LEQUEL EST le vrai Nétanyahou ?
– Bibi le faible, l’invertébré, celui qui cède toujours aux pressions, qui oscille entre la gauche et la droite suivant que la pression vient des États-Unis ou des partenaires de sa coalition ?
– Le rusé chef du Likoud, qui craint qu’Avigdor Ivett Lieberman ne réussisse à le pousser vers le centre pour prendre sa place de leader de toute la droite ?
– Nétanyahou, l’homme qui a des principes, qui est déterminé à éviter à tout prix la création d’un État de Palestine, et qui pour cela fait appel à toutes les ruses possibles pour saboter de vraies négociations ?
Le vrai Nétanyahou – debout !
Eh, une minute, que se passe-t-il ici ? Suis-je en train de les voir se lever tous les trois ?
LE PREMIER Nétanyahou est celui qui saute aux yeux. Une feuille qui vole au vent. L’escroc sans scrupules qui a plus d’un tour dans son sac, dont le seul objectif est de conserver le pouvoir.
Ce Nétanyahou là invite en fait à exercer des pressions sur lui.
Barak Obama a exercé des pressions sur lui et c’est ainsi qu’il a consenti au gel de la colonisation – ou à ce qui a été perçu comme un gel de la colonisation. Pour éviter une crise avec les colons, il leur a promis qu’après les dix mois convenus, le boom de la construction pourrait reprendre à plein.
Les colons ont exercé des pressions sur lui, et il a en effet repris la construction à la date annoncée, malgré la forte pression d’Obama qui poussait à un prolongement du moratoire pour deux mois de plus. Pourquoi deux mois ? Parce que les élections au Congrès se dérouleront le 2 novembre, et qu’Obama doit absolument éviter une crise avec les milieux juifs avant cette date. Dans ce but, il est prêt à vendre tout le stock à Nétanyahou – des armes, de l’argent, un soutien politique, un ensemble de garanties concernant le résultat des négociations qui n’ont même pas encore commencé. Soixante jours ! Soixante jours ! Mon royaume pour soixante jours !
Nétanyahou est maintenant en train d’osciller entre ces pressions, essayant de découvrir qui est le plus fort, lequel à qui céder, dans quelle mesure et quand. Dans ses rêves, il doit éprouver les mêmes sentiments que le baron von Munchhausen, se trouvant dans un passage étroit avec derrière lui un lion prêt à bondir et devant un crocodile ouvrant d’impressionnantes machoires. (Si je me souviens bien, le baron se baissa et le lion sauta tout droit dans les machoires du reptile.)
C’est le grand espoir de Nétanyahou. L’AIPAC va aider à infliger à Obama une écrasante défaite aux élections, Obama portera un coup sévère aux colons, et le baron von Nétanyahou se frottera les mains et survivra pour combattre un jour de plus.
Est-ce là le vrai Nétanyahou ? Assurément.
MAIS LE second Nétanyahou n’en est pas moins vrai. C’est Bibi le Rusé qui essaie de se montrer plus malin qu’Ivett le Rusé.
Lieberman étonna l’Assemblée générale des Nations unies lorsque, en qualité de ministre des Affaires étrangères d’Israël, il s’adressa à cette auguste assemblée depuis la tribune.
Parce que notre ministre des Affaires étrangères ne se leva pas pour défendre la politique de son pays, comme ses pâles collègues. Tout au contraire : depuis la tribune des Nations unies, il attaqua vigoureusement la politique de son propre gouvernement, le traitant sans ménagement.
La politique officielle du gouvernement israélien est de mener des négociations directes avec les dirigeants palestiniens, en vue d’aboutir à un traité de paix définitif dans le délai d’un an.
Absurde, déclara le ministre des Affaires étrangères de ce même gouvernement. Inepties. Il n’y a aucune chance de traité de paix, ni dans un an ni dans cent ans. Ce qu’il faut, c’est un Accord Intérimaire à Long Terme. Autrement dit, la poursuite de l’occupation sans limite de temps.
Pourquoi Lieberman a-t-il donné ce spectacle ? Parce qu’il ne s’adressait pas au petit nombre de délégués qui étaient restés dans l’hémicycle des Nations unies, mais à l’opinion publique israélienne. Il lançait un défi à Nétanyahou : ou me démettre de mes fonctions ou prétendre que le crachat à son visage était de la pluie.
