TOUT LE MONDE parle des 100 premiers jours de Barack Obama. Et il y a beaucoup à en dire.
Comme un jeune taureau, il a bondi dans l’arène. Un déluge d’idées nouvelles dans tous les domaines, un tsunami d’initiatives concrètes, dont un certain nombre ont déjà commencé à se réaliser. Il est clair qu’il y a réfléchi depuis longtemps et qu’il avait l’intention de les réaliser dès son entrée en fonction. Il a rassemblé son équipe depuis longtemps et ses gens sont entrés en action dès avant son entrée triomphale à la Maison Blanche. Dans les premiers jours, il a nommé les ministres, qu’il avait pour la plupart choisi depuis longtemps – il semble s’agir d’un cabinet efficace, dont les membres sont à la hauteur de leur tâche.
Tout cela conformément à une règle établie depuis longtemps : ce qu’un nouveau président ne lance pas au cours de ses 100 premiers jours, il ne le réalisera pas ensuite. Au début, tout est plus facile, parce que l’opinion publique est prête pour le changement.
Un Israélien ne peut, naturellement, pas s’empêcher de comparer Obama à Netanyahu, notre vieux Premier Ministre, qui n’a pas vraiment bondi dans l’arène. Il s’y est traîné.
ON AURAIT PU s’attendre à ce que Netanyahu fasse encore mieux qu’Obama en la matière.
Après tout, il s’était déjà trouvé dans cette situation. Il y a dix ans, il occupait déjà le fauteuil de Premier Ministre, accumulant de l’expérience. Et chacun peut et devrait apprendre de l’expérience – en particulier d’une mauvaise expérience.
De plus, la victoire de Netanyahu n’était guère une surprise. L’élément inattendu du résultat de l’élection fut que son adversaire, Tsipi Livni, obtint légèrement plus de voix que lui, mais pas assez pour l’empêcher d’obtenir – avec le concours de ses partenaires – une majorité.
Il disposait donc de beaucoup de temps pour préparer son accession au pouvoir, consulter des experts, mettre au point ses projets dans divers domaines, choisir son équipe, réfléchir aux nominations de ministres, de son camp et de celui de ses partenaires.
Et pourtant, chose incroyable, il s’avère que rien, vraiment rien de tout cela ne s’est produit. Pas de projets, pas de collaborateurs, pas d’équipe, absolument rien.
Jusqu’au moment présent, Netanyahu n’a pas réussi à réunir son équipe personnelle – une condition préalable fondamentale pour toute action efficace. Il n’a pas de directeur de cabinet, une fonction très importante. Dans son bureau, le chaos règne en maître.
Le choix des ministres a fait surgir scandale après scandale. Il a non seulement constitué un gouvernement horriblement pléthorique (39 ministres et secrétaires d’État, la plupart d’entre eux portant des titres fictifs) mais presque tous les ministères importants sont attribués à des personnes totalement inadaptées.
À un moment de crise économique mondiale, il a nommé aux finances un ministre qui ne connaît rien à l’économie, donnant l’impression qu’il pensait diriger lui-même les finances – ce qui est tout à fait impossible à un homme en charge de l’ensemble de l’État. Le ministère de la Santé a été attribué à un rabbin orthodoxe en tant que Secrétaire d’État. En pleine épidémie mondiale, nous n’avons pas de ministre de la Santé, et, selon la loi, il revient au Premier ministre d’en assumer la charge, également. Dans presque tous les autres ministères – des Transports au Tourisme – il y a des titulaires qui ne connaissent rien à leur domaine de responsabilité et qui ne prétendent même pas s’y intéresser – ils attendent simplement une occasion d’évoluer vers des choses plus importantes et meilleures.
Nul besoin de perdre beaucoup de temps à parler de la nomination d’Avigdor Lieberman au ministère des Affaires Étrangères. Cette mauvaise langue professionnelle provoque chaque jour un scandale dans ce domaine particulièrement sensible du gouvernement. L’éléphant dans le magasin de porcelaine a déjà réussi à transformer les diplomates en éléphanteaux qui, chacun, s’emploie à briser les plats autour de lui. À l’heure qu’il est, ils s’activent à gâcher les relations d’Israël avec les États-Unis.
