Gaza (Frédéric Sautereau)
Lettre à monsieur Prasquier, président du Crif.
Auteur du travail d’enquête sur le Hamas qui doit être exposé à Angoulême à partir du 10 avril, je fais l’objet d’attaques et menaces répétées du Crif depuis plusieurs jours. Je tenais à pouvoir m’exprimer.
Tout d’abord, je regrette cette polémique mais surtout, je ne la comprends pas.
Monsieur Prasquier, président du Crif, m’accuse de faire l’apologie du Hamas et du terrorisme. Je mets au défi quiconque de trouver dans mon travail photos et textes, la moindre apologie du Hamas et encore moins du terrorisme.
Trois photos de bombardements israéliens
Dans les six premières lignes de mon texte de présentation, j’utilise trois fois le mot terrorisme. Je parle des attentats suicides du Hamas commis contre la population israélienne entre1994 et 2005 et des roquettes envoyées sur les villes israéliennes.
Je mène cette enquête depuis plusieurs années où je montre les aspects politique, social et militaire du Hamas avec sa branche armée, l’embrigadement fait auprès des jeunes, les Palestiniens, hommes et femmes, qui s’opposent courageusement au Hamas dans la bande de Gaza et qui se font arrêtés et tabassés. Je montre un prisonnier dans la prison de Gaza torturé, par le Hamas, car accusé de collaboration avec Israël.
Et je montre des civils palestiniens blessés par des bombardements israéliens (trois photographies sur 88 que contient mon travail) où j’explique comment le Hamas aide financièrement les familles pour s’assurer, bien évidemment, de leur soutien.
Pensez-vous, monsieur Prasquier, que lorsque j’explique que le Hamas s’est approprié les terres des anciennes colonies de Netzarim et les revend à des Palestiniens alors que ces terres appartiennent à l’Autorité palestinienne et que je montre en photographie un des intermédiaires que le Hamas utilise pour effectuer ces transactions et s’enrichir, je fasse l’apologie du Hamas ?
Vous ignorez, visiblement, ce qu’est une enquête journalistique.
Interdisons les documentaires !
Il n’est pas question, pour moi, de liberté d’expression, il est juste question de respect envers un travail réalisé avec sérieux et honnêteté intellectuelle. Ces deux principes étant le fil conducteur de mon travail depuis dix-huit ans.
Comment osez-vous, monsieur Prasquier, faire un lien direct entre mon travail et l’atroce massacre des enfants juifs de Toulouse ? Je me souviens au lendemain de ce drame des communautés juive et musulmane de France qui demandait de ne pas faire d’amalgame, c’est exactement, ce que vous faites. Si une enquête journalistique sérieuse peut entraîner un passage à l’acte, il faut interdire tout documentaire sur les guerres, la drogue, le nazisme, (je rappelle que vous comparez mon travail à une éloge du nazisme), il faut aussi interdire la télévision, le cinéma…
Le Hamas, prêt à reconnaître Israël
Oui, la charte du Hamas écrite, il y a plus de 25 ans, est un ramassis d’antisémitisme et autres ignominies. Mais mon analyse du Hamas, de ces trois dernières années, m’amène à dire que le Hamas aujourd’hui est prêt à reconnaître l’existence de l’Etat d’Israël. En acceptant de discuter avec Israël sur les frontières de 1967, c’est une acceptation implicite de son existence. Je ne suis pas le seul à le dire, c’est le constat de tout observateur, un peu sérieux, de ce conflit. Et en tant que journaliste, je trouve qu’observer et raconter cette évolution me paraît importante, notamment vers un espoir, enfin, d’une paix durable dans la région. Le Hamas a aujourd’hui les mêmes problèmes à contrôler le djihad islamique et les Comités de résistance populaire que le Fatah avait avec le Hamas, il y a dix ans.
Ephraïm Halévy, ancien chef du Mossad, a déclaré en janvier 2011 :
« Le Hamas est en train d’évoluer vers une acceptation de l’Etat d’Israël, les islamistes ne le disent pas ainsi. Ils disent quelque chose de différent : qu’ils acceptent un Etat palestinien dans les frontières de 67. Si on comprend leur langage, c’est-à-dire qu’au-delà de cet Etat, il y a un autre Etat, c’est Israël. ».
Il dit également que l’Occident a tort de ne pas parler avec les islamistes palestiniens.
Monsieur Prasquier, accusez-vous, Ephraïm Halévy, ancien chef du Mossad, de faire l’apologie du Hamas et du terrorisme ?
Une nouvelle fois, le Crif se trompe de cible.
Je suis triste, monsieur Prasquier, car à travers votre voix, le Crif ne fait pas honneur à la communauté juive française qu’il est censé représenter. Je le déplore.
Je vous invite, cordialement, au débat qui doit avoir lieu à Angoulême le mercredi 11 avril, à 20 heures, où, je l’espère, nous pourrons avoir un échange intelligent sur ce conflit.
Bien à vous.
Frédéric Sautereau, photojournaliste.