Note de la rédaction : Les dirigeants des six organisations de la société civile palestinienne qui ont été "mises hors la loi" par le gouvernement israélien ont envoyé la lettre suivante au président Joe Biden le 1er septembre, exigeant que les États-Unis condamnent et rejettent les attaques israéliennes contre la société civile palestinienne.
Le 1er septembre 2022
Monsieur le Président :
Nous, les directeurs des six éminentes organisations palestiniennes de défense des droits de l’homme et de la société civile basées en Cisjordanie occupée et arbitrairement mises hors la loi par les autorités israéliennes il y a plus de 10 mois, vous écrivons pour vous faire part de notre indignation concernant la réponse servile de votre administration à la répression et à la criminalisation flagrantes et non dissimulées de notre travail par les autorités israéliennes.
Dans la dernière escalade, les forces israéliennes ont fait une descente dans tous nos bureaux de la région de Ramallah tôt le 18 août, forçant l’entrée dans nos locaux, confisquant des dossiers et du matériel de bureau, et soudant et collant des avis sur nos portes qui ordonnaient la fermeture forcée des bureaux. Puis, le 21 août, plusieurs d’entre nous ont été convoqués par téléphone par l’Agence de sécurité israélienne (Shin Bet) pour être interrogés sur la base militaire israélienne d’Ofer. Les responsables israéliens ont délivré un message clair : cessez les opérations ou nous serons arrêtés, poursuivis et nous paierons le prix de la poursuite de notre travail humanitaire et de défense des droits humains.
Ce développement fait suite à une campagne de plusieurs années visant à délégitimer et à criminaliser nos organisations. En octobre dernier, le ministre israélien de la Défense, Benny Gantz, a signé un décret désignant nos six organisations palestiniennes de défense des droits humains et de la société civile comme des "organisations terroristes" en vertu d’une loi israélienne de 2016 sur le contre-terrorisme, une loi incompatible avec les droits humains. Deux semaines plus tard, le 3 novembre 2021, le commandant militaire en chef d’Israël en Cisjordanie a déclaré que les organisations étaient des " associations illégales " en Cisjordanie occupée en vertu de la loi militaire israélienne.
Cette mesure répressive du gouvernement israélien a suscité un tollé international car cette désignation a effectivement criminalisé les activités de nos organisations et autorisé les autorités israéliennes à fermer nos bureaux, à saisir nos biens et à arrêter et emprisonner les membres de notre personnel. L’Union européenne, qui finance une partie de nos programmes et qui, de ce fait, a été la cible de campagnes de désinformation visant à supprimer ce financement, a reconnu que des allégations antérieures similaires "n’ont pas été prouvées". Les experts des droits de l’homme des Nations unies ont condamné fermement et sans équivoque cette décision, déclarant que cette "désignation est une attaque frontale contre le mouvement palestinien des droits de l’homme et contre les droits de l’homme partout dans le monde". [Human Rights Watch et Amnesty International ont publié une déclaration commune condamnant la décision, notant que depuis des décennies, "les autorités israéliennes cherchent systématiquement à museler la surveillance des droits de l’homme et à punir ceux qui critiquent leur régime répressif à l’égard des Palestiniens".
Dans les jours, les semaines et les mois qui ont suivi, votre administration n’a pas agi malgré la reconnaissance par les responsables du gouvernement américain et les rapports que les autorités israéliennes ont, pendant des années, poursuivi des politiques et des tactiques visant à limiter l’espace humanitaire et de la société civile dans toutes les zones où les autorités israéliennes exercent leur contrôle. [Votre administration n’a pas agi malgré l’évaluation de votre propre Agence Centrale de Renseignement selon laquelle les informations transmises par les autorités israéliennes plus tôt dans l’année ne corroboraient pas les affirmations du gouvernement israélien.
Aujourd’hui, plus de 10 mois plus tard, alors que nous tous et notre personnel sommes sous la menace d’une arrestation et de poursuites imminentes pour des allégations que votre propre agence de renseignement aurait jugées non fondées, votre administration ne semble toujours pas disposée à répondre de manière substantielle à la question fondamentale de savoir si l’administration Biden a une position, dans un sens ou dans l’autre, sur la criminalisation de nos organisations par Israël. Votre administration ne veut apparemment même pas nous rencontrer directement ou répondre à notre correspondance ou à celle de notre personnel. L’incapacité à rejeter ou même à contester rhétoriquement la répression et la criminalisation totales de notre travail par les autorités israéliennes a permis et favorisé la campagne du gouvernement israélien visant à réduire au silence et à éliminer notre travail.
