George Mitchell ressemble à un kangourou qui saute de tous côtés et dont la poche est vide.
Il fait un saut ici et un saut là. Un saut à Jérusalem puis un saut à Ramallah, Damas, Beyrouth, Amman (mais, qu’à Dieu ne plaise, pas à Gaza, parce que quelqu’un pourrait ne pas apprécier). Des sauts, des sauts, mais il ne sort jamais rien de sa poche, parce que sa poche est vide.
Alors, pourquoi le fait-il ? Après tout, il pourrait rester chez lui, cultiver des roses ou jouer avec ses petits-enfants.
Cette façon irrépressible de voyager traduit un certain culot. S’il n’a rien à proposer, pourquoi gaspiller le temps des gens des médias et des hommes politiques ? Pourquoi consommer du kérosène et nuire à l’environnement ?
L’OBJECTIF DÉCLARÉ de Mitchell est de “remettre en route le processus de paix”. Comment ? “En amenant les deux parties à revenir à la table des négociations”.
C’est une naïveté américaine que de penser que tous les problèmes du monde peuvent se résoudre à la seule condition que les parties acceptent de s’asseoir à la même table pour parler. Quand des gens raisonnables se parlent, ils finissent par trouver une solution.
L’ennui avec cela c’est que les gens responsables du destin des nations ne sont en général pas des gens raisonnables. Ce sont des politiciens, avec leurs passions, leurs préjugés et leurs électeurs, guidés par l’humeur des masses. Lorsque l’on est aux prises avec un conflit vieux de 130 ans, la croyance naïve en la valeur de la parole confine à la folie.
Des décennies d’expérience montrent que les négociations sont inutiles si l’une des parties ne souhaite pas un accord. Pire : les négociations peuvent être nuisibles si l’une des parties les utilise pour faire perdre du temps en donnant une fausse impression d’avancée vers la paix.
Dans notre conflit, les négociations de paix se sont substituées à la paix, elles sont devenues un moyen de faire obstacle à la paix. Elles représentent un moyen utilisé par les gouvernements israéliens successifs pour gagner du temps – du temps pour développer les colonies et renforcer l’occupation.
(Dans une interview à Haaretz publiée hier, Ehoud Barak accusait la gauche en général, et Gush Shalom et La Paix Maintenant en particulier, de ne pas soutenir l’appel de Netanyahou en faveur de négociations. Il s’en fallait de peu qu’il ne nous accuse de trahison.)
Toute personne qui propose aujourd’hui des négociations “sans conditions préalables” est complice du gouvernement de Netanyahou-Barak-Lieberman dans un complot de sabotage des chances de paix. Même Mitchell est devenu – peut-être contre son gré – un tel complice. Lorsqu’il exerce des pressions sur Mahmoud Abbas “pour qu’il revienne à la table des négociations”, il joue le jeu de Netanyahou qui se présente lui-même comme le grand pacifiste. Abbas est dépeint comme l’homme qui a “grimpé dans un grand arbre et qui ne sait pas comment redescendre”. Il n’y a ni occupation, ni activité de colonisation, ni judaïsation de Jérusalem-Est. Le seul problème, c’est de trouver une échelle. Une échelle pour Abbas !
Tout cela pour quoi ? Dans quel but le kangourou saute-t-il ? Tout cela, c’est pour venir en aide à Obama qui a soif d’un succès politique comme un homme qui a soif d’eau dans le désert. L’engagement de négociations, même sans objectifs, serait présenté comme un grand succès diplomatique.
L’AUTRE jour, Obama lui-même a fait un geste rare : le président des États-Unis d’Amérique a déclaré publiquement qu’il avait commis une erreur et s’en est excusé. Il a reconnu qu’il n’avait pas évalué correctement les difficultés qu’impliquait la remise en route du processus de paix.
Tout le monde a loué le Président. Quel dirigeant courageux ! Quelle noblesse !
À quoi je voudrais ajouter : quel culot !
Voici le dirigeant le plus puissant du monde qui vient dire : je m’étais trompé. Je n’avais pas compris. J’ai échoué. Pendant une année entière, je n’ai fait absolument aucun progrès vers une solution du conflit israélo-palestinien. Voyez mon honnêteté ! Voyez comme je suis prêt à reconnaître mes erreurs !
