a 21 ans. Il nous dit qu’il a été battu et frappé avec la crosse d’un fusil. (Beit-Ibba, 4 juillet 2007)
Le chauffeur d’un taxi qui a été contrôlé pendant environ dix minutes, refuse de relever sa chemise. Alors le soldat considère que cet acte de rébellion mérite une humiliation toute particulière et ordonne au chauffeur de ramasser un mégot de cigarette. Il refuse et le taxi est immobilisé, mais au bout de 15 minutes de discussion, le chauffeur se laisse persuader de présenter des excuses au soldat et est relâché. (Jit junction, 30 juillet 2007)
Tout d’abord nous sommes surprises par la faible affluence au local d’attente du DCO : seuls quatre hommes et une femme attendent.
Un homme énervé sort du DCO. Il a rendez-vous avec le consul des Etats-Unis à 13h. Hier il est venu, avec un formulaire du DCO palestinien, pour s’occuper de son permis. En plus de la lettre du consulat, ils ont exigé qu’il présente le reçu des cent dollars qu’il leur a versé. Mais quand il est revenu avec le reçu, on lui a dit que c’était trop tard, et de revenir le lendemain (c’est-à-dire aujourd’hui).
Il est donc revenu aujourd’hui, mais on lui a demandé un nouveau papier du DCO palestinien, daté d’aujourd’hui. Quand il s’est énervé, on l’a renvoyé, escorté par deux gardes.
Il s’agit du professeur Abu Hillal, ancien directeur du Bureau pour l’Aménagement de Jérusalem quand Teddy Kolek était maire de la ville et Meiron Benvenisti son adjoint. Un coup de téléphone à Elisha du DCO nous apprend que le papier du DCO palestinien est une simple formalité. Que le professeur l’appelle quand il atteindra le DCO, et il s’occupera du problème. Le professeur nous demande de l’attendre.
Vingt minutes plus tard, il est de retour. Les deux gardes, maîtres du check point et de l’entrée du DCO, ne se laissent pas impressionner et lui refusent l’entrée. Nous rappelons Elisha, qui promet d’envoyer le commandant du check point pour accompagner le professeur au DCO.
Entre temps deux nouveaux groupes de personnes entrent au DCO, mais quand c’est le tour du professeur, Ali et Phadi le renvoient sans explication. Encore quelques coups de fil, et rien ne bouge. Ca dure depuis une demi-heure. Enfin, une femme (soldat ou policier), nommée Ilana, arrive, la cigarette aux lèvres. Elle s’en prend au professeur pour les "Mashakel" (les problèmes) qu’il a causés au DCO. Elle refuse de le laisser entrer avant qu’il ne s’excuse... et cet homme respecté, ami du défunt roi Hussein, haut dignitaire de la municipalité de Jérusalem unifiée, présente des excuses et dit qu’il oubliera l’incident. Un signe de tête d’Ilana aux gardes, le tourniquet se débloque, et le professeur Hillal entre au DCO.
Voilà ce qui attend la personne qui s’irrite de la bureaucratie humiliante et aveugle des check points et du DC. Il faut contrarier les gens, c’est une nécessité démographique... mais se montrer contrarié, ça c’est rigoureusement interdit. (C.P. des Oliviers, 16 juillet 2007).
A l’attention du Centre Humanitaire
Au C.P. de Shaked-Toura, un habitant de Dahr El Malk, dans la zone tampon, n’a pas été autorisé à apporter un ventilateur en plastique à sa fille qui habite Toura. C’est clair qu’un ventilateur n’est pas une nécessité pour les Palestiniens, en pleine chaleur de l’été. (Shaked, 30 juillet 2007)
Au C.P. de Reihan-Barta’a, nous avons vu un homme portant un blessé dans les bras, suite à un accident du travail à Barta’a-Est. Au tourniquet, le blessé a dû se débrouiller, en sautant sur un pied. Il n’a pas eu le droit de passer le C.P. en taxi. Nous n’avons pas vu la suite à cause du mur de béton. Après avoir passé le C.P., le blessé et son ami ont pris un taxi pour l’hôpital de Jénine. (Reihan-Barta’a, 30 juillet 2007)
Nous recevons un appel, à quelques kilomètres du C.P., nous informant que des milliers de personnes attendent au C.P. d’ Hawarra, et que le passage est bloqué. Des jeeps et des renforts sont arrivés, et l’atmosphère est tendue. Les soldats déclarent qu’il y a un terroriste dans les parages. Ils courent d’un côté à l’autre, et repoussent les gens jusqu’aux marches du parking. Une famille arrive avec un enfant, de six ans environ, atteint de paralysie cérébrale. L’enfant est assis dans un fauteuil, paralysé, le visage et le corps déformés. Il ne se sent pas bien, et par moments retombe en avant. Je m’adresse au commandant du C.P. et plaide pour qu’il laisse l’enfant et ses parents entrer à Naplouse, mais il ne m’écoute pas et refuse même de les regarder. Une demi-heure plus tard, l’enfant perd connaissance et son pouls se fait très lent. Un secouriste s’occupe de lui avec sollicitude et l’emmène à l’ombre jusqu’à ce qu’il récupère. L’enfant caresse affectueusement le visage du secouriste et rit. Mais ils ne le laissent pas passer. (Hawwara, 10 juillet 2007)
Cette année, les prochains jours de fête juifs et le Ramadan, mois de jeûne pour les musulmans, tombent en même temps. Le gouvernement d’Israël a le devoir d’accorder aux adeptes de toutes les religions la même liberté de culte que celle qu’il revendique pour ses propres citoyens.