Éclipsé par les grandes manœuvres diplomatiques autour de la guerre en Syrie, le conflit israélo-palestinien ne sera pas le sujet majeur de l’Assemblée générale des Nations unies qui s’ouvre lundi à New York. Pourtant, le discours que doit prononcer mercredi le président palestinien Mahmoud Abbas devant les représentants des 193 États membres est attendu avec une certaine impatience. Son entourage a annoncé, il y a deux semaines, qu’il ferait l’effet d’une « bombe ».
Les fuites en provenance de Ramallah ont laissé entendre que le président palestinien, lassé de voir le premier ministre israélien tourner le dos à toute négociation, et inquiet face au mécontentement croissant de l’opinion, pourrait annoncer la dissolution de l’Autorité palestinienne. Elle a été créée en 1994 pour appliquer les accords d’Oslo de septembre 1993. Mahmoud Abbas laisserait ainsi symboliquement les clés des territoires palestiniens à Israël, qui les occupe militairement et les colonise depuis 1967.
La « bombe », en effet, aurait été de taille. Mais elle ne devrait pas exploser. Mahmoud Abbas a confirmé la semaine dernière à François Hollande et à Laurent Fabius, qui l’ont reçu à Paris, qu’il ne dissoudrait pas l’Autorité palestinienne et qu’il n’interromprait pas la coopération sécuritaire avec Israël. Il a en revanche informé ses interlocuteurs du risque de voir exploser dans les territoires occupés une « troisième intifada » dont le contrôle pourrait lui échapper, si Israël laissait se multiplier les « provocations » d’extrémistes juifs sur l’Esplanade des mosquées et si le coma dans lequel sont plongées les négociations depuis l’échec de la médiation du secrétaire d’État américain John Kerry, en avril 2014, se poursuit.
Les conseils de modération et les appels à la prudence de plusieurs de ses interlocuteurs arabes et occidentaux sont l’une des causes de ce changement de stratégie, mais il y en a d’autres. L’Autorité palestinienne est le réceptacle de l’aide financière internationale – essentiellement européenne – qui maintient en survie une économie palestinienne anémiée par le carcan de l’occupation et l’absence de toute perspective de paix. Détruire ce dispositif de perfusion priverait de ressources les 160 000 fonctionnaires de l’Autorité et aggraverait dangereusement l’instabilité politique des territoires occupés. Le gouvernement israélien ne manquerait pas de tirer parti de cette situation en invoquant le péril terroriste.
Le risque est d’autant plus grand que le crédit de l’Autorité palestinienne et de ses dirigeants n’a jamais été aussi faible au sein de la population des territoires occupés, Cisjordanie et bande de Gaza confondues, comme le confirment plusieurs sondages réalisés au cours des dernières semaines. Selon une enquête du Palestinian Center for Policy and Survey Research (PCPSR) de Ramallah, les Palestiniens sont désormais 65 % (contre 55 % en juin) à estimer que la solution à deux États pour deux peuples, défendue inlassablement par Mahmoud Abbas, n’est plus viable. La même enquête indique que 42 % des personnes interrogées (contre 36 % en juin) soutiennent le déclenchement d’une troisième intifada, et que 60 % souhaitent le retrait de Mahmoud Abbas.
Un autre sondage du Jerusalem Media and Communication Center (JMCC) indiquait en août que 71 % des Palestiniens voulaient le maintien de l’Autorité, mais que 16 % seulement maintenaient leur confiance en Mahmoud Abbas – contre 21,8 % en mars. Interrogés sur le successeur possible de Mahmoud Abbas, les échantillons des deux instituts placent en tête Marwan Barghouti, ancien responsable du Fatah et figure majeure de la deuxième intifada, condamné à la prison à vie et détenu en Israël.
Quelle sera, dans ces conditions, le contenu du discours de Mahmoud Abbas ?