C’est du culot. C’est du culot parce qu’une année entière a été perdue à cause de cette “erreur”, une année entière au cours de laquelle 1,5 million d’êtres humains à Gaza, des hommes, des femmes et des enfants ont souffert le dénuement le plus complet, beaucoup d’entre eux sans nourriture suffisante, beaucoup d’entre eux sans abri dans le froid et la pluie. Une année entière au cours de laquelle des centaines de foyers palestiniens de Jérusalem-Est ont été démolis tandis que de nouveaux projets de logements juifs voyaient le jour à un rythme démentiel. Une année entière pendant laquelle des colonies de Cisjordanie ont été agrandies, des routes d’apartheid construites et des pogroms conduits au nom du « prix à payer » [c’est-à-dire le prix pour le démantèlement d’une maison dans un poste avancé – NDT.– Source : la traduction allemande]
Donc, avec tout le respect qui vous est dû, Monsieur le Président, le mot “erreur” ne saurait suffire.
La Bible dit : « Celui qui cache ses transgressions ne prospère point, Mais celui qui les avoue et les délaisse obtient miséricorde » [Traduction « officielle » française] (Proverbes 28, 13). Obama ne cache pas son “erreur” et c’est bien. Mais c’est la seconde partie du verset qui importe : « qui les avoue et les délaisse ». Aucune miséricorde pour celui qui “avoue” mais qui ne “délaisse” pas. Vous n’avez pas mentionné un seul mot pour suggérer que vous êtes sur le point de délaisser vos anciennes pratiques.
C’est du culot pour une autre raison encore : vous dites que vous avez échoué parce que vous n’avez pas évalué correctement les problèmes intérieurs des deux dirigeants, Netanyahou et Abbas. Netanyahou, dites-vous, a une coalition d’extrême droite et Abbas a le Hamas.
Désolé, désolé, mais qu’en est-il de votre propre “coalition”, qui ne vous autorise pas à bouger d’un pouce dans la bonne direction ? Qu’en est-il des deux chambres du Congrès qui sont complètement soumises aux lobbys pro-israéliens, tant le juif que le chrétien-évangélique ? Qu’en est-il de votre crainte de votre extrême droite qui apporte son soutien à notre propre extrême droite ? Qu’en est-il de votre incapacité – ou de votre refus – à exercer votre pouvoir d’influence, à investir du capital politique dans une confrontation avec les lobbys pour aller de l’avant en fonction des intérêts véritables des États-Unis (et d’Israël) – comme le fit en son temps le président Dwight D. Eisenhower, et même, pendant une courte période, le Secrétaire d’État James Baker ?
LE TERRIBLE coup porté à Obama dans l’élection partielle du Massachusetts a abasourdi beaucoup de gens. Il a modifié le contexte de la politique américaine et est en train de mettre en danger la réforme du système de santé, le joyau de la couronne dont il s’est ceint la tête. Cela menace de le transformer en un canard boiteux qui pourrait non seulement perdre cette année les élections de mi-mandat, mais aussi échouer à se faire réélire dans maintenant moins de trois ans.
Beaucoup demandent : qu’est-il arrivé au brillant candidat qui a charmé l’ensemble des États-Unis et mobilisé des millions de nouveaux électeurs enthousiastes ? Où est l’homme animé d’une vision qui a soulevé les masses avec ce cri de guerre “Yes we can” ?
Comment le candidat qui soulevait l’enthousiasme s’est-il transformé en un président quelconque, quelqu’un qui ne passionne personne ? Comment le candidat qui trouvait toujours le mot qui faisait mouche s’est-il transformé en président incapable de toucher le cœur des gens ? Comment a fait le candidat qui prenait toutes les bonnes décisions s’est-il transformé en un président qui se montre incapable de prendre des décisions ? Comment l’anti-Bush est-il devenu un autre Bush ?
Il me semble que les réponses se trouvent dans l’un des paradoxes fondamentaux du système démocratique. J’y ai pensé souvent lorsque je siégeais à la Knesset à entendre des discours ennuyeux.
