La flambée de violence qui s’est prolongée pendant trois jours dans plusieurs villes de Cisjordanie illustre le grand écart politique auquel est contraint Mahmoud Abbas : d’un côté, le souci d’accompagner les revendications et la colère de la population palestinienne ; de l’autre, celui de ne pas hypothéquer les chances de la médiation entamée par le secrétaire d’Etat américain, John Kerry, qui revient à Jérusalem, dimanche 7 avril. Le président de l’Autorité palestinienne a vu dans l’attitude des forces israéliennes la preuve que l’Etat juif " cherche apparemment à créer la confusion et le chaos dans les territoires palestiniens ", voire une " troisième Intifada ".
M. Abbas n’est pas le seul à agiter ce spectre. Plusieurs responsables militaires et éditorialistes israéliens y font référence, mais c’est en général pour relativiser le risque d’un soulèvement populaire. Pour eux, les conditions d’une telle fuite en avant ne sont pas réunies, à commencer parce que la majorité de la population palestinienne aspire au calme, condition sine qua non pour profiter d’une relative croissance économique.
Pour impressionnantes qu’aient été les manifestations qui se sont déroulées dans plusieurs villes palestiniennes, seule une part très minoritaire des foules descendues dans la rue pour exprimer leur tristesse et leur rage après la mort récente de trois Palestiniens a choisi d’affronter les forces israéliennes. Cette mobilisation est donc trompeuse, même s’il est vrai que la Cisjordanie n’avait pas connu une telle convulsion depuis des années : neuf civils palestiniens ont été tués depuis le début de l’année.
C’est une situation potentiellement dangereuse, qui confirme un phénomène dont les autorités israéliennes ne semblent pas prendre la mesure. La colère devant l’occupation de toute une génération de jeunes Palestiniens atteint peut-être son paroxysme. Contrairement à leurs aînés, ils n’ont pas subi les conséquences très négatives de la seconde Intifada parce qu’ils étaient trop jeunes.
Mahmoud Abbas est pris dans une nasse politique. Ayant perdu beaucoup de son autorité par l’échec de sa stratégie de négociations avec les Israéliens, il préside une Autorité palestinienne qui ne peut payer ses fonctionnaires qu’en fonction du bon vouloir d’Israël. Il est surtout à la merci de la trêve, fragile, qui a été conclue entre le Hamas et Israël depuis la guerre de novembre 2012.
Pour la première fois depuis l’opération " Pilier de défense " de novembre 2012, Israël a lancé des frappes aériennes sur Gaza, mercredi, en réponse à des tirs répétés de roquettes. Ce qui tend à prouver que l’effet de dissuasion acquis en novembre est peut-être en train de s’effriter. La réélection il y a quelques jours de Khaled Mechaal à la tête du Hamas va poser très vite un nouveau problème de crédibilité à Mahmoud Abbas. Devenu pragmatique, M. Mechaal va relancer la question de la réconciliation palestinienne.
Or les Etats-Unis, comme Israël, ont averti que la constitution d’un gouvernement d’union nationale entre le Hamas et le Fatah sonnerait le glas de tout espoir d’une reprise des pourparlers israélo-palestiniens. John Kerry a pris soin de préciser qu’il ne sera porteur d’aucun plan de paix. L’intention du secrétaire d’Etat est d’obtenir de Benyamin Nétanyahou, le premier ministre israélien, et de Mahmoud Abbas l’engagement de ne pas se livrer à la moindre provocation pendant une période d’au moins deux mois.
Au-delà, au vu des consultations avec les deux parties, Washington pourrait proposer un canevas pour reprendre des négociations portant à la fois sur les frontières d’un futur Etat palestinien et des garanties de sécurité pour Israël. Il semble que M. Abbas a fait accepter ce principe par l’Autorité palestinienne.
Celle-ci s’abstiendrait de toute démarche internationale jugée provocante par Washington, comme une demande d’adhésion à la Cour pénale internationale. Pour que ce fragile statu quo perdure, il faut que la situation en Cisjordanie reste sous contrôle, qu’Israël continue à surseoir à l’annonce de nouvelles constructions dans les colonies, que d’inévitables affrontements ne provoquent pas de nouveaux " martyrs " et que le " front de Gaza " reste calme. C’est sans doute beaucoup demander.