Mais Nétanyahou ne l’a pas démis et n’a pas réagi, sauf à déclarer faiblement que Lieberman n’exprimait pas son point de vue. Et pourquoi cela ? Il est clair que si Nétanyahou était tenté de faire sortir du gouvernement le parti de Lieberman pour y faire entrer le parti Kadima de Tzipi Livni, Lieberman ferait à Nétanyahou ce que Nétanyahou avait fait à Yitzhak Rabin. Il l’accuserait d’être le traître qui vend notre patrie, d’être un ennemi des colonies. Ses partisans défileraient avec des photos de Nétanyahou en uniforme de SS ou coiffé d’un keffieh, pendant que d’autres se livreraient à de mystérieux rituels caballistiques pour provoquer sa mort.
Lieberman brandirait l’étendard de la droite, ferait éclater le Likoud et prendrait possession de façon exclusive de toute la droite israélienne. Il pense que c’est la voie pour devenir Premier ministre.
Nétanyahou comprend cela parfaitement. Voilà pourquoi il se retient. En homme qui a grandi aux États-Unis, il se souvient probablement de ce que Lyndon Johnson disait de J. Edgar Hoover : il vaut mieux l’avoir dans la tente à pisser dehors plutôt que dehors à pisser dedans.
ET PEUT-ÊTRE ce Nétanyahou là - le second – n’est-il pas réellement en désaccord avec le projet présenté par Lieberman à l’assemblée des Nations unies.
Le ministre des Affaires étrangères ne s’était pas contenté de rejeter la paix et de proposer l’idée d’un Accord Intérimaire à Long Terme. Il exposa la solution qu’il avait en tête. Sans surprise, c’est la plateforme électorale de son parti, Israel Beytenu (“Israël notre Foyer”). Pour l’essentiel : Israël, l’“État-Nation-Du-Peuple-Juif”, sera exempt d’Arabes, ou, traduit en allemand, Araberrein.
Mais Lieberman est humain et ne prône pas (du moins en public) un nettoyage ethnique. Il ne propose pas une troisième Naqbah (après la catastrophe palestinienne de 1948 et l’expulsion de 1967). Non, sa solution est beaucoup plus créative : il séparera d’Israël les villes et les villages le long de la frontière de l’est, ce qu’on appelle le “triangle”, depuis Um al-Fahm au nord jusqu’à Kufr Kassem au sud. Ce territoire, avec ses habitants et ses terres, sera joint au territoire de l’Autorité Palestinienne, et Israël annexera en contrepartie les colonies israéliennes de Cisjordanie.
Cela soulève, naturellemnt, plusieurs questions. D’abord, quid des concentrations d’Arabes en Galilée, qui comprennent des dizaines de villages, des villes comme Nazareth et Shefa Amr, et de la population arabe des villes mixtes comme Haifa et Acre ? Lieberman non plus ne propose pas de les transférer. Pas plus qu’il ne propose d’abandonner Jérusalem Est avec ses 250.000 habitants arabes. Si tel est le cas, est-il prêt à conserver dans l’“État-Nation-Du-Peuple-Juif” plus de 750.000 Arabes ? Ou bien rêve-t-il la nuit, allongé dans son lit, de procéder après tout à un nettoyage ethnique ?
Seconde question : à qui va-t-il transférer les villes et villages arabes du “triangle” ? Sans un traité de paix, il n’y aura pas d’État palestinien. À la place, il restera l’Autorité palestinienne avec ses quelques petites enclaves toutes soumises à l’occupation israélienne. L’Accord-Intérimaire-à-Long-Terme maintiendrait cette situation, plus ou moins, en l’état. Ce qui veut dire que cette zone, qui fait actuellement partie d’Israël, deviendrait un territoire sous occupation israélienne. Ses habitants perdraient leur statut de citoyens israéliens pour devenir une population occupée, dépourvue de droits civils et de droits humains.