Récemment, nous avons été soutenus par d’autres États tels que la Belgique, le Danemark, la France, l’Allemagne, l’Irlande, l’Italie, les Pays-Bas, l’Espagne, l’Irlande et la Suède qui ont publié une déclaration commune en juillet sur les désignations israéliennes indiquant qu’"aucune information substantielle n’a été reçue d’Israël qui justifierait la révision de notre politique envers les six ONG palestiniennes sur la base de la décision israélienne de désigner ces ONG comme des ’organisations terroristes’".
Les neuf pays ont déclaré : "en l’absence de telles preuves, nous continuerons à coopérer et à soutenir fermement la société civile dans le TPO." Les membres du Congrès ont également demandé à votre administration de rejeter publiquement les désignations israéliennes et d’exhorter le gouvernement israélien à revenir sur sa décision.
Les tactiques répressives du gouvernement israélien déployées contre nous visent à démanteler les mécanismes cruciaux qui œuvrent au respect des droits de l’homme et à mettre fin au régime colonial et d’apartheid d’Israël, qui refuse systématiquement au peuple palestinien son droit à l’autodétermination et le droit au retour des réfugiés. Il s’agit d’une attaque contre le mouvement mondial des droits de l’homme.
Nos organisations effectuent un travail humanitaire et de défense des droits de l’homme vital, nécessaire en raison de l’occupation de la terre palestinienne par Israël depuis des décennies, qui est activement et vigoureusement soutenue par votre administration. Nous travaillons directement avec des femmes et des filles, des enfants, des familles de paysans, des prisonniers et des militants de la société civile palestiniens, en leur fournissant des services directs et en surveillant et dénonçant les violations des droits de l’homme. Nous sommes des chercheurs, des travailleurs sociaux, des avocats et des défenseurs des droits de l’homme qui s’efforcent d’obtenir le respect des droits de l’homme fondamentaux et l’obligation de rendre des comptes pour les crimes d’apartheid et de persécution, les crimes de guerre et d’autres violations graves du droit international.
Encouragé par des milliards de dollars de financement militaire et d’armement inconditionnel de la part des États-Unis et par des efforts diplomatiques inconditionnels qui empêchent toute responsabilité significative, plutôt que de mettre fin à la persécution du peuple palestinien ou de mettre fin aux politiques et pratiques discriminatoires qui privilégient les Israéliens juifs et répriment systématiquement les Palestiniens, le régime israélien est indubitablement engagé dans un contrôle autoritaire des Palestiniens et une occupation belliqueuse sans fin en vue.
Nous vous demandons, ainsi qu’à votre administration, de prendre immédiatement les mesures suivantes :
– Condamner les dernières actions du gouvernement israélien visant à délégitimer et à criminaliser les défenseurs des droits humains et les organisations de la société civile palestiniens ;
– Rejeter les allégations infondées du gouvernement israélien contre nos organisations de la société civile palestinienne et exiger que les autorités israéliennes annulent les désignations en vertu du droit civil et du droit militaire israéliens ;
– Travailler collectivement avec d’autres États pour exiger qu’Israël annule les désignations et prenne des mesures diplomatiques, de concert avec ses homologues européens, afin de protéger les organisations palestiniennes visées, leur personnel, leurs locaux et leurs biens ;
– Mettre fin à tout effort américain visant à saper le droit des Palestiniens et des organisations de la société civile palestinienne à obtenir justice et responsabilité, y compris devant la Cour pénale internationale.
– Mettre fin à la complicité et au soutien financier et diplomatique au régime d’apartheid israélien.
Alors que la dernière incursion illégale et agressive du gouvernement israélien visant chacune de nos organisations de la société civile constitue une menace existentielle pour la société civile palestinienne, nous savons que notre travail d’enquête et de dénonciation des violations des droits de l’homme ne peut jamais vraiment être arrêté.
Cordialement,
Khaled Quzmar
General Director
Defense for Children International – Palestine
Sahar Francis
General Director
Addameer Prisoner Support and Human Rights Association
Fuad Abu Saif
General Director
Union of Agricultural Work Committees
Shawan Jabareen
General Director
Al-Haq
Ubai Aboudi
Executive Director
Bisan Centre for Research and Development
Tahreer Jaber
General Director
Union of Palestinian Women’s Committees
Traduction et mise en page : AFPS / DD