Elle estime que les accords d’Oslo n’ont pas tenu leurs promesses et qu’il faut passer à autre chose. Israël reste l’enfant chéri de l’Europe mais elle se réjouit tout de même de voir de nombreux états entamer des procédures de reconnaissance de la Palestine.
"On n’a pas libéré les territoires mais aujourd’hui le monde entier sait qu’il y a un peuple palestinien"
"Je ne suis ni fatiguée, ni amère, ni désespérée, mais malheureusement j’ai 65 ans et c’est un moment important dans les cycles d’une vie. Je suis de ceux qui pensent que les gens doivent assumer leur âge et qu’ils doivent comprendre qu’il faut un changement de génération. Je sais que je serai suivie par des jeunes tout à fait capables de reprendre ce travail. C’est aussi la fin d’un cycle dans ma propre vie, j’ai envie de servir la Palestine d’une autre manière après l’avoir servie comme ambassadeur pendant 25 ans."
Vous n’êtes pas amère, pourtant. En 25 ans de combat, la résolution de ce conflit n’a pas avancé d’un iota.
"On n’a pas libéré les territoires, c’est vrai. Mais, moi, je suis une vieille dame et je me rappelle qu’en 67 lorsque j’ai commencé à militer, on ne parlait même pas de peuple palestinien, on parlait des ’réfugiés arabes’. Ça me vexait beaucoup et une part de mon travail était d’écrire aux journaux pour leur dire : ce que vous appelez les réfugiés arabes, c’est le peuple palestinien. Je pense qu’il y a eu énormément de pas en avant dans la connaissance de la réalité. En 67, on disait aussi que c’était un conflit ’israélo-arabe’, qui opposait des armées, en l’occurrence celle d’Israël face à celles de Syrie, de Jordanie et d’Egypte. Aujourd’hui, le monde entier sait qu’il y a un peuple palestinien et que ce peuple a une solution. Nous proposons de vivre à côté de l’état d’Israël, dans les frontières de 67. La solution est donc connue, ce qui n’existe pas c’est la volonté de la mettre en œuvre".
Le fait que pas mal d’états commencent à reconnaître la Palestine, même de manière prudente, c’est une avancée majeure ?
"Tout à fait, mais je pense que la reconnaissance de la Palestine vient un peu trop tard par rapport à ce qu’elle aurait dû être. Souvenez-vous que les accords d’Oslo, signés en 93, précisent bien que les Palestiniens pourront dès 1999 déclarer un état palestinien. On nous a demandé d’être patients. Puis, sont venus les accords de Berlin où on nous a promis la reconnaissance de l’état palestinien à Gaza, en Cisjordanie et à Jérusalem-est en temps opportun. Depuis 1999 nous attendons ce moment ’opportun’ pour ces messieurs européens !"
"Les accords d’Oslo, c’est fini, il faut passer à autre chose"
Les accords d’Oslo, signés en 93, prévoyaient une solution négociée entre les deux états. Ils devaient durer 5 ans. 22 ans plus tard, la solution semble plus éloignée que jamais.
"Nous sommes obligés de passer à autre chose. C’est pour ça que mon président ne parle plus de reprendre des négociations bilatérales avec uniquement les Américains assis à la table. Nous devons passer à des négociations au Conseil de Sécurité, avec les Européens et avec des paramètres clairs. Ces paramètres, c’est d’abord de respecter les frontières de 67. C’est ce que disent d’ailleurs toutes les résolutions du Conseil de Sécurité, avec Jérusalem comme capitale pour les deux pays. Autre paramètre : le droit au retour pour les réfugiés. Et puis, pour que nous revenions à la table des négociations, il faut aussi d’abord un gel de la colonisation israélienne. Il est impensable qu’on s’asseye à table pendant que Mr Netanyahou construit de nouvelles colonies et prend le territoire sur lequel nous voulons faire notre état. Enfin, il faut une date précise pour la fin de l’occupation militaire".
"Israël est l’enfant chéri de l’Union européenne"
En poste pendant 10 ans auprès de l’Union européenne, Leila Shahid analyse l’évolution des relations entre l’Union européenne et la Palestine, mais aussi avec Israël.
"Si vous regardez sur le papier, les positions de l’Union européenne sont parfaites. Mais elles ne sont jamais traduites sur le plan des réalités politiques. Israël est le premier client de l’Union européenne, c’est le premier marché à qui Israël vend ses biens. C’est l’enfant chéri de l’Union européenne. Le portfolio est de 3 milliards par an. Je dirais qu’Israël est pratiquement un membre de l’Union européenne, sans avoir les devoirs des états membres. C’est donc incroyable qu’on n’ait jamais vu l’Union européenne utiliser cette carte, cette conditionnalité, qui est pourtant inscrite dans les accords d’association entre Israël et l’Union Européenne. Elle n’a jamais rappelé Israël à ses devoirs, à ses obligations de respect du peuple palestinien. Comment se fait-il que l’Union demande ces conditions au Maroc, à l’Algérie, à la Syrie, à l’Egypte, en disant : il y a des violations des droits de l’homme, etc. Lorsqu’il s’agit d’Israël, c’est comme si elle était au-dessus du droit, au point d’être devenue hors-la-loi".
"Je pense qu’on peut vaincre l’Etat islamique ou Al-Qaïda"
Interrogée sur l’évolution de l’Etat islamique dans les pays environnants, Leila Shahid renvoie à la responsabilité des Etats-Unis dans l’éclosion du groupe terroriste. Elle dit par ailleurs craindre l’Etat islamique autant que nous dans le monde occidental.
"Il faut combattre l’Etat islamique, mais ayez le courage de dire qu’il est né de la stupidité et de la criminalité de la guerre que Mr Bush a déclenchée en Irak, en mentant, en prétendant qu’il allait en Irak pour détruire les armes de destruction massive qui n’ont jamais existées. L’Etat islamique est né dans les prisons américaines en Irak. Aujourd’hui, vous payez ces erreurs ! Alors oui, ce terrorisme islamique me fait peur. Parce que vous savez ce qu’ils disent ? Nous, les musulmans, qui ne ressemblons pas à l’Islam qu’ils veulent instaurer, on est plus leur ennemi que vous. Vous, les occidentaux, vous êtes de toute façon perdus pour la cause musulmane, mais des gens comme moi, comme la majeure partie des Palestiniens qui sont profondément laïcs, nous sommes les premières cibles. Le peuple palestinien est laïque, il est issu d’une terre sainte, plus sainte que les autres puisqu’elle a connu le judaïsme, le christianisme et l’Islam. Et, il ne se reconnait pas dans l’Etat islamique et toutes ses actions terroristes. Je voudrais d’ailleurs qu’on rende à César ce qui revient à César : cette Palestine, occupée, niée, non reconnue a eu l’intelligence et la maturité de proposer une solution à l’état d’Israël, c’est-à-dire : la solution des deux états. Si on continue à nous renvoyer le fait que la Palestine fait partie d’un monde musulman qui effraye et à qui on ne peut pas faire confiance, on est en train de tomber dans le panneau et c’est exactement ce que veut Daesh. Je pense qu’on peut vaincre Daesh. C’est très passager Daesh dans notre culture arabe. On peut vaincre aussi Al-Qaïda, mais il ne faudrait pas que l’on ait à la tête des grandes puissances des gens qui nourrissent le terrorisme par leur politique irresponsable comme Mr Bush".
Pour écouter l’interview complet http://www.rtbf.be/info/monde/detai...