Pour autant qu’on le sache, aucun dirigeant arabe d’Israël n’est d’accord là-dessus. Même dans le passé, lorsqu’il semblait que Lieberman était d’accord pour la création d’un État palestinien et qu’il souhaitait y transférer les zones arabes d’Israël, pas un seul dirigeant arabe d’Israël n’était d’accord. Les citoyens arabes d’Israël, population qui s’élève à près d’un million et demi de personnes, font indiscutablement partie du peuple palestinien, mais ils font aussi partie de la population israélienne.
Nétanyahou a certainement peur de Lieberman, mais se peut-il qu’il n’ait pas condamné le discours de Lieberman aux Nations unies parce qu’il en partage en secret les vues ?
Quoi qu’il en soit, Nétanyahou a annoncé cette semaine qu’il adoptait le bébé de Lieberman, l’exigence que toute personne non juive (c’est-à-dire arabe) qui souhaite obtenir la citoyenneté israélienne jure allégeance non seulement à l’État d’Israël et à ses lois, mais à “Israël comme État juif et démocratique”. C’est là une addition absurde et dépourvue de signification, seulement conçue comme provocation à l’égard des 20% d’Arabes de la population. On pourrait de la même façon exiger des candidats à la citoyenneté américaine de jurer allégeance aux “États-Unis comme nation blanche, anglosaxone, chrétienne et démocratique”.
MAIS IL serait tout à fait possible qu’il y ait un troisième Nétanyahou, qui l’emporte sur les autres.
C’est le Nétanyahou qui a toujours cru au Grand Israël et qui n’a jamais renoncé à l’idéologie qu’il a têté avec le lait de sa mère.
Le journaliste israélien chevronné Gideon Samet va plus loin : il pense que la principale motivation de Benjamin Nétanyahou réside dans sa complète soumission à son vieux père.
Ben-Zion Nétanyahou est âgé maintenant de 100 ans, et en pleine possession de ses facultés intellectuelles. C’est un professeur d’histoire, né à Varsovie, qui est venu en Palestine en 1920 et qui a changé son nom de Mileikowsky en Nétanyahou (“Dieu a donné”). Il a toujours fait partie de la frange extrême de la droite. Ben-Zion Nétanyahou passa plusieurs périodes de sa vie aux États-Unis où ont grandi ses trois fils. Lorsqu’en 1947 l’Assemblée Générale des Nations unies adopta le projet de partage de la Palestine entre un État juif et un État arabe, Natanyahou père signa une pétition, publiée dans la New York Times, qui condamnait la résolution dans les termes les plus vigoureux. Revenant en Israël, il ne fut pas admis dans le nouveau Parti de la Liberté (le précurseur du Likoud), parce que ses vues étaient trop extrêmes, même au goût de Menachem Begin. Il prétend qu’il fut écarté d’un professorat à l’Université Hébraïque à cause de ses opinions, et l’amertume qu’il en éprouva empoisonna l’atmosphère à la maison.
Le domaine particulier du professeur est le mond juif espagnol, principalement l’inquisition espagnole. Il condamne les Juifs qui se firent baptiser (les Marranes) et dit que la grande majorité d’entre eux souhaitaient vivement intégrer la société chrétienne espagnole, contrairement au mythe héroïque officiel selon lequel ils continuaient à pratiquer en secret la religion de leurs ancêtres.
Lorsque Nétanyahou fils transféra une partie d’Hébron à l’Autorité palestinienne, son père le lui reprocha et déclara publiquement qu’il n’était pas taillé pour le métier de Premier ministre, mais tout juste bon à remplir les fonctions de Secrétaire aux Affaires étrangères. Mais le fils fit de gros efforts pour rester fidèle aux vues de son père, et c’est la motivation principale de sa politique. Selon Samet, il n’oserait pas se présenter devant son père pour lui annoncer qu’il a abandonné des parties d’Eretz Israël.
Je penche pour cette version. Nétanyahou ne consentira jamais à porter la responsabilité de la création de l’État de Palestine, ne mènera jamais de sérieuses négociations de paix – sinon sous une contrainte extrême. Voilà tout, tout le reste n’est que paroles en l’air.
Si le vrai Nétanyahou était invité à se lever, tous les trois, et peut-être quelques uns de plus, se lèveraient. Mais c’est le troisième qui est le plus vrai.