Photo : Bannière commémorative du massacre de Sabra et Shatila survenu du 16 au 18 septembre 1982 - Crédit : Anne Paq (Active Stills)
Le 16 septembre 1982, les habitants des camps de réfugiés de Sabra et Chatila à Beyrouth, pour la plupart des femmes, des enfants et des personnes âgées, pensaient que la terreur de la guerre civile libanaise et de l’invasion israélienne allait s’arrêter après le départ de leurs protecteurs, l’Organisation de libération de la Palestine (OLP). Ils se sont retrouvés complètement désarmés et sans défense.
Les résidents des deux camps, de nombreux réfugiés de Beyrouth-Est et d’autres camps détruits par Israël ou les milices libanaises, rassemblaient les petits bouts d’espoir qui leur restaient après 34 ans de déplacement et 7 ans d’affrontements sanglants. Ils avaient une confiance aveugle en l’humanité, croyant que des vies innocentes et non armées ne seraient pas tuées, en particulier à la suite de la promesse faite par les forces d’occupation israéliennes au diplomate américain Philip Habib, qui avait facilité le retrait de l’OLP du Liban. Cependant, les forces d’occupation israéliennes et leurs alliés de droite au Liban avaient d’autres projets.
Les Palestiniens qui avaient échappé à la mort lors des massacres précédents étaient loin d’être en sécurité.
Alors que les Palestiniens continuent de vivre dans l’ombre de la mort, se qualifiant souvent d’« oubliés », ils se disent aussi « qu’ils n’oublieront jamais ». Ils restent inébranlablement fidèles à la lutte pour la libération et continuent à vivre pour le retour en Palestine.
Aucune vie n’a été épargnée
Avant le coucher du soleil, les chars et les troupes israéliennes ont assiégé les limites de Sabra et Chatila, plaçant leurs tireurs d’élite autour des sorties des camps. Les Israéliens ont remis des housses mortuaires à des combattants du parti chrétien de droite des Kataëb (également connu sous le nom de Phalange) et de l’armée du Sud-Liban et leur ont donné le feu vert pour prendre d’assaut le camp. Ces combattants voulaient venger l’assassinat du commandant des Forces libanaises Bachir Gemayel, élu président quelques semaines auparavant, qu’ils imputaient à tort aux Palestiniens.
Pendant 43 heures, jour et nuit, des familles entières ont été rassemblées et tuées de manière horrible, tandis que les Israéliens utilisaient des fusées éclairantes pour illuminer la zone. Des femmes ont été violées et tuées devant leurs enfants, des nouveau-nés ont été mutilés et poignardés, des femmes enceintes ont été éventrées, d’autres ont été enterrées vivantes et/ou jetées dans des fosses communes. Des témoignages révèlent que les Libanais ont même utilisé des bulldozers de l’OIF [Forces d’Occupation Israéliennes] pour détruire des maisons afin de s’assurer que les gens étaient bien morts.
Les condamnations mondiales ont été suivies de dons, rien d’autre.
Absence de justice
À ce jour, les auteurs du massacre n’ont toujours pas été traduits en justice.
Bien qu’Ariel Sharon, ministre israélien de la défense, ait été jugé « indirectement » responsable du massacre par la commission d’enquête Kahan de la Knesset, il a été récompensé par la suite par le poste de Premier ministre. Un groupe de 28 survivants a intenté une action en justice contre Sharon devant les tribunaux belges en 2001, mais leur affaire a été rejetée sous la pression des États-Unis et d’Israël.
Par ailleurs, Elie Hobeika, le chef de guerre chrétien libanais qui commandait la force ayant pénétré dans le camp et perpétré les massacres, avait accepté de témoigner contre Sharon devant un tribunal, mais il a été assassiné en 2002.
D’autres chefs restent libres, dont Fadi Ephram, qui était le chef d’état-major des Phalangistes, et plusieurs autres chefs de milices occupent toujours des postes de pouvoir dans les partis de droite au Liban.
