Le Président Obama a commencé son mandat avec beaucoup d’euphorie, qu’en reste-t-il aujourd’hui, surtout suite à la défaite qu’il vient de subir dans les élections de mid-term ?
Il est clair qu’Obama a beaucoup perdu ces deux dernières années en termes de soutien dans l’opinion publique américaine. C’est tout à fait normal pour un président américain d’avoir une sorte d’usure de pouvoir pendant ses deux premières années, surtout si l’économie est assez faible. Il y a eu la même chose avec le Président Reagan qui était très populaire mais au bout de sa deuxième année, sa cote de popularité a atteint 40 à 45% soit le même niveau où se trouve Obama actuellement, pour les mêmes raisons, à savoir le déclin de l’économie qui va ensuite rebondir.
Pour le cas d’Obama, on peut expliquer sa baisse de popularité par plusieurs facteurs. Premièrement, il y a un effet socio-économique lié au chômage et à l’angoisse des gens face à la régression de l’économie. Deuxièmement et du moment qu’il n’était plus un candidat à l’élection mais président, certaines de ses qualités comme l’humanisme, l’idéalisme outre le fait d’être le premier noir élu à la tête des USA, ont cessé de séduire les Américains. Car il faut rappeler que même ceux qui n’ont pas voté pour lui, étaient fiers d’avoir comme président ce jeune homme dynamique qui représentait la fin du racisme. En outre, ces derniers qui votent peu d’habitude, ont soutenu fortement Obama. De même pour les jeunes. Maintenant, ils se sont démobilisés. Ils ont compris qu’il était un homme politique comme les autres. Ce qui est vrai car il n’est pas un visionnaire, mais un homme plutôt pragmatique avec une tendance de chercher des compromis.
Le problème c’est que les Républicains ne sont pas intéressés par un compromis qui serait vu comme un succès pour Obama. Ils veulent lui infliger une défaite durant les prochaines élections. Donc, ils vont tout faire pour miner toutes ses tentatives. D’ailleurs, le chef des Républicains au Sénat, Mitch McConnell a dit : « Notre projet numéro 1 comme parti républicain est la défaite d’Obama ». C’est un discours étrange car normalement le projet d’un parti est le bien-être du peuple américain et l’intérêt du pays. Avec cette attitude, il n’y a pas beaucoup de possibilités de compromis pour le président actuel. Déjà lors des élections de mid-term, il a perdu la Chambre des Représentants. Il a encore une majorité au Sénat mais il lui faut au moins avoir 60% de sièges pour faire voter n’imposte quelle législation.
Pensez-vous qu’il a aujourd’hui des chances de gagner les prochaines élections ?
Oui. Il y a deux facteurs qui pourraient jouer en sa faveur. Premièrement, si l’économie rebondit et que le taux de chômage diminue, cela changera l’attitude de la classe moyenne. Deuxièmement, il n’y a pas aujourd’hui du côté républicain, un candidat évident. Certes, il existe quatre ou cinq candidats potentiels aux prochaines élections mais ils n’ont pas de charisme. Quant à Sarah Palin, elle est dynamique, charismatique mais sans beaucoup d’expérience. Je pense qu’elle a des limites très évidentes et qu’à part 30% de la population qui la considèrent comme une excellente candidate, tout le monde pense que c’est un très grand risque de voter pour elle.
Mais même Mc Cain n’avait pas une personnalité charismatique durant les dernières élections et pourtant, il a pu tenir tête à Obama jusqu’à la fin.
Mc Cain avait un passé d’homme militaire intéressant et il était connu mais il était assez âgé et pas du tout dynamique. Au contraire, Obama était jeune. Le slogan des élections présidentielles passées était le changement, après huit ans de Bush. Mc Cain représentait la continuité de la politique de Bush : guerre en Irak et en Afghanistan, crise économique…
Aujourd’hui, il n’y a même pas de McCain dans le clan républicain.
Sur le plan de la politique étrangère, Obama a promis de faire une politique différente de celle de G. W. Bush mais finalement, il n’a fait que s’inscrire dans la continuité de ce dernier. Qu’en pensez-vous ?
Il est vrai qu’il n’a pas fait de grands changements à la politique étrangère de Bush. En Irak, il y a eu une continuité mais dans le bon sens, puisque le retrait des forces américaines était déjà décidé du temps de la présidence de Bush. Obama a reconfirmé ce choix. Nous avons actuellement moins de 50.000 soldats. Ils partiront vers la fin de l’année prochaine. C’est déjà important car il y avait la possibilité avec Mc Cain de rester encore en Irak et de ne pas diminuer la présence américaine dans ce pays.
Mais malgré la décision d’Obama de retirer les forces américaines, il restera toujours un noyau en Irak ?
