A la conférence de presse où il a annoncé son départ du Likoud, Sharon a promis « la poursuite de l’application de la feuille de route ». Pour les supporters de Kadima qui ne se souviennent pas ce que cette « route » américaine bien malmenée - et qui est devenue la plateforme du nouveau parti - dit réellement, voici quelques citations extraites du document : « les parties parviendront à un accord final global mettant fin au conflit israélo-palestinien en 2005, et ce par un règlement négocié entre les parties ».
Elle parle aussi “d’une solution négociée du statut de Jérusalem prenant en compte les intérêts politiques et religieux des deux parties", de la question des réfugiés, d’un Etat Palestinien viable et souverain, de discussions de paix avec la Syrie et le Liban - tout ceci sur la base des Résolutions 242 et 338 de l’ONU, de l’initiative de l’Arabie Saoudite et des décisions de la Ligue Arabe.
Combien de gens qui projettent de voter pour Kadima le feront en pensant que Sharon a l’intention de parler avec Mahmoud Abbas à propos de la division de Jérusalem, et d’inviter Bashar Assad pour négocier au sujet du Golan ? Y a-t-il quelqu’un qui croie sérieusement que tout ceci n’a pas eu lieu ces trois dernières années, depuis la rédaction de la feuille de route, simplement parce que l’Autorité Palestinienne n’a pas « détruit les infrastructures terroristes ? ».
Qui gobe l’histoire que le désengagement unilatéral de la Bande de Gaza et du nord de la Cisjordanie était en fait une étape dans la feuille de route ? A-t-on déjà oublié que ce désengagement avait pour seul but de mettre la feuille de route dans le formol jusqu’à ce que les Palestiniens aient la gentillesse de devenir des Finlandais ?
La carte maîtresse de Sharon ne ressemble pas à la feuille de route. Ses supporters ne croient pas un instant qu’il ait la moindre envie d’avoir un partenaire palestinien avec qui négocier. Ils affluent autour de lui parce qu’ils ne croient pas à ses promesses répétées que le retrait de Gaza est le dernier retrait unilatéral. Le secret de son succès réside dans une approche post-moderne de résolution des conflits, gagnant sa crédibilité ici avec des slogans tels que partager la terre selon vos désirs, ou renforcement unilatéral dans les blocs de colonies. Derrière cette approche gît l’hypothèse : ce qui est bon pour Gaza ne peut être mauvais pour la Cisjordanie.
L’aspiration de Sharon à maintenir la plupart des colons dans les blocs de colonies partout en Cisjordanie tout en rejetant les Palestiniens derrière une clôture estompe les différences énormes entre les deux territoires. A Gaza, Israël s’est retiré sur une frontière acceptée (plus ou moins, si l’on excepte quelques centaines de mètres au nord de la Bande), et plus aucune colonie n’y est restée. La surface de Gaza est sept fois inférieure à celle de la Cisjordanie, et sa densité de population bat des records. Gaza n’est pas la capitale de la Palestine et n’a pas de lieux saints chers aux cœurs des belligérants. Gaza n’a pas de sources d’eau et elle n’a pas de frontière avec un état arabe faible et entouré par des ennemis.
Cela fait un peu plus de cinq ans depuis les tentatives avortées de Barak d’imposer aux Palestiniens les futures frontières de leur état et un règlement concernant les lieux saints de Jérusalem. L’écart était trop grand entre les diktats de Barak et les espérances territoriales et autres de Yasser Arafat. Sharon a des raisons de croire que la carte qui serait mise sur une table de négociation serait similaire, sinon identique, à celle proposée par Bill Clinton. Les Palestiniens recevraient 94 à 96% de la Cisjordanie et des échanges territoriaux 1 pour 1 pour le complément. Dans des négociations, Sharon devrait oublier le plan E-1 qui vise à achever l’encerclement de Jérusalem-Est, et devrait supprimer Ariel et la Vallée du Jourdain de la liste des bmocs de colonies.
Sharon n’a pas l’intention de répéter l’exercice de Barak. Il ne se penchera pas sur des cartes à Camp David entre George Bush et Mahmoud Abbas. Il dicte son plan de Bantoustans sur le terrain entre clôtures et murs, en évacuant deux avant-postes et en agrandissant une douzaine de colonies. Le dernier diktat s’est terminé par la mort de 1.000 Israéliens et de 3.000 Palestiniens.