Cette tournée a eu lieu à l’occasion d’une visite effectuée dans le camp par une délégation libano-palestinienne, composée notamment du président du Comité de dialogue libano-palestinien, Khalil Mekkaoui, du chef du bureau de l’OLP à Beyrouth, Abbas Zaki, et du représentant de Hamas au Liban, Oussama Hamdane.
Étroitement encadrés par l’armée, les représentants des médias libanais et étrangers ont visité un tronçon de ce qu’on appelle le nouveau camp de Nahr el-Bared, à partir de l’entrée nord, au niveau de la localité de Mouhammara. Il s’agit d’environ 400 mètres de ce qui constituait la route principale de cette partie du camp qui était peuplée aussi bien de Libanais que de Palestiniens.
« C’était asphalté. À ma gauche, il y avait les dépôts du plus important grossiste de produits alimentaires dans la zone, et à ma droite travaillait un tôlier. Il avait deux Jeeps, une Mercedes et une Pajero », indique Samir el-Loubani, 54 ans, debout au milieu de la rue principale, les pieds dans un tas de sable. En effet, à regarder de plus près à gauche, on distingue une enseigne réduite à un tas de ferraille où l’on peut encore lire le nom du grossiste en question, et en face, dans un garage éventré, on voit une Jeep Mercedes criblée de balles.
Samir el-Loubani est resté deux mois à Nahr el-Bared après le début des hostilités. Il raconte qu’il n’a pas été interrogé par l’armée à sa sortie du camp parce qu’il est responsable du Front populaire pour la libération de la Palestine (FPLP) de Georges Habache. Ses enfants et son épouse ont été évacués les premiers jours. Lui a décidé de rester pour venir en aide aux civils, assure-t-il.
Il affirme que les civils restés au camp n’ont jamais manqué d’eau ou de vivres. « Nous nous sommes rassemblés dans une permanence du FPLP à l’intérieur du vieux camp. Quand nous sommes partis, nous avions encore deux bidons de mazout pour le générateur d’électricité. » Il assure aussi que les personnes qui étaient regroupées dans la permanence n’ont jamais accordé leur aide à Fateh el-Islam, n’ont jamais subi leurs pressions. Pourtant, il reconnaît que les miliciens du mouvement intégriste étaient des voyous et des mercenaires...
La maison de Samir el-Loubani se trouve dans la vieille partie du camp. Il ignore si elle est toujours debout. « Je doute. Regardez le volume des destructions ici, là où les combats se sont achevés le premier mois. Je n’ose pas imaginer la situation des bâtiments dans le vieux camp, où les batailles les plus acharnées se sont déroulées », dit-il.
Marchandises presque intactes
En effet, la destruction est moins importante dans la partie visitée hier par les journalistes que dans la vieille partie du camp, laquelle a été construite juste après l’arrivée des réfugiés palestiniens au Liban, en 1948. Dans la nouvelle partie, les immeubles sont restés debout. Pourtant, tous, même ceux qui étaient en cours de construction au début des combats, sont criblés de balles. Beaucoup de bâtiments ont reçu plusieurs roquettes et certains étages ont entièrement brûlé. Des stations-service sont complètement détruites. Dans les appartements, les rideaux des fenêtres sont déchirés et les vitres brisées. Des balcons sont effondrés.
Des deux côtés de la route, couverte de sable orangé, résultat de la destruction, des voitures, pour la plupart de vieilles Mercedes, sont criblées et calcinées. Les façades des magasins sont éventrées, dans certains fonds de commerce les marchandises sont intactes. C’est le cas par exemple d’un magasin de rideaux, où tissus et cordons sont toujours sur les étalages. Cependant, toutes les fabriques ont la même couleur : celle de la poussière et de la fumée. Un peu plus loin, dans une pâtisserie baptisée al-Arz (le cèdre), des cornets de glace trônent toujours sur les étagères, à côté d’un réfrigérateur. Sur une autre étagère, dans la poussière, on voit une série de cœurs entourant des figurines en plastique représentant un couple de mariés. Le pâtissier avait probablement l’habitude de placer ces figurines sur les pièces montées commandées pour les réceptions de mariage.
C’était bien sûr avant le 20 mai, quand le camp était toujours peuplé. Hier, à Nahr el-Bared, on n’entendait que le son des pelleteuses de l’Unrwa qui dégageaient la route des décombres. Et l’on ne voyait que des journalistes, des membres du Croissant-Rouge palestinien, qui sont au nombre de cinquante à travailler depuis une semaine à désinfecter le camp, et des groupes de soldats, qui passent à bord de leurs Jeeps, chars et camions, soulevant des nuages de poussière.
C’est que, à Nahr el-Bared, l’asphalte a été couverte de décombres et de sable. Sur le sol, on distingue des vêtements déchirés, des chaussures éparpillées et des matelas effilochés. Parmi les objets également, une police d’assurance. Celle d’un fonds de commerce, probablement ravagé par la guerre. La tournée des journalistes s’arrête à un monticule de sable. Le chemin devient plus difficile, inaccessible aux médias, bien encadrés par l’armée.
À partir de ce monticule de sable et de débris, on est plus proche d’immeubles aplatis, visibles à partir de l’autoroute. Dans cette zone lourdement touchée, le va-et-vient des véhicules militaires sur une route rouge de poussière, bordée de bâtiments grisâtres aplatis comme des accordéons, donne l’impression d’une scène apocalyptique tirée d’un film de science-fiction, où des populations entières ont disparu après l’explosion d’une bombe, à l’exception de quelques invincibles.
La reconstruction de la totalité du camp devrait prendre plusieurs années, indique le président du Comité du dialogue libano-palestinien, dans un entretien avec la presse, présente sur place. Il espère qu’un « premier groupe (de réfugiés palestiniens) pourra rentrer dans quelques jours. Cela dépend de la rapidité de la restauration des immeubles qui sont encore debout ».
« L’Unrwa est en mesure d’assurer l’approvisionnement en électricité grâce à des générateurs et de l’eau grâce à des réservoirs », souligne-t-il.
L’agence envisage aussi d’installer des maisons provisoires en béton aux alentours, sur des terres louées par l’agence onusienne.
M. Mekkaoui a également précisé à L’Orient-Le Jour qu’il faut 280 millions de dollars pour reconstruire le camp.
Le 10 septembre, le Liban a réclamé une aide internationale de plus de 300 millions de dollars pour réhabiliter Nahr el-Bared.
En attendant cette reconstruction, les 31 000 Palestiniens qui avaient fui au début des combats, notamment pour le camp voisin de Beddaoui, attendent d’être relogés pour mener un semblant de vie normale.