« Aujourd’hui, c’est le mercredi 22 mai 2025. Vous surfez sur votre e-journal préféré. Les grandes lignes de la une témoignent que vous vivez désormais dans un monde où le centre de gravité a changé, vers l’Est. Le Proche-Orient est désormais entouré de super-pouvoirs de tous bords. A l’aéroport que vous venez de quitter après avoir assisté au Forum économique mondial au Proche-Orient, il y a autant d’avions à destination de l’Inde, de la Chine, de la Russie et du Japon que ceux allant vers l’UE ou les Etats-Unis ». La Chine a finalement fait prévaloir son modèle de développement, le capitalisme autoritaire, après être sortie forte de près d’une décennie de dépression mondiale, de 2008 à 2015 ». C’était la période où la demande sur l’énergie ayant atteint son apogée a créé une pénurie d’énergie. Le Proche-Orient a cumulé au cours de ces années d’immenses revenus pétroliers. En revanche, sur l’autre rive de l’Atlantique, des milliards de dollars ont été investis dans des projets d’énergie alternative. Les carburants pétroliers et gazeux ne représentent à l’ordre du jour que 1,5 % de la consommation mondiale. Le Proche-Orient n’est donc plus le premier fournisseur mondial de l’énergie.
Où en serait alors un citoyen du Moyen-Orient ? C’est ce que le thème du FEM voulait discuter : « Apprendre du futur », ou en d’autres termes, comment préparer la région pour s’adapter à ce monde de 2025, à un jour où le pétrole ne serait qu’un atout économique du passé ? Le président américain, George Bush, lui, n’a pas caché son enthousiasme pour ce scénario relevant de la futurologie, lors de son discours inaugural du forum. « L’offre du pétrole est limitée et des pays, comme le mien, développent avec vigueur des alternatives au pétrole. Avec le temps, le monde deviendra de moins en moins dépendant du pétrole et les pays du Moyen-Orient devront bâtir des économies plus diverses et plus dynamiques », a-t-il souligné. Il défend ainsi la politique d’investir massivement dans la production de l’éthanol.
Une stratégie qui a été ouvertement critiquée par le président Hosni Moubarak, lors de son discours devant les 2 500 invités et journalistes : « La communauté internationale doit étudier objectivement la question des biocarburants. Quand j’assisterai le mois prochain au sommet de l’alimentation à Rome, je mettrai la question sur la table. Est-ce logique de prendre les produits alimentaires à partir des tables pour en produire des carburants », s’insurge-t-il. En ce qui concerne les affamés du monde, Bush a appelé les pays concernés à encourager et à subventionner les agriculteurs dans leurs propres pays.
Le duel des présidents a déclenché ainsi un débat, car la région qui a connu des revenus pétroliers records connaît également une hausse de la facture des importations en produits alimentaires, ce qui menace la sécurité alimentaire des pays arabes. Le président Bush avait fait part de l’intention de son pays de se servir de 36 milliards de gallons d’éthanol dans la production en 2020, 5 fois plus par rapport aux quantités utilisées actuellement. Selon le Centre de l’alimentation et de la santé d’Abou-Dhabi, 80 % de la production du blé en 2007 ont été destinés à la production de l’éthanol. Et c’est ainsi qu’il en résulte « un véritable conflit entre les riches et les pauvres sur les céréales », comme l’affirme Abdallah Rafie, expert émirati.
Cette hausse des prix est un des facteurs qui mène à une inflation croissante dans la région. C’est un autre défi qui menace la croissance, car elle mène à une instabilité économique qui donne le frisson aux investisseurs étrangers. Youssef Boutros-Ghali, ministre égyptien des Finances, explique que cette inflation est le résultat normal qui résulte de la croissance élevée et de la hausse du pouvoir d’achat. « Il ne s’agit pas seulement d’un cycle de production, mais en fait de deux facteurs structurels. A savoir : la grande chute du dollar et l’utilisation des graines dans les biocarburants ».
