Le tintamarre des voix d’enfants résonne dans la cour de l’école primaire de l’UNRWA (l’agence des Nations unies chargée des réfugiés palestiniens), dans le camp de Jalil, à l’entrée de Baalbek (dans la plaine de Bekaa). Aux petits Palestiniens du Liban se sont joints ceux de Syrie. Une coexistence parfois marquée par des difficultés : "Certains jeunes Palestiniens de Syrie se sentent humiliés, car des enfants nés au Liban leur disent : "Vous êtes des réfugiés." Ils ne se percevaient pas ainsi auparavant", raconte un éducateur.
Plus de 7 000 Palestiniens de Syrie ont gagné le Liban, fuyant les violences. La plupart sont originaires de Yarmouk, le plus grand camp de réfugiés palestiniens de Syrie, situé au sud de Damas, et sont arrivés depuis l’été, quand combats et bombardements se sont rapprochés.
C’est un nouvel exil, après celui des générations précédentes, de la Palestine natale vers la Syrie. "Nous sommes restés jusqu’au dernier instant en Syrie, toute notre vie nous y avons été à l’aise en tant que Palestiniens", explique Salwa, 35 ans, au premier étage d’une petite maison à la rampe d’escalier branlante. Cette femme au foyer, originaire de Yarmouk, montre les petites tasses traditionnelles, rondes et peintes, dans lesquelles elle a versé le café. "Même cela, nous n’arrivons pas à le payer, on nous les a prêtées ! On vit de la charité, mon mari est ferrailleur, il cherche du travail, c’est dur !", soupire-t-elle.
Aides sporadiques
Elle bénéficie, en attendant, de l’appui de sa famille installée à Jalil. "La plupart des Palestiniens de Syrie qui ont fui au Liban sont des familles, hébergées par des proches, explique Hoda Samra, porte-parole de l’UNRWA au Liban. Leurs hôtes se sont montrés très solidaires envers eux. Mais on ressent aussi un certain malaise, car les familles d’accueil peinent à subvenir à leurs propres besoins, elles ne peuvent pas prendre en charge sur le moyen ou long terme les nouveaux arrivants."
A côté de ces efforts, les Palestiniens de Syrie ne peuvent compter que sur des aides sporadiques. A Jalil, les réfugiés ont reçu matelas ou colis alimentaires de la Croix-Rouge libanaise, du Croissant-Rouge émirati, et même du Hezbollah, dont Baalbek est l’un des fiefs, affirme Abou Jihad, un responsable politique du camp. "L’hiver approche. Les principaux défis vont être le logement et le chauffage", poursuit-il.
Accusée de manquer de réactivité, l’UNRWA fournit un accès aux soins, et a ouvert mi-octobre des classes spécifiques pour quelque 1 000 petits Palestiniens de Syrie, au sein de ses écoles dans les camps du Liban. L’UNRWA, qui fait face à une baisse drastique de ses ressources depuis plusieurs années, a lancé un appel de fonds de 54 millions de dollars (41,9 millions d’euros) - dont 8 millions pour le Liban, le reste étant essentiellement pour la Syrie, mais aussi la Jordanie - destinés aux réfugiés palestiniens de Syrie.
"Comme des moins que rien"
Mais si les nouveaux arrivants sont inquiets, ce n’est pas seulement à cause des conditions matérielles. Leur arrivée vient aussi rappeler le sort auquel sont soumis les Palestiniens du Liban - entre 200 000 et 450 000 -, souvent stigmatisés. Dans un salon où des matelas en mousse posés à même le sol tiennent lieu d’unique mobilier, Karim, cadre de 39 ans, ne se fait pas d’illusions : "Les Palestiniens sont traités ici comme des moins que rien. Si nous restons au Liban, à cause des violences en Syrie, nous devrons tourner le dos à ce qui était notre vie avant, même si nous étions des réfugiés : une scolarisation normale pour les enfants, l’accès à tous les métiers, à la propriété. Cela voudra dire recommencer tout de zéro, être de nouveau des damnés."
Karim sait aussi qu’il va être confronté très rapidement à des problèmes de papiers : alors que les réfugiés syriens entrés légalement au Liban ont pu obtenir un visa d’un à six mois, les Palestiniens de Syrie n’ont le droit qu’à un visa de sept jours, qui peut être prolongé, au maximum, d’un mois et une semaine. Au risque de créer de nombreux clandestins, dans l’incapacité de repartir en Syrie.