Tout d’abord, des évènements qui touchent la gestion du pluralisme culturel religieux. Les attentats sanglants, tant à Bagdad qu’à Alexandrie ont révélé, si besoin encore est, la montée de l’intégrisme religieux dans les pays arabes pluricommunautaires. Toutefois, quelle que soit l’horreur subie par les chrétiens d’orient, il faudrait également prendre en considération, les autres persécutions, qui touchent les autres minorités, notamment le conflit sunnite-chiite en Irak et le conflit juif-musulman en Israël, qui reposent tout autant, sur le même refus du pluralisme culturel religieux, et la même pulsion de domination et de discrimination. La question de la discrimination culturelle, doit être saisie par principe, dans son ensemble (race, langue, religion et mœurs) et concernant son aspect religieux, elle doit être traitée, entre les diverses religions de la planète ,notamment les cinq grandes, incluant les trois religions monothéistes et leurs schismes. (Juifs, catholiques, orthodoxes, protestants, sunnites, chiites, hindouistes, bouddhistes (grand et petit véhicule), confucianistes, animistes…). La revendication culturelle religieuse, au cœur de la structuration culturelle identitaire, pouvant entraîner une revendication de droits politiques qui, si elle n’est pas bien aménagée, s’idéologise et menace l’unité nationale.
Au soudan, au même moment, il y a eu une solution pacifique, référendaire constitutionnelle, à un conflit qui a duré des décennies et a occasionné, des millions de morts. Cette solution ultime ,a été rendue possible, au prix d’interminables tractations, en redéfinissant l’espace géographique et acceptant, des exodes et des déplacements de populations. Toutefois, cette solution n’est pas toujours matériellement possible, chaque fois qu’il y a pluralisme culturel et parfois, il faudrait mieux aménager, l’espace unitaire qui devient, un espace d’échanges, de mise en commun et en partage (on ne partage pas la terre, on partage la culture).
L’essentiel, c’est de percevoir ce pluralisme culturel, comme une valeur ajoutée. La culture collective s’intériorise ,négativement ou positivement et peut être le lieu, de rejet de l’autre dans le conflit (choc) ou de l’acceptation de l’autre, dans la complémentarité(dialogue).C’est un processus d’identification, qui se construit au fil du temps et des expériences accumulées dans la mémoire collective transmise : les expériences négatives et traumatisantes l’empoisonnant et créant un ressentiment, et les expériences positives le vivifiant, le faisant évoluer et produisant, une dette de reconnaissance (re-co-naître : naître à nouveau avec). Il n’y a pas en la matière, de solution idéale, ni la scission, ni la réconciliation. C’est une construction, cas par cas, qui soit aboutit, soit échoue en fonction de la mise en avant, d’aspects positifs qui pacifient ou négatifs qui déstructurent. Il y a là un besoin, de figures médiatrices et fédératrices qui apaisent (images du père dépositaire d’un pouvoir légitime, tant matériel que moral). L’identité humaine (de l’individu et du groupe) se construisant, autour de l’image référentielle du père. Les autres espèces vivantes n’ont pas d’identité, par défaut d’image consciente du père (qui relie). Ce rôle, pouvant être détenu bien entendu, à l’occasion, par une femme.
Toute déconstruction du groupe est due, à la défaillance ultime et à l’impuissance de l’autorité paternelle, ne proposant plus un discours structurant, qui redéfinisse l’identité et la cohésion du groupe et fonde son unité. (Élimination de Saddam et de ses deux fils, question de succession de Moubarak et de ben Ali, comme de Kadhafi et avant eux, des rois Hassan et Hussein et des présidents Assad, père et fils).
La question du pluralisme social (démocratique) même si elle met en avant, d’autres arguments (émeutes sociales et non émeutes religieuses, libertés individuelles ou de partis politiques et non libertés des communautés ou des minorités culturelles) relève du même mécanisme structurel (père défaillant ou sous emprise, absence de discours fédérateur).
Tout le processus de décomposition en Tunisie, a suivi cette même logique : Ben Ali sous la coupe de sa femme et de sa belle famille, corruption, élite sociale entravée, système politique vérouillé,absence de mécanisme de transmission et d’héritier présomptif… Ben Ali a reproduit finalement, à un quart de siècle d’intervalle, le même schéma que Bourguiba (père de la nation dont il été le fils élu puis renégat) et c’est sur l’avenue Bourguiba, que le coup d’état civil s’est effectué, sous les yeux du monde, à travers internet. L’image -phare du marchand de quatre saisons, diplômé, chômeur qui s’immole par le feu et succombe à ses blessures après une visite de ben Ali (l’image est surréaliste) a déclenché un processus inéluctable : devant la chair brûlée, le roi était nu ! Toutes les tortures physiques aux manifestants, qui ont suivi, ne pouvaient plus aux yeux du monde, le revêtir.
