« On peut juger maladroite et
disproportionnée l’intervention
israélienne au
Liban. La vérité est qu’il n’y a eu qu’un
agresseur et c’est le Hezbollah. Israël
avait le droit et le devoir de défendre
ses citoyens. Le Hezbollah, quant à lui,
a décidé de prendre en otage le peuple
libanais dans une aventure insensée. » Le
propos se veut sans ambiguïté ni l’ombre
d’une nuance. Il est de Nicolas Sarkozy,
ministre de l’Intérieur et président de
l’UMP [1]. On le retrouve du reste sur le
site de son parti. Après plus d’un mois
de guerre totale au Liban, il a tout simplement
fait sienne une thèse, celle que
défendent les néo-conservateurs.
Nicolas Sarkozy : un « discours proaméricain prononcé sans aucune honte »
A l’occasion d’un voyage hautement
médiatisé aux Etats-Unis ce 11 septembre,
cinq ans après les attentats contre
les tours jumelles du World Trade Center,
le ministre de l’Intérieur se prend, dans
la même veine, à railler la « grandiloquence
stérile » de la France et le discours
aux Nations unies de Dominique de Villepin,
alors ministre des Affaires étrangères,
en février 2003 [2]. C’était l’époque
où la France défendait la légitimité et
l’autorité exclusives des Nations unies,
le multilatéralisme, et s’opposait avec
une fermeté remarquée à la guerre des
Etats-Unis et de ses alliés en Irak. Trois
ans et demi plus tard, Nicolas Sarkozy
affirme qu’il n’est « pas convenable de
chercher à mettre ses alliés dans l’embarras
ou de donner l’impression de se
réjouir de leurs difficultés ». Comblé par
une entrevue avec George W.Bush, il
appelle à « rebâtir la relation transatlantique
» : « Je considère notre relation
avec les Etats-Unis comme l’un des
piliers de la politique étrangère au côté
d’une Europe politique forte. Il est temps
à mes yeux d’ouvrir une nouvelle ère
dans les relations transatlantiques,
débarrassée
des malentendus
et des grands discours qui
bloquent tout vrai dialogue. Nous devons
refonder une alliance autour des nouvelles
menaces du XXIème siècle et défendre nos
valeurs et nos intérêts communs. Les
défis auxquels nous faisons face nous
imposent de travailler ensemble. Partageant
des valeurs communes, une même
vision, ce n’est qu’ensemble que nous
pourrons faire face à de nouveaux fléaux
transnationaux : la prolifération d’armes
de destruction massives, le terrorisme,
les Etats faillis, les catastrophes écologiques,
humanitaires ou encore les pandémies.
Dans tous ces combats, l’Amérique
est le partenaire évident et naturel
de l’Europe. (...) ». Le Washington Post
salue les propos de Nicolas Sarkozy, et
un « discours proaméricain prononcé
sans aucune honte. » [3] Le quotidien américain
cite même les propos de Jonathan
Laurence, du Brookings Institute, qui y
voit « le genre de rhétorique qu’on aimerait
attendre d’un responsable de l’administration
Bush, particulièrement sur
l’Iran, Israël, et la lutte contre le terrorisme.
» [4] Les conditions de la visite du ministre
de l’Intérieur à Washington ont soulevé
des critiques jusque dans son propre
camp. Mais c’est aussi le cas des propos
qu’il y a tenus, à la fois pour sa
critique de la politique française,
et pour l’orientation atlantiste
qu’il y a défendue. C’est l’un
de ses proches, Pierre Lellouche,
député de Paris et
délégué général de l’UMP
à la Défense, qui reprend
ses arguments dans une
tribune parue dans Libération
[5]. Il y affirme à
son tour que « La dictature
du politiquement
correct à la française est telle
que dire que nous sommes les
amis et les alliés des Etats-Unis, que
l’on peut pis ! être l’ami d’Israël, serait
devenu une sorte de “faute” politique
(...) ». Il vilipende « le refrain de la haine
antiaméricaine, ce mauvais nationalisme
des imbéciles » et, enfonçant le clou,
annonce son credo : « oui, l’alliance
franco-américaine doit être maintenue
et confortée », même s’il assure qu’« elle
ne signifie pas un quelconque “ralliement”
(...) elle signifie, au contraire,
qu’elle exprime et défende ses intérêts,
sans pour autant se livrer aux guerres
des mots stériles qui ont émaillé le début
de la triste affaire irakienne. ». Quant à
l’ONU : « C’est bien parce que nous
avons travaillé ensemble que nous avons
pu restaurer la paix dans les Balkans je
le rappelle, grâce à l’Otan et sans mandat
explicite de l’ONU », avance-t-il.
