Pourquoi une conférence gesticulée sur ce sujet ?
Michel Benizri : Pour être en accord avec moi-même, il fallait que je témoigne ! À 11 ans, j’avais un ami, Mohamed. J’étais pris en étau : pour moi, l’enfant juif, son prénom désignait l’ennemi ! Et je l’aimais. J’étais perdu. Adolescent, la manière dont la France traitait « ses Arabes » me révoltait. Avec ma tête d’arabe, j’étais très souvent contrôlé par la police, humilié, je me faisais traiter de sale juif autant que de sale arabe ! Adulte, j’ai pris conscience de ma triple identité : je suis Français, c’est écrit sur mes papiers, juif parce que né juif et enfin oriental parce que toute la culture du Maghreb et de l’Afrique chante en moi. Trois cultures : deux récits en trop ou une richesse ?
Ma mère me racontait comment, comme Marocains, ils avaient été maltraités en Israël dans les années 1950, par des juifs ashkénazes, donc des juifs de culture européenne, des dominants racistes qui voyaient en ces juifs-là d’autres arabes. Le racisme est un élément du colonialisme et du nationalisme. Je me suis toujours senti de gauche, touché par la souffrance des Palestiniens, mais toute mon histoire disait que j’étais du camp d’en face, je devais m’extirper de ce paradoxe. Quand le verrou a sauté, mon analyse politique a éclairé ce rapport d’amour et de haine. Je me suis mis à écrire pour tenter d’appréhender la complexité du sujet. Comédien, j’ai naturellement voulu porter cette matière sur scène. J’ai assisté à ma première conférence gesticulée sans me rendre compte combien cette forme issue de l’éducation populaire répondait à mes besoins. Il m’a fallu six versions en une année pour déplier la complexité historique, politique, économique, des enjeux nationalistes, colonialistes et capitalistes dans une parole incarnée. Il y avait même de la place pour l’humour !
En 2022, tu es venu à Paris et tu as été reçu par quelques groupes de l’AFPS. Quelles impressions as-tu retirées de ces échanges ?
M. B. : Un peu d’inquiétude d’abord. Pour certains, l’AFPS est un groupe d’extrémistes antisémites, quelle bêtise ! J’ai rencontré des personnes généreuses et engagées pour une paix juste, pour le respect des droits humains. Qu’on le veuille ou non, les gouvernements successifs en Israël n’ont pas fait le boulot ! Et c’est de pire en pire ! Avec une gauche israélienne moribonde, il faut que des voix se fassent entendre, comme la vôtre, mais aussi l’UJFP et des artistes comme le cinéaste israélien Avi Mograbi. En ce moment, ça manifeste fort là-bas ! Et si je dénonce, c’est pour mieux parler de résilience.
Propos recueillis par Jacques Fröchen