Il a fallu plus de 1 800 morts palestiniens, en grande majorité des civils, et la troisième attaque contre une école des Nations unies transformée en refuge pour les habitants de Gaza, pour que la diplomatie française change de ton à l’égard d’Israël, lundi 4 août.
Dans un communiqué au ton tranchant avec les déclarations précédentes, qui renvoyaient dos à dos les deux parties, Laurent Fabius dénonce " ce qu’il faut bien appeler le carnage de Gaza ". Il ajoute que le droit à la sécurité – " total ", prend-il soin de préciser – d’Israël " ne justifie pas qu’on tue des enfants et qu’on massacre des civils ". Le chef de la diplomatie française " exige " ensuite un " réel cessez-le-feu " et ne se contente plus d’y appeler.
Enfin, il brandit la menace d’une " solution politique (…) qui devra être imposée par la communauté internationale, puisque les deux parties, malgré d’innombrables tentatives, se sont malheureusement montrées incapables d’en conclure la négociation ". C’est la première fois que le Quai d’Orsay évoque une telle éventualité, là où habituellement les deux parties du conflit israélo-palestinien sont invitées à négocier directement pour parvenir à la paix.
Pour la première fois depuis le début de l’opération " Bordure protectrice ", le 8 juillet, Paris a donc mis clairement en cause Israël, tout en soulignant la " responsabilité écrasante " du Hamas. Ce changement de ton est-il le fruit d’une stratégie concertée avec Washington, le traditionnel arbitre régional à l’influence pourtant déclinante ? S’agit-il d’un simple alignement sur le tollé international soulevé par la nouvelle attaque israélienne, dimanche, contre une école de l’UNRWA, l’organisme de l’ONU chargé des réfugiés palestiniens : Londres l’a qualifiée d’" intolérable ", Madrid d’" inadmissible ", Washington de " scandaleuse " ?
Faut-il y voir une réaction aux nombreuses et virulentes critiques, de droite comme de gauche (de Dominique de Villepin à Pierre Laurent), sur le soutien excessif de François Hollande à Israël ? Ou enfin, la diplomatie française dans la région est-elle en train de prendre un vrai tournant face à la répétition du scénario du pire ? Il y a de fortes raisons de douter de cette dernière hypothèse tant Israël paraît sourd à toute pression internationale et dispose de puissants relais en Europe et outre-Atlantique, tant aussi le Hamas reste un paria aux yeux des diplomaties occidentales.
La principale explication de ce changement de pied français tient essentiellement dans le fait que la position de François Hollande était devenue intenable. Depuis Liège où il assistait à une cérémonie de commémoration de la Grande Guerre, le président français a appelé l’Europe à sortir de sa torpeur face aux " massacres à Gaza " : " vingt-six jours de conflit, nous devons agir ", a-t-il déclaré.
Drôle de revirement pour le président qui s’est révélé, depuis son entrée en fonction, le plus pro-israélien de la Ve République. Plus même que Nicolas Sarkozy, qui s’était pourtant targué d’être " l’ami " d’Israël au début de son quinquennat pour le terminer en traitant le premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, de " menteur " au cours d’une conversation avec Barack Obama surprise par des journalistes.
Nouveau " molletisme "
François Hollande, lui, n’a jamais théorisé sa proximité avec Israël. Mais il n’a cessé d’en donner la preuve en diverses occasions, notamment lors des négociations sur le nucléaire iranien, puis sa visite triomphale en Israël, en novembre 2013.
Au début de l’actuelle guerre de Gaza, le président avait étonné par le déséquilibre de sa première réaction, dans laquelle il donnait un blanc-seing à M. Nétanyahou : " Il appartient au gouvernement israélien de prendre toutes les mesures pour protéger sa population face aux menaces ", déclarait l’Elysée le 9 juillet. Les appels au calme qui ont suivi et le déblocage de 11 millions d’euros d’aide d’urgence pour Gaza n’ont pas suffi à corriger ce déséquilibre initial.
Surtout, l’interdiction à répétition de manifestations propalestiniennes à la suite de débordements à Paris et à Sarcelles a ulcéré une partie des militants de gauche. Cette mesure sans précédent en France avait été justifiée par le refus " d’une importation du conflit en France " et au nom de la lutte contre un " nouvel antisémitisme ", dénoncé par Manuel Valls.
Au point que certains cadres socialistes déplorent en privé un nouveau " molletisme ", en référence au président du Conseil socialiste de la IVe République qui avait " donné " la bombe atomique à Israël après l’échec de l’expédition militaire de Suez en 1956, menée conjointement avec l’Etat juif et le Royaume-Uni contre l’Egypte de Nasser.