Quant aux combattants des milices, lorsque le réalisateur Lokman Slim a interrogé six d’entre eux dans son documentaire Massaker (2005), aucun n’a exprimé de remords ; ils ont même raconté en détail les actes horribles qu’ils ont commis. Ils ont expliqué qu’avant le massacre, l’IOF les avait emmenés dans des camps d’entraînement en Palestine occupée et leur avait fait regarder des documentaires sur l’Holocauste, où l’on expliquait aux combattants que cela leur arriverait à eux aussi, en tant que minorité au Liban, s’ils n’agissaient pas contre les Palestiniens. Les combattants ont ensuite nourri une haine nouvelle à l’égard des Palestiniens. Israël avait engendré des monstres.
En effet, les massacres de Sabra et Chatila ont marqué le début d’une ère nouvelle et difficile pour les Palestiniens du Liban, confrontés à la terreur et à l’exclusion. Dans le même temps, Israël leur refusait le droit au retour, les dirigeants palestiniens les négligeaient et le monde entier les ignorait.
En outre, le massacre a été suivi par des années de torture, d’interrogatoires, d’enlèvements, de fusillades et d’intimidations. L’objectif de cette violence, facilitée et encouragée par Israël, était de pousser les Palestiniens hors du Liban et aussi loin que possible de leurs villages déracinés en Palestine occupée.
Aujourd’hui, la violence continue d’être infligée aux Palestiniens du Liban qui sont étranglés par le système juridique du pays et ses restrictions économiques.
Même la stratégie de la droite libanaise des années 80, qui consistait à pousser les Palestiniens hors du pays, est devenue pratiquement impossible. La population est piégée dans des camps fermés, asphyxiée par la pauvreté chronique, le chômage, les problèmes de santé et le manque d’éducation.
Cette situation a contraint les Palestiniens à prendre des mesures extrêmes, parfois au prix de leur vie, pour tenter de quitter le Liban. L’année dernière, 25 Palestiniens, dont 6 de Shatila, se sont noyés lorsque le bateau Tartus a coulé au large de Tripoli.
Les Palestiniens sont également privés de ressources pour lutter contre les barons de la drogue et les milices islamistes qui utilisent les camps comme bases. Les affrontements à Ain al Hilweh observés ces dernières semaines sont facilités par le gouvernement libanais et d’autres factions complices dont l’objectif est la destruction des camps palestiniens et de leur tissu social.
Tout comme les massacres, ces événements servent à satisfaire les aspirations tant attendues de certaines parties libanaises, tout en aidant Israël à éloigner les Palestiniens de ses frontières.
Résistance
Les camps de réfugiés au Liban ont toujours été des lieux où les souffrances sont exacerbées par certains des pires systèmes d’oppression que l’humanité ait produits. Les Palestiniens ne savent que trop bien que leurs difficultés sont le produit de problèmes qui se croisent dans les camps : l’impérialisme, le colonialisme de peuplement, le capitalisme et le néolibéralisme. C’est pourquoi ils se sont révoltés par le passé, sans attendre d’être abandonnés par des forces extérieures.
Alors que la population continue de vivre dans l’ombre de la mort, se qualifiant souvent d’« oubliée », elle se décrit également comme « n’oubliant jamais ». Ils restent inébranlablement fidèles à la lutte pour la libération et continuent à vivre pour le retour en Palestine.
Ils ont peut-être été trahis par des nations et des voisins, mais ils ont toujours foi en l’humanité. Pour que cela continue d’être le cas, et en l’absence d’une direction palestinienne unie, c’est le rôle de la diaspora palestinienne et des alliés mondiaux de renforcer l’engagement en faveur de la lutte des réfugiés palestiniens au Liban. Il ne faut pas seulement se souvenir d’eux à l’occasion d’anniversaires importants.
Louer les Palestiniens pour leur résilience et commémorer les moments horribles de leur histoire n’est pas sincère si cela n’est pas suivi de l’engagement politique de réaliser leur droit au retour et à la justice.
Le massacre de Sabra et Chatila fait écho à la revendication permanente des droits de tous les Palestiniens - les vivants et les martyrs.
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À propos de l’auteur
Rami Rmeileh est psychologue social et chercheur doctorant à l’Université d’Exeter - Institut d’études arabes et islamiques.
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Traduit par : AFPS