"Nous assistons à la chute de l’ancien ordre arabe et à la naissance d’un nouveau, un processus qui pourrait prendre des mois voire des années", explique le professeur de sciences politiques Khattar Abu Diab, de l’université de Paris XI. "Mais une chose est sûre, ce tsunami démocratique ne s’arrêtera pas",
ajoute-t-il. "La jeunesse arabe qui est descendue dans les rues a forcé les pays occidentaux à réaliser que les régimes qu’ils soutenaient n’étaient pas éternels et qu’ils devaient écouter les peuples et pas seulement se concentrer sur les propres intérêts économiques", insiste-t-il.
La première secousse est venue de la Tunisie, où la "révolution du jasmin" a renversé le président Zine El Abidine Ben Ali, après 23 ans de règne. La deuxième a eu lieu en Egypte avec la chute du président Hosni Moubarak, au pouvoir depuis trois décennies. Ces révoltes ont fait boule de neige en Libye, au Yémen, à Bahreïn, en Jordanie...Elles ont pris les autorité locales totalement par surprise mais également remis en question les politiques des pays occidentaux qui, craignant une vague islamiste, ont soutenu pendant des décennies des régimes autocratiques qui faisaient peu de cas des droits de l’Homme et des principes démocratiques. "Les régimes arabes ont convaincu l’Occident que l’alternative, s’ils tombaient, était l’extrémisme islamiste, mais il apparaît qu’ils avaient tort", estime Paul Salem, directeur du Middle East Carnegie Centre, basé à Beyrouth. "Les islamistes ont été présents durant les révolutions mais ils sont bien conscients que (...) les slogans (liberté, modernité, diversité et démocratie) qu’elles véhiculaient n’étaient pas les leurs", ajoute-t-il.
Les analystes soulignent également le manque de vision des Occidentaux, qui n’ont pas su interpréter les premiers signes du mécontentement."Il y a eu un formidable effet de surprise pour ces pays occidentaux (...) parce que les dirigeants politiques (dans les pays arabes) étaient leurs seuls interlocuteurs", estime Agnès Levallois, auteur de "Moyen-Orient, mode d’emploi". "Il y avait deux sujets de préoccupation majeure pour l’Occident : la lutte contre l’islamisme et la lutte contre l’immigration", estime-t-elle. "Il faut nouer un dialogue avec d’autres interlocuteurs (...) pour nouer un lien, une confiance", poursuit-elle.
La principale question aujourd’hui est de savoir quelles voix nouvelles vont émerger de ces bouleversements. Si certains analystes craignent que les mouvements islamistes gagnent du terrain aux futures élections, d’autres sont confiants dans la puissance du vent démocratique du changement.
"Les révoltes vont contenir la montée de l’islamisme (...), qui aura des sièges dans les prochaines élections mais pas de façon significative", prédit M. Salem. La façon dont les nouvelles autorités vont gérer leurs relations avec Israël et les intérêts occidentaux pétroliers dans la région fera figure de
test.
En face, Washington et ses alliés n’ont d’autre choix que d’adopter une approche plus équilibrée, en particulier dans le conflit israélo-arabe, estime M. Diab, ajoutant que ce que les manifestants veulent, c’est "la création d’une nouvelle équation régionale qui respecte la justice et l’égalité, dont la création d’un Etat palestinien viable".