Cette semaine il a annoncé son intention d’entrer en politique pour fonder un nouveau parti.
Ce n’est pas vraiment une surprise. Cela fait maintenant de nombreux mois que les spéculations vont bon train. Lapid a laissé entendre plus d’une fois qu’il en avait l’intention, donnant l’impression qu’il ne passerait à l’acte qu’à l’approche des élections. C’était habile, puisqu’il était le présentateur d’information le plus populaire de la chaîne de télévision la plus populaire. Pourquoi quitter un poste qui vous offre une audience publique unique (avec un joli salaire à la clef) ?
Maintenant, il s’est fait mettre en demeure par ses employeurs, vraisemblablement sous l’effet de pressions politiques, de choisir : la télé ou la politique.
Il y a quelques 2061 années, Jules César franchit le Rubicon pour marcher sur Rome, en s’écriant “alea jacta est” – les dés sont jetés. Lapid n’est pas César et il ne parle pas latin, mais ses sentiments doivent être à peu près les mêmes.
Un jour plus tard, une autre personnalité bien connue, Noam Shalit, a lancé un second dé. Le père de Gilad, le soldat prisonnier échangé contre 1027 prisonniers palestiniens, a annoncé qu’il allait se présenter aux élections à la Knesset sur la liste du parti travailliste. Après avoir mené pendant cinq ans la campagne immensément populaire pour la libération de son fils, il a décidé de faire un usage politique de son passage de l’anonymat à la célébrité.
Toute une série d’ex – ex-généraux, ex-chefs du Mossad, ex-directeurs généraux – attendent leur tour.
Que signifie cela ? Cela signifie qu’il y a des odeurs d’élections dans l’air, alors que les élections ne sont officiellement prévues que dans un an et demi, et qu’il n’y a aucun signe que Benjamin Nétanyahou et ses partenaires d’extrême droite aient l’intention de les avancer.
L’ATTRAIT d’un siège à la Knesset est difficile à expliquer. La plupart des Israéliens méprisent la Knesset, mais presque tous seraient prêts à vendre leur grand’mère pour en devenir membre.
(Une blague juive parle d’un étranger qui vient au shtetl et demande la direction de la maison du chef de la synagogue. “Quoi, cette fripouille ?” s’écrie l’un des passants. “Ce bâtard”, “Ce fils de chienne”, “ce grippe-sou”, répondent les autres. Lorsqu’il finit par trouver son homme et qu’il lui demande pourquoi il s’accroche à la fonction, il obtient cette réponse : “Pour l’honneur !”)
Mais cela est en dehors du sujet. La question est : pourquoi tant de gens pensent-ils qu’un nouveau parti a une bonne chance de gagner des sièges ? Pourquoi Ya’ir Lapid pense-t-il qu’un nouveau parti, sous sa direction, va devenir un groupe majeur à la Knesset et peut-être le propulser à la fonction de Premier ministre ?
Il y a maintenant un trou noir béant dans le système politique israélien, un trou d’une taille telle que personne ne peut manquer de le remarquer.
À droite on trouve la coalition gouvernementale actuelle, constitués du Likoud, du parti de Lieberman et de divers groupes ultranationalistes, pro-colonies et religieux.
Que trouve-t-on à gauche et au centre ? Eh bien, presque rien.
Le principal parti d’opposition, Kadima, est en pleine déliquescence. Il a misérablement échoué à se définir un rôle. Tzipi Livni est incompétente, et il semble que le seul mérite de son rival dans le parti, un ancien chef d’état-major de l’armée, réside dans son origine orientale (il est né en Iran). Les derniers sondages donnent à Kadima la moitié des sièges qu’il détient actuellement.
Le parti travailliste qui semblait en ascension lorsque Shelly Yachimovich fut élue présidente, a de nouveau dégringolé dans les sondages à son niveau antérieur. Et les actions du Meretz n’ont pas progressé. Il en va de même pour les groupes communiste et arabe qui végètent en marge du système, si ce n’est en dehors. Tous ensembles ne seraient pas en mesure de supplanter la droite.
Le trou est flagrant. Il appelle une force nouvelle capable de combler le vide. Rien d’étonnant à ce que les divers messies en attente entendent une voix intérieure leur dire que leur temps est arrivé.
L’ennui c’est qu’aucun de ces prétendants ne vient avec un message. Ils se présentent sur la scène avec une mentalité de livre de cuisine : prenez quelques phrases populaires, ajoutez 3 célébrités, 2 généraux, 4 femmes, 1 russe et avec le concours d’un expert en relations publiques avisé et deux “conseillers stratégiques” vous voilà lancé.
Pour Lapid, les trois phrases populaires sont actuellement : prenez l’argent dans la poche des magnats irresponsables (qui sont-ils ? y a-t-il aussi des magnats responsables ?), prenez l’argent dans les services pléthoriques du gouvernement (lesquels ? le ministère de la Défense en fait-il partie ?), prenez l’argent des colonies éloignées (de quelle distance ? quid de toutes les autres colonies ?)