Toutes ces nominations apparaissent comme les efforts désespérés d’un politicien cynique qui n’a pas d’autre préoccupation que le retour au pouvoir, la formation rapide d’un gouvernement, quelle qu’en soit la composition, consentant à payer n’importe quel prix à tout parti disposé à se joindre à lui, sacrifiant même les intérêts les plus vitaux de l’État.
POUR CE qui concerne les projets, Netanyahu ne ressemble pas non plus à Obama. Il est arrivé au gouvernement sans aucun projet dans quelque domaine que ce soit. On a l’impression qu’il a passé ses années dans l’opposition avec la tête en hibernation.
Il y a une semaine, il a présenté un "projet économique" grandiose pour sauver notre économie des ravages de la crise économique mondiale. Les économistes ont froncé les sourcils. Le "projet" ne comporte guère plus qu’un ensemble de slogans éculés et une taxe sur les cigarettes. Ses collaborateurs ont bégayé qu’il s’agissait seulement d’une "esquisse générale", pas encore d’un projet, et qu’ils allaient maintenant se mettre à travailler à un véritable projet.
L’opinion publique ne se préoccupe pas vraiment de l’absence de projet économique. Elle a confiance dans l’improvisation, le merveilleux talent israélien qui supplée une incapacité à projeter quoi que ce soit.
Mais dans le champ de la politique, la situation est encore pire. Parce que, sur ce terrain, l’impréparation de Netanyahu est confrontée à l’hyperpréparation d’Obama.
Obama a un projet pour la restructuration du Moyen Orient, dont l’un des éléments est une paix israélo-palestinienne fondée sur "Deux États pour deux peuples". Netanyahu fait valoir qu’il n’est pas en mesure d’y répondre, parce qu’il n’a pas encore de projet personnel. Après tout il vient d’entrer en fonction. Il est maintenant en train de travailler à un tel projet. Très prochainement, dans une semaine, ou un mois, ou une année, il aura un projet, un véritable projet qu’il proposera à Obama.
Naturellement, Netanyahu a un projet. Il tient en un mot qu’il a appris de son mentor, Yitzhak Shamir : "NON". Ou, plus précisément, NON NON NON – les trois non du Khartoum israélien : Non à la paix, Non au retrait, Non aux négociations. (On se souviendra que la Conférence Arabe au Sommet de 1967 à Khartoum immédiatement après la guerre des 6 jours adopta une résolution semblable.)
Le "projet" auquel il travaille ne concerne pas en réalité la nature de sa politique, mais son habillage. Comment proposer à Obama quelque chose qui ne produira pas l’effet d’un "non" mais plutôt d’un "oui mais". Quelque chose que tous les serfs du lobby israélien au Congrès et dans les media puissent avaler sans difficulté.
EN GUISE d’avant-goût du "projet", Netanyahu en a déjà présenté l’un des ingrédients : l’exigence que les Palestiniens et les autres Arabes soient mis dans l’obligation de reconnaître Israël comme "l’État du Peuple Juif".
La plupart des media en Israël et à l’étranger ont déformé cette exigence et annoncé que Netanyahu demande la reconnaissance d’Israël comme un “État Juif”. Que ce soit par ignorance ou par paresse, ils ont gommé la différence importante entre les deux formules.
La différence est immense. Un "État Juif" est une chose, un "État du Peuple Juif" est quelque chose de fondamentalement différent.
Un "État Juif" peut signifier un état dont une majorité de citoyens se définissent eux-mêmes comme juifs et/ou un État dont la langue principale est l’hébreu, dont la culture principale est juive, dont le jour de repos hebdomadaire est le samedi, qui ne sert que de la nourriture casher dans la cafeteria de la Knesset etc.
Un "État du Peuple Juif" est une histoire totalement différente. Cela veut dire que l’État n’appartient pas seulement à ses citoyens, mais à quelque chose que l’on appelle "le Peuple Juif" – quelque chose qui existe à la fois à l’intérieur et à l’extérieur du pays. Cela peut avoir des implications très étendues. Par exemple : l’abrogation de la citoyenneté des non-juifs, comme le propose Lieberman. Ou l’attribution de la citoyenneté israélienne à tous les Juifs du monde, qu’ils le veuillent ou non.