Deux versions du texte – l’une conciliante et ouverte, rappelant la disponibilité de la partie palestinienne au dialogue, l’autre nettement plus dure – sont en préparation. Le choix sera fait au dernier moment, expliquent les collaborateurs du président palestinien, en fonction du résultat des échanges engagés à New York, notamment avec John Kerry et les représentants d’Israël. « Le ton sera grave, parce que la situation est grave, Israël ne respecte pas les engagements des accords d’Oslo, et la patience des Palestiniens a des limites, a confié lundi dernier, à Paris, Mahmoud Abbas à quatre anciens ambassadeurs d’Israël en France – Elie Barnavi, Yehuda Lancry, Daniel Shek et Nissim Zvili – avec qui il s’est entretenu après sa rencontre avec François Hollande. Mais je suis prêt à rencontrer Benyamin Netanyahou à n’importe quel moment et à choisir un autre ton s’il y a un espoir de paix, avec des garanties sérieuses. »
Selon les collaborateurs de Mahmoud Abbas, ce qui représenterait un espoir de paix serait l’annonce par Benyamin Netanyahou d’un gel de la colonisation, l’acceptation par Israël de l’initiative arabe de 2002 et d’une solution à deux États selon les frontières de 1967.
Annonces invraisemblables dans le climat actuel. Après avoir affirmé lors de la dernière campagne électorale que la création d’un État palestinien « n’était plus une hypothèse de travail », le premier ministre israélien a tenté de revenir sur sa déclaration, sans convaincre. À la tête du gouvernement le plus à droite de l’histoire d’Israël, à la merci d’une fragile coalition où les nationalistes religieux et les colons pèsent d’un poids décisif, Netanyahou n’a cessé de développer la colonisation, rendant chaque jour plus impossible la solution à deux États.
L’attentisme américain
Jamais sans doute, depuis la signature des accords d’Oslo en septembre 1993, les Palestiniens n’ont été dans une position aussi difficile. Confinés dans deux entités géographiques distinctes – la Cisjordanie et la bande de Gaza –, polarisés autour de deux formations politiques – le Hamas et le Fatah – à couteaux tirés et largement discréditées, oubliés par des régimes arabes qu’obsèdent le cauchemar syrien et le spectre du djihadisme, ils semblent avoir du mal à se résigner à la désinvolture américaine.
Leurs interlocuteurs du département d’État leur avaient assuré qu’après avoir signé l’accord nucléaire avec l’Iran et franchi l’obstacle du Congrès, Washington reviendrait au dossier du processus de paix, et à la solution à deux États. Or, les dirigeants palestiniens ont constaté, dépités, que Barack Obama concentrait son action sur la crise syrienne, sur l’offensive diplomatique et militaire de Moscou (lire notre article ici) et sur la gestion du nouveau rapport de force entre l’Iran chiite et ses voisins sunnites, au détriment de l’interminable conflit israélo-palestinien. L’attentisme américain sur ce dossier est d’ailleurs renforcé par les doutes qu’entretient Washington sur la stabilité du gouvernement Netanyahou et sur sa liberté de manœuvre avec la coalition parlementaire actuelle.
Vladimir Poutine manifestant, comme vient de le constater Mahmoud Abbas lors de sa visite à Moscou, davantage d’intérêt pour la crise syrienne ou pour l’exploitation des possibles ressources gazières et pétrolières du sous-sol de Palestine que pour le destin de son peuple, il reste l’Europe, riche et généreuse mais incapable de s’accorder sur une stratégie commune face à Israël.
L’Union européenne n’a jamais été capable de franchir le cap des déclarations de principe et de formuler une proposition d’action cohérente pour jouer un rôle majeur dans le processus de négociation. Il suffit de constater le pénible enterrement, chaque année, du rapport – le plus souvent sévère pour Israël, lire ici – rédigé par les chefs de mission diplomatique de l’UE sur la situation en Cisjordanie et à Jérusalem-Est pour mesurer la division, la pusillanimité et l‘impuissance européenne face à la question israélo-palestinienne.
Devant la gravité de la situation, et le risque que représente pour certains militants islamistes de la région le pouvoir d’attraction de l’État islamique, plusieurs initiatives seraient cependant à l’étude à Bruxelles. La première, symbolique et modeste, serait d’imposer avant la fin de cette année un étiquetage spécifique aux produits israéliens importés en Europe et issus d’entreprises implantées dans les colonies de Cisjordanie. Sans être l’équivalent d’un boycott, cette mesure aura l’intérêt de souligner le problème majeur que constitue la colonisation. Mais son effet sur le blocage actuel des négociations sera très modeste.
