Comment la société israélienne appréhende-t-elle le discours de Barack Obama, jeudi au Caire ?
Anica Pommeray : Il y a un peu d’appréhension. Tout le monde attend les déclarations de Barack Obama concernant l’avenir du processus de paix et la position de l’administration américaine au Proche-Orient. On a l’impression qu’il y a un changement avec l’arrivée de Barack Obama à la Maison Blanche, une nouvelle vision de l’avenir et de la paix dans la région.
Le président américain a évoqué, outre le gel des implantations, celui de leur croissance naturelle. Donc, pas d’agrandissement des implantations actuelles pour des raisons de croissance naturelle ! C’est un gros point de désaccord avec le gouvernement de Netanyahou [le premier ministre israélien], lequel a commencé la semaine dernière à démanteler quatre des vingt-six avant-postes illégaux.
Les Israéliens attendent également de l’administration d’Obama une position claire à l’égard des pays arabes, dans le contexte particulier des législatives au Liban et de la présidentielle en Iran.
Est-ce que les Israéliens croient à un net rapprochement entre Washington et le monde arabo-musulman ?
Je crois que c’est justement la crainte parce qu’un rapprochement avec le monde arabe pourrait initier un éloignement avec Jérusalem ; en tout cas une perte de soutien de l’administration américaine, l’allié principal d’Israël. A ce sujet, Obama a aussi récemment évoqué dans le cadre des élections libanaises, l’éventualité d’une reconnaissance officielle du Hezbollah en cas de victoire de ce dernier au scrutin du 7 juin. Ce serait un grand changement, le Hezbollah étant inscrit sur la liste noire des organisations terroristes aux Etats-Unis.
Il existe aussi un débat portant sur l’Iran. On verra ce qui se passe au moment du scrutin le 12 juin. En attendant Barack Obama a clairement prôné le dialogue avec l’Iran, ce qui a parfois déconcerté Jérusalem.
Mais qu’entendez-vous exactement par "positions claires d’Obama" ?
D’après ce qui était prévu, le président Obama devait annoncer demain au Caire les grandes lignes de la politique américaine au Proche-Orient. Finalement, c’est repoussé au mois prochain. On est donc tous dans l’expectative.
Les divergences entre Israéliens et Américains sont désormais publiques. Jusqu’où, aux yeux des Israéliens, Barack Obama est-il capable d’aller au détriment d’Israël ?
En ce moment, il y a beaucoup de bruit à propos des relations entre le nouveau président américain et le nouveau premier ministre israélien. En même temps, lors de son dernier discours, Obama a souvent évoqué les relations privilégiées entre les deux pays. Je pense qu’il n’y a aucune intention de rompre ces liens. Je pense qu’il s’agit plutôt de tâter le terrain et de voir de quelle manière les deux Etats vont trouver un accord. Il y a beaucoup de jeu politique actuellement en Israël et de volonté de déstabiliser le gouvernement fraîchement élu.
De la part de qui précisément sachant que l’opposition est très faible ?
En particulier de Kadima [ancien parti au pouvoir], qui s’exprime beaucoup en ce moment. Mais c’est du bruit pour rien. On a besoin d’un nouveau dialogue et de remettre les choses à plat. Il reste, c’est sûr, des sujets cruciaux à évoquer, notamment la question de Jérusalem ou savoir si oui ou non il y a aura deux Etats. A priori, l’idée d’un Etat palestinien n’est pas remise en cause, mais ce sont les conditions dans lesquelles il pourrait s’établir qui sont à examiner. Il est très clair des deux côtés que tout cela s’inscrit dans un processus très long et qu’on en est vraiment qu’au début.
Face à un gouvernement israélien ancré bien à droite, la marge de manœuvre des Etats-Unis est limitée...
C’est sûr. Il y a beaucoup de changements en Israël, clairement placé à droite aujourd’hui, avec des discours plutôt fermes. Je pense que l’intention des deux côtés est de reprendre des accords déjà conclus, comme celui sur les implantations, où sous l’ère Bush, tout semblait clair. Ce n’est pas remis en cause. Du côté israélien, il n’est pas question de revenir dessus. C’est un point central des discours de Hillary Clinton et de Barack Obama en présence de Nétanyahou à Washington.
Lorsque Barack Obama déclare que "les Etats-Unis sont un grand Etat musulman" et s’apprête à inviter une délégation iranienne aux célébrations de l’indépendance le 4 juillet prochain, comment réagissent les Israéliens ?
Avec crainte. Un rapprochement entre Washington et des pays extrémistes, dont les conséquences se traduiraient forcément par un éloignement de Jérusalem, est de mauvais augure. On est tous conscient qu’il y a un changement.
Mais si aucune ligne ne bouge, ni du côté de Washington, ni du côté d’Israël, que pourrait-il se passer ?
Cela fait longtemps que les Etats-Unis jouent un rôle de médiateur. Qu’il y ait une impasse, ce n’est pas nouveau. Si ce que vous dites arrive, je ne pense pas que cela soit une surprise, ni un obstacle insurmontable. Il y a une volonté claire ici de faire avancer les choses.
Mais que signifie "volonté claire" ? Faire des compromis à l’égard des Palestiniens ou tourner le dos à cette question jugée désormais secondaire ?
En ce qui concerne la question cruciale de l’Etat Palestinien, c’est sûr que le discours du nouveau gouvernement israélien prône une politique ferme en vue de sa création assortie de conditions strictes. Par exemple, dans un premier temps, l’Etat palestinien ne devra pas avoir d’armée, ni d’autorité sur les eaux territoriales et son espace aérien.
Mais qu’est-ce qu’un Etat privé de ses attributs de souveraineté ?
Le processus de paix ne se réglera pas en deux jours. Tant que les conditions de sécurité ne seront pas remplies, à savoir le désarmement des groupes terroristes palestiniens, ce sera compliqué d’envisager la création d’un Etat palestinien souverain proprement dit.