Une fois qu’on a décidé de retirer la vaste majorité des troupes, il n’y a plus beaucoup de raisons de rester. Peut-être, que nous laisserons quelques troupes spéciales pour les opérations anti-terroristes ou pour entrainer les troupes irakiennes. En plus, le gouvernement irakien va lui-même insister pour que les Américains partent, car il est, à la fois, nationaliste et influencé par l’Iran qui ne veut pas avoir de bases militaires à ses frontières. Notre projet en Irak est plus ou moins fini et il n’y a pas de sentiments chez les Américains qu’il est à refaire.
Pour l’Afghanistan c’est différent. Obama en a fait sa guerre. Bush a combattu les Taliban mais il n’y avait pas beaucoup de troupes américaines durant sa présidence. Obama a décidé de doubler les forces et de changer de stratégie.
En ce qui concerne le conflit arabo-israélien, il est évident qu’il a voulu faire plus que Bush. Il a passé presqu’une année dans une sorte de face à face avec Netanyahou en faisant de la pression pour que les Israéliens cèdent sur la colonisation. Les Palestiniens et les autres chefs d’Etats arabes de la région ont pensé que c’était le moment de travailler avec un président américain qui utilise son influence afin de régler le conflit israélo-palestinien. Après cette année, Obama s’est affaibli et Netanyahou a montré qu’il pouvait résister, surtout que la situation aux Etats-Unis ne s’améliorait pas beaucoup à cause de la crise.
Mais je suis content que le gouvernement américain ait refusé de donner aux Israéliens cette aide de 3 M Dollars d’assistance militaire, s’ils gèlent la colonisation pendant trois mois car il a compris qu’à la suite de cette période, Israël refera la même politique. Actuellement, Hilary Clinton est en train de discuter le dossier de la paix au Moyen Orient. Il est fort possible qu’à la fin, le gouvernement américain conclurait qu’il avait essayé mais pour le moment les conditions ne sont pas favorables et qu’il faut laisser ce dossier de côté.
Justement, que peut –on encore attendre de la partie américaine aujourd’hui au moment où le gouvernement de Netanyahou a décidé de ne plus discuter de la question du gel des colonies ?
Il y a deux possibilités : soit on décidera de mettre de côté ce dossier comme Georges Bush a fait pendant huit ans, soit on prendra une initiative courageuse de mettre en place un plan détaillé d’une solution pour les deux Etats, tout en sollicitant le soutien international, notamment de l’ONU et de l’Union européenne. Si on opte pour cette alternative, elle sera soutenue par une majorité des Israéliens qui voudraient faire la paix avec les Palestiniens et les pays arabes, même s’il faut céder des territoires. Car ils savent qu’avec le temps, il y aurait un déséquilibre démographique et qu’ils finiraient par devenir une minorité face à une majorité hostile.
Toutefois, je doute qu’Obama ait la force et le courage d’aller dans cette direction mais c’est la seule alternative.
Il faut aussi inviter les Syriens à s’associer au Processus de Paix sinon ils vont le bloquer car ils ont de l’influence dans la région.
Le compromis ne mènera à rien : trois mois de gel de la colonisation, ce n’est pas assez pour les Palestiniens et c’est trop pour les Israéliens.
Ne pensez-vous pas que les Américains sont aujourd’hui en train de perdre leur leadership car on voit que le Brésil, le Venezuela et l’Argentine ont reconnu l’Etat palestinien ?
Tout à fait et peut-être cela va continuer, mais il n’y aura pas de changements dans la réalité sur le terrain. Toute l’Amérique Latine pourrait reconnaitre l’Etat palestinien mais qu’est ce que cela changerait ? Ce sont des gestes symboliques qui n’ont pas d’incidence sur la situation actuelle très compliquée.
Concernant l’Iran, il y a des sanctions, des menaces mais que comptent faire exactement les Etats-Unis ? Une guerre contre ce pays est-elle envisageable ?
Pour le moment, je ne pense pas qu’il y ait des risques de déclencher une guerre en Iran. Je ne sais pas si Israël va tenter quelque chose dans ce sens mais je ne crois pas. Le Pentagone ne veut pas d’un conflit armé avec ce pays maintenant. Cela n’empêche que les choses peuvent changer d’ici deux ou trois ans. Tant que les Américains sont engagés en Irak et en Afghanistan et tant qu’ils pensent que l’Etat iranien ne possède pas encore des armements nucléaires, ils n’engageront pas de guerre. Ils sont conscients qu’elle risquerait de compliquer les choses en Irak et qu’elle ne va pas réussir. Si nous voudrions vraiment être sûrs que I’Iran n’aura plus d’armes nucléaires, il va falloir envahir le pays, occuper les sites nucléaires et les détruire, ce qui nécessiterait des centaines de milliers de soldats.