Cependant, selon l’expert Amr Al-Hadidi, ministre jordanien de l’Industrie et du Commerce, le Moyen-Orient ne pourra pas faire face à cette consommation croissante des céréales car, vu le grand manque en ressources d’eau que confronte la région, il ne pourra pas répondre à ces besoins en développant l’agriculture. La seule voie pour sortir de cette impasse ne sera autre que l’utilisation des revenus pétroliers pour le financement du développement.
Autant d’excédents que la Chine
En fait, la région arabe cumule des excédents en dollars, suite à l’exportation du pétrole, équivalant aux excédents de la Chine tirés depuis l’investissement et l’exportation. Cependant, les citoyens de la région risquent de ne pas pouvoir profiter de cette énorme liquidité. La région avait déjà raté une chance depuis les années 1970, quand les cours pétroliers avaient augmenté, mais ces excédents ont été déposés auprès des banques européennes et américaines, créant un boom dans ces pays, et laissant la région négligée. Cette fois-ci, il y a une meilleure chance pour saisir le moment.
Tout d’abord, le système financier régional s’est beaucoup amélioré, ce qui lui permet d’investir cet excédent de capitaux. En second lieu, la crise économique mondiale rend l’investissement au sein de la région plus sûr qu’ailleurs, notamment parce que les pays développés regardent d’un œil sceptique les fonds arabes qui veulent investir dans des projets américains ou européens. « Les investissements des pays de la région ont finalement commencé à s’y installer. Il est temps que nous profitions des grands surplus pétroliers qui inondent actuellement la région », reconnaît Mohamad Al-Shaya, directeur exécutif du groupe koweïtien Al-Shaya.
Le dollar source de péril
Cependant, ces mêmes revenus, sont à leur tour en situation de risques, en raison de la chute du dollar. Car, si cette chute continue, ces revenus en devise américaine perdront de leur valeur. Ainsi, le rapport Middle East at Global Risk 2008 avertit que la région risque une grande détérioration causée par la chute du dollar. Selon le rapport, les actifs en dollars dans le Moyen-Orient sont à la hauteur de 1000 milliards de dollars, qui risquent de perdre de leur valeur, si la chute du billet vert continue. Celle-ci entraînerait une baisse de la valeur des investissements présents dans la région et, par la suite, des ressources allouées à l’infrastructure et à la formation de la main-d’œuvre. « Il faut agir avant qu’il ne soit trop tard. Une fois que la prospérité que vit la région sera terminée, toute chance d’une diversification de l’économie sera évaporée », conclut le rapport.
Robert Zoellick, président de la Banque mondiale, a révélé d’après plusieurs études sur le Moyen-Orient, que la détérioration du niveau de l’enseignement et son incompatibilité avec les demandes de travail demeurent l’un des grands défis. « Le chemin est encore long dans la région. Or, c’est l’un des outils essentiels pour la relance des capacités de la région et, par suite, la diversification des ressources de l’économie », regrette-t-il.
L’instabilité politique, elle aussi, représente un vrai risque pour les pays de la région. Le scénario I, discuté lors du forum, n’a rien prévu sur le blocus israélien qui contourne la Palestine, ou sur un Iraq turbulent et divisé. Mais dans le réel, le président Moubarak a accusé dans son discours les Etats-Unis d’aggraver l’état d’insécurité dans la région. « N’importe quel jugement objectif sur les développements de la région doit reconnaître que nos aspirations pour la paix et la prospérité n’ont pas été remplies. L’ordre international n’a pas soutenu le projet régional », s’est-il exprimé, en énumérant les preuves de son argument : « Sommes-nous plus proches de la résolution du conflit israélo-palestinien ? Regardons l’Iraq, le Darfour, ou le Liban.. Est-ce que le Moyen-Orient est plus stable et plus sûr que deux ans auparavant ? ». La réponse n’a pas été évoquée lors de la conférence. Mais celle-ci a tenté de se cantonner à l’économique.