Un leader démocratique qui a une vision et désire la réaliser doit franchir deux épreuves : gagner une élection et gouverner un pays. S’il n’est pas élu, il n’aura aucune chance de réaliser son rêve. S’il échoue au gouvernement, sa victoire électorale perd son sens.
L’ennui, c’est que ces deux activités sont très différentes. Et même elles ont tendance à se contredire l’une l’autre, parce qu’elles exigent des qualités très différentes.
Le candidat doit faire des discours, exciter l’imagination, faire des promesses et convaincre les électeurs qu’il est capable de les réaliser. Ces talents peuvent naturellement représenter une aide pour le dirigeant – mais elles ne suffisent pas à lui donner la capacité de diriger. Le dirigeant doit prendre des décisions difficiles, résister à des pressions extrêmes, gérer un énorme appareil dont beaucoup de composantes se contredisent, convaincre l’opinion publique de son pays et les dirigeants de pays étrangers. Il ne peut pas satisfaire tous les secteurs de l’opinion publique et tous les groupes d’intérêt de la même façon qu’il s’y efforçait en tant que candidat.
Les candidats les plus convaincants se transforment souvent en chefs de gouvernement catastrophiques. Ils ont été porté au pouvoir par l’enthousiasme qu’ils suscitent chez leurs électeurs et découvrent tout d’un coup que leurs brillants discours n’ont plus aucun effet – ni sur les membres de leur parlement, ni sur l’opinion publique, ni sur les dirigeants étrangers. Leur talent le plus brillant est devenu inutile.
J’ai l’impression que les nombreux discours d’Obama commencent à fatiguer les gens et qu’ils perdent de leur pouvoir de séduction. Lorsqu’il tourne la tête de gauche à droite puis de droite à gauche, d’un téléprompteur à l’autre, il commence à ressembler à une poupée mécanique. Les millions de gens qui regardent ses discours à la télévision le voient se tourner vers la gauche et se tourner vers la droite, mais sans jamais les regarder réellement dans les yeux.
Le candidat est un acteur sur scène jouant le rôle d’un dirigeant. Après les élections, lorsqu’il devient réellement un dirigeant, il peut se retrouver impuissant. L’homme qui joue Jules César dans la pièce de Shakespeare peut être un grand acteur, mais s’il était César dans la vie réelle, il n’aurait pas la moindre idée de ce qu’il devrait faire. (Lorsque j’ai dit cela à un acteur, sa réplique fut : “mais César lui-même ne serait pas capable de jouer César sur scène !”)
Barak Obama n’a rien d’un César : c’est plutôt Hamlet, Prince d’Amérique. Envoutant, séduisant, plein de bonnes intentions – mais faible et hésitant. Diriger ou ne pas diriger, là est la question.
IL EST tout à fait prématuré d’annoncer la mort politique d’Obama. Au contraire de Marc Antoine, qui déclare dans la pièce : “Je viens pour enterrer César, non pour faire son éloge”, je ne suis pas encore prêt à enterrer le grand espoir qu’il a soulevé.
Une année s’est écoulée depuis son entrée à la Maison Blanche. Il reste encore trois ans avant les prochaines élections. Il est vrai que, dans la première année, après une victoire aussi éclatante, il aurait été beaucoup plus facile pour lui de réaliser des choses que pendant les trois années suivantes, mais Obama peut encore se reprendre, tirer les conclusions qui s’imposent de l’expérience et réussir un retour.
Un des chemins pour y parvenir passe par Jérusalem. Obama doit retenir son kangourou à la maison et prendre lui-même l’initiative en mains. Il doit annoncer un plan de paix clair, celui pour lequel il y a maintenant un consensus du monde entier (deux états pour deux peuples, un état palestinien dans l’ensemble des territoires occupés avec Jérusalem-Est pour capitale et le démantèlement des colonies en territoire palestinien) et appeler les deux parties à y adhérer en théorie et en pratique – peut-être par un référendum des deux côtés. Lorsque le moment sera venu, il pourra venir à Jérusalem et adresser au peuple d’Israël depuis la tribune de la Knesset un message clair et sans équivoque.
En bref : exit Hamlet, voici Jules César.