Le Pentagone ne veut pas de cette guerre et ne peut pas la faire. Je pense que l’Administration Obama va continuer par la voie de la diplomatie. Il n’y a pas d’autres alternatives, tant que Ahmadinajed est au pouvoir. Mais à la longue, je pense qu’il y a des bases d’entente entre les deux pays sur le plan de leurs intérêts nationaux respectifs. Par exemple, en Irak, les USA ont soutenu un gouvernement chiite qui est pro-iranien. En Afghanistan, qui veut le retour des Taliban. Ni nous ni l’Iran. Qui soutient Al Qaida ? Aucun de nous deux. Nous sommes d’accord sur un régime de sécurité dans le Golfe pour garantir que le pétrole continue à aller dans le marché. D’ailleurs, si le contexte était différent, l’Iran aurait pu être un marché important. C’est nous qui avons décidé de ne pas investir dans ce pays. Il est vrai que nous ne sommes pas d’accord sur le problème israélo-palestinien mais il y a des pistes d’entente. Pendant la présidence de Khatami, ce dernier nous a envoyé un ordre du jour pour discuter des problèmes nucléaires, de la paix au Moyen Orient et de la sécurité dans la région mais il exigeait que les USA reconnaissent la révolution islamique en Iran. G.W. Bush n’a pas accepté. Le document existe toujours.
Pensez-vous qu’Obama aurait pu avoir une politique étrangère différente, avec le lourd héritage qu’il a reçu de Bush ?
Oui. Je pense qu’en Irak il a fait ce qu’il devait faire. En Afghanistan, il avait à choisir entre augmenter les troupes américaines et maintenir le statu quo. Il n’a pas opté pour le bon choix. Pourtant, il a eu tout le temps nécessaire pour réfléchir à sa décision. Les militaires lui ont dit que si les forces américaines restaient en Afghanistan, ils allaient subir une défaite très lourde. Donc, pour l’éviter, il fallait envoyer 80 000 soldats supplémentaires. Obama n’a pas répondu sur le coup mais il a demandé à avoir d’autres alternatives. Le Vice président recommandait une autre voie en disant : au lieu d’augmenter les troubles, il faut continuer à cibler Al Qaida mais pas les Taliban qui ne menacent pas directement les intérêts des USA. Le président était tenté par cette alternative. Il a pris le temps de réfléchir et finalement, il a choisi la première alternative pour montrer qu’il était un homme fort et déterminé et qu’il n’accepterait pas de subir une défaite.
En ce qui concerne le conflit israélo-palestinien, il y avait d’autres possibilités comme je l’ai déjà évoqué. Obama avait un projet ambitieux mais il devait faire face à un gouvernement israélien qui n’acceptait pas de céder et à une opinion publique américaine susceptible d’être manipulée. Pour un président comme lui qui a le nom de Barak Hussein Obama, c’est plus difficile d’être dur avec les Israéliens que pour n’importe quel autre président américain. Je pense qu’il sait très bien que si les Républicains commençaient à dire qu’il est antisémite et islamiste, il y aurait 30% des Américains qui croiraient à cela.
Il existe aujourd’hui une minorité, notamment du Sud du pays qui n’apprécie pas le fait qu’il est noir et fils d’un père musulman. C’est le mouvement du Tea Party qui a mobilisé ces gens mécontents de l’élection d’Obama. Puis, ils ont été relayé par les médias ayant présenté les réalités d’une manière fausse.
Le peuple américain ne s’intéresse pas généralement à la politique étrangère de son gouvernement mais comment voit-il celle d’Obama ?
Je pense que pour l’Irak, il y a une unanimité sur le fait que la présence américaine dans ce pays n’a plus de sens. Pour l’Afghanistan, la décision d’Obama est contestée. Il y a des gens pour et d’autres contre et cela va continuer.
Concernant le rapprochement de la Russie, la majorité de la population soutient l’action du Président. Si le Sénat approuve le traité de coopération entre les deux pays, cela sera un succès pour Obama. Pour la Chine, les Américains sont d’accord qu’il faut avoir un partenariat avec ce pays. Quant au dossier iranien, il y a deux avis : certains pensent qu’il faut être dur avec l’Iran en envisageant même une possibilité de conflit armé. D’autres pensent qu’une guerre n’est pas réaliste et serait un désastre. Il faudrait donc continuer sur la voie diplomatique.
Dans votre conférence, vous avez dit que s’il y aurait un changement dans la politique étrangère d’Obama cela se passerait en 2011 et pas en 2012 pourquoi ?
Si Obama décide de faire un pas important dans sa politique étrangère qui pourrait marquer son mandat, il le fera l’année prochaine car 2012 sera une année électorale. Il est donc prévisible qu’il va réduire les initiatives qui n’ont pas réussi durant 2012.