Il semble qu’il n’y ait personne dans les alentours pour venir avec une conviction profonde, un message qui “brûle dans ses os”, comme on dit en hébreu. Shelly du parti travailliste a un message social sérieux, mais refuse obstinément de parler de toute autre chose, en particulier de sujets aussi déplaisants que la paix et l’occupation. Kadima est fadasse sur tous les sujets. Et Lapid ?
AH, EH BIEN – cela dépend des sondages. Lapid est un écrivain prolifique avec de nombreux livres à son actif et une chronique hebdomadaire dans le quotidien à grand tirage Yediot Aharonot. Mais, même avec un microscope, il est impossible d’y trouver la moindre trace d’une réponse sérieuse aux questions nationales ou sociales brûlantes pour le pays.
Il se peut que cela soit astucieux. Si vous dites quelque chose hors de ce qui fait consensus, vous vous faites des ennemis. Moins vous en dites, moins vous avez d’ennuis. C’est un truisme politique fondamental. Mais ce n’est pas l’étoffe dont sont faits les grands dirigeants.
On a souvent dit de Lapid que c’est l’homme que chaque mère juive rêve d’avoir pour gendre. Il est grand, élégant, fait beaucoup plus jeune que ses 49 ans, et il a une classe de vedette. Il avait aussi un père célèbre.
“Tommy” Lapid était un rescapé de l’Holocauste. Il était né dans l’enclave de langue hongroise de l’ancienne Yougoslavie et avait passé la deuxième guerre mondiale dans le Budapest d’Adolf Eichmann. Il devint auteur de romans-feuilletons (bien qu’avec moins de succès que son camarade hongrois Ephraim Kishon), mais il se fit un nom comme animateur de télévision en apportant un style complètement nouveau d’agressivité, de vulgarité dirent certains. Par exemple, lorsqu’une femme accablée de pauvreté se plaignait de sa condition misérable, il répliquait : “Alors, comment avez-vous payé votre coiffeur ?”
Lapid père avait une double personnalité : dans les relations personnelles il était facile à vivre, et même charmant. Sa personnalité publique était querelleuse et même corrosive.
Il en était de même pour son message politique. Il était célèbre pour la violence de sa haine envers les juifs orthodoxes. C’était aussi un ultranationaliste enragé, qui alla jusqu’à défendre Slobodan Milosevic. Mais pour les affaires intérieures, c’était un progressiste authentique.
Il devint presque par accident le dirigeant d’un parti moribond et le mena à un triomphe stupéfiant aux élections, obtenant 15 sièges à la Knesset et devenant un bon ministre de la Justice. Puis le parti vit son importance décroître à nouveau aussi rapidement qu’elle avait grandi.
Tout cela nous dit peu de choses sur Lapid Jr. Quelle sorte de programme politique présentera-t-il à partir du moment où il devra fournir des réponses ? Contrairement à l’agressivité de son père, il prêche la conciliation, l’esprit d’équipe, la modération. Il se positionne exactement au centre et s’efforce d’obtenir le consensus le plus large possible. Ses chances paraissent excellentes.
Pourtant, à partir de maintenant jusqu’aux élections – quelle que soit la date à laquelle elles auront lieu – le temps pourrait être très long. Israël est un pays cruel, la popularité peut s’évanouir rapidement. Le premier test politique de Lapid sera de voir s’il peut susciter longtemps l’intérêt du public sans sa tribune à la télévision.
Je pense que son entrée sur la scène politique est une bonne chose. Notre système politique a un besoin urgent de sang neuf. Et je peux difficilement m’aligner sur ceux qui disent que les journalistes ne devraient jamais entrer en politique.
QUELLES SONT ses chances ? Impossible à prévoir. Cela dépendra de nombreux facteurs : le moment où vont se tenir les élections, ce qui va se produire d’ici là, y aura-t-il une guerre ? (Lapid n’a pas été un combattant, un sérieux défaut aux yeux de beaucoup d’Israéliens.) Et en tout premier lieu : qui d’autre va entrer en scène d’ici là ?
J’espère ardemment qu’une sorte différente de nouvelle force politique émergera – un parti de centre-gauche avec un message clair et global : réforme sociale, réduction de l’écart entre les riches et les pauvres, la solution à deux États, la paix avec les Palestiniens et la fin de l’occupation, l’égalité entre tous les citoyens (indépendamment du sexe, de la race, de l’origine ethnique et des croyances, une séparation totale entre l’État et la religion, la défense des droits humains par une justice forte et indépendante – tout cela garanti par une constitution écrite invulnérable.
Pour cela il vous faut des dirigeants avec les reins solides, prêts à se battre pour leurs convictions.
Peut-être Lapid pourra-t-il, au bout du compte, faire l’affaire, au moins en partie. Peut-être attirera-t-il aussi les suffrages de membres du Likoud écœurés par le virage néofasciste pris par quelques uns de ses dirigeants – suffisamment de suffrages pour renverser la tendance à la Knesset et mettre fin à la frénésie d’extrême droite.
Les prochains mois diront si le Flambeau Etincelant continuera à briller – et sur quoi exactement.