Leurs prières seront-elles exaucées ? Vêtues de tee-shirts rose et blanc à l’effigie de Tzipi Livni, plusieurs dizaines de militantes du parti Kadima (centre droit) sont venues prier au Mur des lamentations pour que ce jour voit la victoire de leur candidate. Un peu plus de cinq millions d’électeurs israéliens sont en effet appelés aux urnes aujourd’hui pour choisir leurs députés et, in fine, leur nouveau gouvernement. La dirigeante de Kadima garde toutes ses chances face au favori, le candidat du Likoud (droite) Benjamin Netanyahou : les sondages ne prédisent que 3 ou 4 sièges d’écart entre les deux sur les 120 que compte la Knesset, le Parlement israélien.
Ces élections législatives anticipées ont été convoquées en novembre dernier, lorsque Tzipi Livni a échoué à constituer une nouvelle majorité après l’annonce de la démission du premier ministre Ehoud Olmert, inculpé dans plusieurs affaires de corruption. Elles se tiennent aujourd’hui dans un contexte de crise profonde en Israël. La guerre de Gaza et la poursuite des tirs de roquettes par le Hamas dans le sud du pays ont donné lieu à une campagne électorale basée sur la surenchère militaire et empreinte de racisme anti-Arabe.
Benjamin Netanyahou n’a cessé de rappeler que lui seul avait prédit, dès 2005 au moment du retrait unilatéral de la bande de Gaza, que des tirs de roquettes atteindraient bientôt Israël, reprochant au gouvernement d’avoir arrêté trop tôt l’offensive « Plomb durci ». De leurs côtés, les deux candidats issus du gouvernement, Ehoud Barak, le chef du Parti travailliste, et Tzipi Livni, ont au contraire essayé de gagner des voix en présentant leur sanglante opération contre Gaza comme un succès anti-terroriste. Quant au chef d’Israël Beteinou (« Israël, notre maison », extrême-droite), Avigdor Lieberman, il s’est retrouvé en quelques semaines propulsé troisième dans les sondages en menant campagne contre les citoyens arabes vivant en Israël.
« J’ai le sentiment que nous devenons de plus en plus violents, de moins en moins tolérants », se désole Odelia, étudiante à l’université de Beersheva. « Les gens ne croient plus dans la classe politique, car même si les discours changent, la réalité reste la même. Alors ils se tournent vers des solutions radicales », explique-t-elle. La plus grande ville du Neguev a été la cible de tirs de roquettes pendant la guerre de Gaza. Comprenant une importante population de bédouins et d’immigrés, elle est aussi une illustration des inégalités territoriales et sociales dans le pays où le centre concentre les richesses et les infrastructures. Également étudiante, Naama fait partie d’un groupe d’études et d’appui sur la question de l’insécurité alimentaire. Une étude parue en 2003 a montré que 1,5 million de personnes en souffrent dans le pays. « Mais le gouvernement n’en parle pas. Après tout, on est un pays développé !… » Elle aussi se désole de la campagne actuelle : « Tout le pays ne parle que de la sécurité, la situation sociale est complètement évacuée. »
La crise économique évacuée
À l’exception du Meretz (gauche sociale-démocrate) et de Hadash (parti communiste), les formations politiques ont évacué les questions économiques et sociales de leur campagne. Le pays connaît pourtant une profonde crise. Un quart des Israéliens vivent en dessous du seuil de pauvreté, soit 1,6 million de personnes, et les inégalités ont connu une croissance sans précédent ces dix dernières années, vient de révéler l’Adva Center, un centre d’études économiques et sociales (voir encadré). Quant à la crise mondiale, elle commence à se faire sentir avec 17 500 personnes qui ont perdu leur emploi en décembre 2008.
« Quand est-ce que les gens comprendront ? », s’interroge Adi, militante Hadash qui vit à Beersheba depuis 8 ans : « On n’a rien gagné avec cette guerre. Il y a toujours des tirs de roquettes, le déficit a augmenté et on investit tout dans les dépenses militaires alors qu’ici on manque de tout, d’infrastructures, d’éducation, de santé… »
Et les sondages électoraux ne prêtent pas à l’optimisme. Chacun des quatre candidats donnés en tête a déjà gouverné, sans apporter ni amélioration sociale, ni paix avec les Palestiniens. Premier ministre entre 1996 et 1999, puis ministre des Affaires étrangères et des Finances d’Ariel Sharon, Benjamin Netanyahou reste celui qui a privatisé le pays [2] . Il a annoncé son intention de ne pas construire de nouvelles colonies mais de laisser les existantes se développer selon leur croissance naturelle… Quant à Tzipi Livni et Ehoud Barak, présentés comme moins durs que Netanyahou, ils n’ont fait aucune concession dans le cadre des discussions avec l’Autorité palestinienne et sont à l’origine de l’attaque contre Gaza.
Le poids des indécis
Quant à Lieberman, s’il propose quelques échanges de territoires, c’est uniquement pour rendre la population d’Israël moins arabe… « Vu les similitudes entre ces partis, je crois que plus encore que de savoir qui va gagner, la question centrale va être combien de personnes vont aller voter », estime Shir Hever, militant de l’Alternative Information Center, une des principales organisations pacifistes israélo-palestiniennes. Il rappelle que le taux d’abstention a explosé depuis les années 90, révélant la crise du système politique. « Il y a eu à cette époque l’augmentation de la pauvreté et des difficultés sociales, l’échec du processus d’Oslo dont on a accusé les Palestiniens, et le brouillage total des différences entre les partis », explique-t-il, ajoutant : « Aujourd’hui quelles sont les différences entre ces partis ? Aucun ne veut mettre fin à l’occupation, il n’y a pas de direction et les scandales de corruption les ont tous touchés ces dernières années. » Dans ces conditions, son espoir réside avant tout dans une pression internationale sur Israël.
Les indécis (presque 20 %) ne sont pas la seule incertitude autour de ce scrutin. Le résultat de l’extrême droite est également attendu. « S’il y a quelque chose qui caractérise l’actuelle trouble et vaine campagne électorale en Israël (…), c’est la transformation du racisme et du nationalisme en valeurs acceptées », a écrit le journaliste Gideon Levy dans Haaretz. Une « Liebermanisation » de la société que Hadash s’est attelé à dénoncer tout au long de la campagne autour du slogan « Juifs et Arabes refusent d’être des ennemis ».