Cependant, en lisant l’entièreté de ces archives, plus de 1 600 documents, comme j’ai pu le faire cette semaine dans les bureaux d’ Al-Jazeera à Doha, au Qatar, on a une vision globale utile et aussi des aperçus des trois grands acteurs de ce processus : l’Autorité palestinienne, le gouvernement israélien et les responsables américains.
Cet accès inédit à ce qui a été dit et échangé lors des centaines de sessions de négociations entre négociateurs israéliens et palestiniens, ou palestiniens et américains, clarifie les raisons pour lesquelles le processus de paix actuel n’a connu aucune avancée substantielle et durable depuis près de 19 ans (depuis le processus d’ Oslo en 1993). Les papiers apportent des éclairages importants sur les positions que les Israéliens et les Palestiniens prirent, les offres qu’ils firent, les concessions qu’ils acceptèrent, les ballons d’essai qu’ils lancèrent, les propositions qu’ils rejetèrent et les principes qui les guidaient.
Tout ceci avec les positions des médiateurs américains sur les questions cruciales - « la terre, les frontières, la sécurité, les colonies, l’eau, Jérusalem et les réfugiés », selon leur liste. M’appuyant sur la lecture que j’ai faite de ces documents, voici mes premières conclusions sur les leçons qu’il faut en tirer.
Les documents soulignent l’obsession des Israéliens pour trois dimensions liées au fait d’avoir leur propre Etat et leur peuple, dimensions qu’ils traduisent lors des négociations en exigences qu’il leur est sans doute impossible de faire accepter à moins de bénéficier d’une intervention divine. Ce sont : la nature exclusivement “juive ” de l’Etat israélien que les Palestiniens doivent accepter, ce qui a des implications négatives insurmontables pour les citoyens palestiniens d’Israël et pour des millions de réfugiés palestiniens ; l’exigence de “sécurité” a priori, absolue et éternelle, pour les juifs d’Israël et pour ceux qui pourraient rester dans les colonies existantes sous juridiction d’un futur Etat palestinien ; et puis un refus intraitable de reconnaître la moindre responsabilité concernant le statut de réfugiés des Palestiniens qui furent déplacés en 1947-1948.
Israël reconnaît les “aspirations” et les “rêves,” des Palestiniens mais pas leurs “droits.” Il veut bien reconnaître la “souffrance” des réfugiés et leur droit à l’auto-détermination en Cisjordanie et à Gaza seulement, mais pas leur droit de retourner chez eux ; seule une “revendication” de retour pourrait trouver une solution : 10,000 Palestiniens tout au plus seraient autorisés selon des critères humanitaires à retourner sur leurs terres originelles et dans leurs maisons.
Selon les documents, les Palestiniens ont constamment rejeté ces exigences israéliennes absolues. N’ayant aucun pouvoir de négociation sérieux pour les atténuer, ils mettent en avant des principes de négociations raisonnables -les frontières de 1967 comme point de départ des pourparlers, les colonies, le droit au retour des réfugiés, entre autres [1].
Pourtant, ils offrent alors régulièrement des concessions qui semblent diluer voire nier ces principes, comme la remise à Israël du contrôle des parties de Jérusalem qui étaient initialement arabes, ce qui semble donner à Israël quasiment tout ce qu’il veut sans s’assurer de concessions équivalentes en retour. Les négociateurs palestiniens font des déclarations qui sont interprétées comme de grossières trahisons des droits des réfugiés au retour, de la compensation et de la restitution et d’autres solutions pour faire marche arrière sur le statut de réfugiés.
Le problème essentiel est l’ambiguïté récurrente qui fait que le droit au retour des réfugiés semble être une “carte” à jouer pendant les discussions ; ou encore le fait que les réfugiés n’auraient pas le droit de s’exprimer par referendum sur un règlement.
La direction palestinienne devrait dire clairement à son peuple, immédiatement et publiquement, ce qu’elle a dit en privé aux responsables israéliens et américains.
Les négociateurs palestiniens semblent également aussi préoccupés de combattre le Hamas et les Islamistes que d’affronter Israël afin de sauvegarder les droits nationaux des Palestiniens.
Dans les textes, les Américains apparaissent comme des poids légers dans la médiation. Ils n’ont pas la capacité, ou la volonté, de s’opposer aux positions israéliennes sur les questions clé telles que les grandes colonies comme Maale Adumim, le pourcentage de terres échangées, le « caractère juif » d’Israël, l’impossibilité du retour des réfugiés et un gel complet des colonies.
L’administration Obama refuse aussi de reconnaître l’engagement pris par l’administration Bush, par l’intermédiaire de la Secrétaire d’Etat Condoleezza Rice, de baser les négociations sur les frontières de 1967. Washington ressemble souvent à un messager du gouvernement israélien et du lobby pro-Israël aux Etats-Unis, plutôt qu’à un médiateur impartial. Il semble que c’est la politique intérieure en Israël et aux Etats-Unis qui définira la façon de résoudre le conflit au lieu que e soit le droit international, des principes éthiques élémentaires, la justice ou la simple décence humaine.
On a l’impression dans ces documents que les Israéliens ne veulent pas sérieusement négocier une paix globale qui s’approche un tant soit peu du consensus international sur la question.
Les Palestiniens sont prêts sérieusement à négocier un accord sur la base de deux Etats mais ils sont incapables de trouver la force diplomatique nécessaire pour faire bouger les Israéliens.
Et les Etats-Unis comprennent bien l’importance stratégique de conclure un accord de paix permanent négocié mais ils n’ont pas la capacité ou la volonté politique d’agir sur aucun des acteurs clé.