La première question qui vient à l’esprit est : qu’entend-on par "le Peuple Juif" ? Le terme "peuple" - "am" en hébreu, "volk" en allemand – n’a pas de définition précise reconnue. En général on l’emploie pour désigner un groupe d’êtres humains qui vivent sur un territoire déterminé et parlent une langue déterminée. Le "Peuple juif" n’est pas comme cela.
Il y a deux cents ans, il était clair que les Juifs constituaient une communauté religieuse dispersée à travers le monde et unie par des croyances religieuses et des mythes (y compris la croyance dans des ancêtres communs). Les sionistes étaient déterminés à modifier cette perception d’eux-mêmes. "Nous sommes un peuple, un seul peuple" écrivit en allemand Théodore Hertzl, le fondateur du sionisme, en utilisant le mot allemand "volk". L’idée de "l’État du peuple juif" est incontestablement anti-sioniste. Hertzl ne rêvait pas d’une situation dans laquelle un État juif et une diaspora juive coexisteraient. Selon son projet, tous les Juifs qui voudraient rester juifs immigreraient dans leur État. Les Juifs préférant vivre hors de cet État cesseraient d’être des Juifs et seraient intégrés à leurs nations hôtes, devenant en fin de compte de vrais Allemands, Britanniques et Français. La conception du "visionnaire de l’État" (comme on le désigne officiellement en Israël) était supposée, une fois mise en pratique, entraîner la disparition de la diaspora juive – le peuple juif hors du "Judenstaat".
David Ben-Gourion adhérait à cette conception. Il déclarait qu’un Juif qui n’immigre pas en Israël n’est pas un sioniste et ne devrait bénéficier d’aucun droit en Israël, sauf le droit d’y immigrer. Il exigeait le démantèlement de l’organisation sioniste, y voyant seulement "l’échafaudage" pour la construction de l’État. Une fois l’État établi, il pensait de façon tout à fait juste que l’échafaudage devrait être abandonné.
L’EXIGENCE DE NETANYAHU que les Palestiniens reconnaissent Israël comme "l’État du Peuple Juif" est ridicule, même en tant que tactique pour éviter la paix.
Un État reconnaît un État, non son idéologie ou son régime politique. Personne ne reconnaît l’Arabie Saoudite, la patrie des Hajj, comme "l’État de la Umma musulmane" (la communauté des croyants).
En outre, cette exigence met les Juifs du monde entier dans une position impossible. Si les Palestiniens devaient reconnaître Israël comme "l’État du Peuple Juif", il faudrait alors que tous les gouvernements du monde fassent de même. Les États-Unis par exemple. Cela signifie que les citoyens juifs des États-Unis que sont Rahm Emmanuel et David Axelrod, les conseillers les plus proches d’Obama, sont représentés officiellement par le gouvernement d’Israël. Il en va de même pour les Juifs de Russie, du Royaume Uni et de France.
Même si l’on persuadait Mahmoud Abbas d’accepter cette exigence – et par là de rendre indirectement incertaine la citoyenneté d’un million et demi d’Arabes d’Israël – je m’y opposerais énergiquement. Bien plus je le considérerais comme un acte hostile.
Le caractère de l’État d’Israël doit être déterminé par les citoyens d’Israël (qui présentent un large éventail d’opinions sur le sujet). Une demande a été déposée devant les tribunaux israéliens par des douzaines de patriotes israéliens, dont moi-même, pour exiger que l’État reconnaisse la "nation israélienne". Nous demandons à la justice qu’elle enjoigne au gouvernement de nous inscrire au registre officiel de la population à la rubrique "nation" comme Israéliens. Le gouvernement refuse catégoriquement et soutient que notre nation est juive.
Je demande à Mahmoud Abbas, Obama et quiconque n’est pas citoyen israélien de ne pas interférer dans ce débat interne.
Netanyahu sait, naturellement, que personne ne va prendre cette exigence au sérieux. C’est à l’évidence un simple prétexte pour éviter de sérieuses négociations de paix. S’il est contraint d’y renoncer, il ne faudra pas longtemps pour qu’il en avance un autre.
Pour paraphraser Groucho Marx : "Voici mon prétexte. S’il ne vous plait pas, eh bien, j’en ai quantité d’autres."