Après les évènements traumatisants de Bagdad et d’Alexandrie, la crise de pouvoir toujours non résolue en Côte d’ivoire ,le rapt et la liquidation de deux français au Niger, choisis au hasard par AQMI, les autorités politiques en France, gouvernement et opposition, ont été très réservées par rapport à la crise tunisienne, alors que le président Obama, soudain très libre et délié, a haut et fort salué ce sursaut démocratique. Chaque partie en occident (Etats-Unis et Europe couple franco-allemand) se positionne finalement, par rapport à sa culture, son histoire et ses intérêts idéologiques et économiques à travers le monde (Iran, afganistan, pakistan, pays africains, pays sud américains, chine, russie, corée du nord, pays arabes, pays francophone...) Un même pays va se prévaloir selon le cas, du pluralisme culturel ou social, en fonction de ce qui lui semble, ponctuellement prioritaire. Une manière d’aménager de manière pragmatique, ses idéaux. Nul besoin de porter un jugement de valeur, l’absolu de l’homme étant, somme toute, obligatoirement relatif. Le processus d’identification est toujours, un processus continu de compensation, de négociation, de priorités conjoncturelles, à partir de constantes de base, qui soit s’additionnent, soit se neutralisent ou se rejettent.
Le Liban n’échappe pas non plus à cette logique. La crise libanaise, après l’assassinat du président Hariri, le 14 février 2005 et le retrait forcé des forces syriennes en avril, sous la pression populaire et mondiale, a fait entrer le Liban, dans une nouvelle série, d’impasses institutionnelles et de conflits parfois sanglants (série d’assassinats politiques, tous du même bord, entre février 2005 et septembre 2007, guerre contre Israël en juillet 2006,évènements de Nahr el bared en 2007, prise d’armes à Beyrouth en mai 2008 puis élection du président Sleiman après les accords de Doha le même mois, élections parlementaires en juin 2009, suivies par la formation du gouvernement d’union nationale de Saad Hariri, qui vient d’ être démissionné, le 12 janvier 2011 après les interruptions successives des tables rondes du dialogue national et des sessions du conseil des ministres).
Nous ne savons toujours pas si cette crise sera uniquement institutionnelle (comme en Belgique, depuis plus de trois ans et impasse gouvernementale, depuis bientôt plus de sept mois) ou si elle aura des incidences militaires sur le terrain, l’opposition, à travers la résistance islamique chiite, disposant d’une force armée, constituée avec l’aide de la Syrie et le soutien de l’Iran, sous le mandat Hraoui (1990-1999), renforcée sous le mandat Lahoud (1999-2008) et qui n’a toujours pas été démantelée.
Le Liban, comme les autres pays arabes, notamment récemment l’Egypte, l’Irak, le Soudan, la Tunisie, l’Algérie et de manière continue depuis plus d’un demi-siècle la Palestine et surtout Jérusalem, ville trois fois sacrée pour les trois monothéismes, vit une crise de pluralisme culturel religieux, doublée d’une crise de pluralisme social (démocratique), avec des risques récurrents de guerre civile ou de processus révolutionnaires non aboutis.(printemps de beyrouth,révolution orange...). Le cadre tant identitaire qu’institutionnel, n’étant toujours pas défini, de manière cohérente. (Toujours expérimental et approximatif). Pour le moment les lignes rouges, sont maintenues : TSL pour l’assassinat du président Hariri et la communauté sunnite, armes de la résistance pour la communauté chiite, et scission de la communauté maronite, à parts quasi égales entre les deux autres communautés, sur fond de lutte pour la présidence de la république, entre les différents leaders de cette communauté. Les trois grandes communautés représentant chacune, entre 23% et 27 %, avec revirement calculé selon le cas, des communautés minoritaires (druze, arménienne, grecque catholique, grecque orthodoxe….)
Le monde arabe continue à osciller, entre les crises du pluralisme culturel (minorités) et les soubresauts du pluralisme social (partis politiques). Le Liban est toujours bloqué, entre les deux. L’Occident lui-même hésite car avec la mondialisation, il expérimente à son tour, de nouvelles menaces, qui remettent en question, son ordre de priorités et son échelle de valeurs.