La deuxième initiative serait un projet de résolution européen, présenté au conseil de sécurité des Nations unies, appelant Israéliens et Palestiniens à une solution fondée sur la coexistence de deux États, dans un délai de deux à trois ans. Résolution qui n’aurait de chance d’être adoptée qu’avec l’accord des États-Unis, ce qui est loin d’être acquis.
L’Union européenne pourrait aussi s’associer à un projet français exposé la semaine dernière aux dirigeants palestiniens pendant leur séjour à Paris. Fondé sur le constat d’inefficacité, voire d’inutilité du « Quartette » (Union européenne, États-Unis, Nations Unies, Russie), créé en avril 2003 pour promouvoir la « Feuille de route » vers une solution à deux États, ce projet prévoit de réunir autour des membres du Quartette un certain nombre d’autres pays de la région et d’États, comme la Chine, intéressés à la stabilité du Proche-Orient, pour constituer un groupe de contact chargé de préparer une nouvelle conférence internationale de paix.
Le cadre des négociations de cette conférence reposerait sur les positions constantes de l’Union européenne : création d’un État palestinien, dans les frontières de 1967, avec Jérusalem-Est pour capitale, prêt à vivre en paix avec Israël et à contribuer à la normalisation des relations régionales. Destiné à libérer la négociation du triangle habituel – Israël, Palestiniens, États-Unis – cette conférence et son cadre de discussion devraient bénéficier de l’approbation des États-Unis et de l’accord d’Israël. Qui pour l’heure ne sont pas acquis.
Décidé à s’impliquer plus directement dans la guerre syrienne en lançant ses propres frappes aériennes contre l’État islamique en territoire syrien et en mettant une sourdine à son exigence de voir partir Bachar al-Assad, le gouvernement français semble aussi avoir infléchi sa position sur la question israélo-palestinienne. À moins qu’il ne zigzague, au gré des circonstances, entre plusieurs lignes coexistantes en son sein.
Alors que les revendications palestiniennes avaient été passées sous silence en 2013, lors de la visite officielle de François Hollande en Israël, marquée par un rapprochement spectaculaire avec Benyamin Netanyahou, et que le même François Hollande avait invoqué le « droit à l’autodéfense d’Israël » lors du lancement de l’opération « Bordure protectrice » contre la bande de Gaza en 2014, Paris a soutenu la candidature de la Palestine comme État observateur non membre et voté en faveur de la présence du drapeau palestinien devant le siège de l’ONU. Laurent Fabius a d’ailleurs indiqué qu’il assisterait, dans quelques jours, à la cérémonie du lever des couleurs palestiniennes.
Mais il n’est plus question désormais de la résolution que la France avait prévu de déposer cet automne au Conseil de sécurité et qui imposait à la fois des paramètres de négociation précis et une date butoir aux Israéliens et aux Palestiniens, pour parvenir à un accord. En cas d’échec de ces négociations, avait prévenu Paris qui se heurtait au refus Israélien, la France reconnaîtrait l’État de Palestine. Les réticences israéliennes et américaines, mais aussi celles de nombre de pays arabes, dont la Jordanie, qui jugeaient le moment mal choisi pour cette résolution, ont contraint Paris à renoncer à son projet.
Mais une autre résolution pourrait être avancée par Laurent Fabius à New York. Ce texte n’appellerait plus à une conférence et ne fixerait pas d’échéance à une négociation de paix : il se contenterait de condamner le principe de la colonisation en Cisjordanie. Comme nombre d’autres résolutions du Conseil de sécurité ou de l’Assemblée générale des Nations unies, ce texte, s’il était adopté, risquerait fort d’être ignoré par Israël. Mais il aurait, estiment ses promoteurs, le mérite de contraindre Washington à « sortir du bois » en choisissant de se prononcer officiellement pour ou contre la colonisation… Reste à savoir si ce projet survivra à la guérilla de couloir en cours dans le palais de verre de Manhattan. L’apparition de son drapeau vert, noir, blanc et rouge risque fort d‘être, pour la Palestine, le seul et maigre résultat de cette 70e session de l’Assemblée générale des Nations unies.