Simple rhétorique dans le contexte de
concurrence politique d’une campagne
présidentielle au long cours ? Difficile
de le croire. Car ce n’est sans doute pas
sur ce terrain du ralliement au néo-conservatisme
américain que se conquièrent
les électorats. Plus fondamentalement,
c’est bel et bien une orientation majeure
de politique étrangère que défend là le
postulant à l’Elysée.
S’agirait-il d’une véritable réorientation
de la diplomatie française au Proche-Orient, ou celle-ci est-elle en fait déjà
bien entamée ? Comment, de ce point
de vue, lire la politique de Jacques Chirac
au Liban ?
Le Liban, théâtre du rapprochement franco-américain ?
La présidence de Jacques Chirac aurait
pu, sur le terrain de la politique procheorientale,
rester marquée par trois
moments majeurs.
Le premier se joue lors d’un voyage à
Jérusalem en 1996. Agacé de l’insistante
surveillance rapprochée des services israéliens,
le Président français, au milieu de
la foule, témoigne avec fermeté qu’il
entend bien rencontrer la population palestinienne.
Au coeur de cet épisode, un rappel
singulièrement bienvenu : l’annexion
israélienne de Jérusalem reste illégale.
L’évènement, qui suscite quelques remous
côté israélien et assure à Jacques Chirac
une popularité immédiate au sein de la
population palestinienne, s’inscrit en fait
dans la continuité de la diplomatie française
définie par le général De Gaulle
depuis 1967. L’occupation, soulignait-il,
« ne peut aller sans oppression, répression
et expulsions », conduisant à « une
résistance qu’à son tour il (Israël) qualifiera
de terroriste ». Une lecture et une
politique reprises à leur compte dans
leurs grandes lignes par ses successeurs,
avec plus ou moins d’ostentation.
Le second moment se joue à Washington,
aux Nations unies, en 2003, alors
que les Etats-Unis tentent de rallier le
monde à l’option de la guerre contre
l’Irak au nom de l’antiterrorisme. Contrairement
à ce qui s’est joué lors de la « première
» guerre du Golfe, le ministre français
des Affaires étrangères y défend
alors de façon non moins remarquée le
principe de la négociation contre la guerre,
la primauté du droit international, la légitimité
des Nations unies, l’importance
du multilatéralisme.
Le troisième moment a lieu à Paris. On
est en novembre 2004. La France, qui a
accueilli le président palestinien Yasser
Arafat pour tenter de le soigner d’un mal
soudain et curieusement incurable, lui
rendra, lors de son décès, l’hommage dû
à un Chef d’Etat. Ce message politique
s’inscrit alors dans une tradition diplomatique
qui, en dépit de ses carences,
en dépit du refus français d’envisager la
moindre sanction contre la politique
israélienne, a pourtant su affirmer la légitimité
d’un Président élu, partenaire
incontournable d’une négociation à substituer
à l’unilatéralisme militaire pour
favoriser l’émergence d’une solution
politique fondée sur le droit. Chacun
pressentait cependant qu’avec la disparition
du président Arafat une page d’histoire
se tournerait. Il semble qu’elle se
soit aussi, au moins en partie, tournée
en France.
Et c’est au Liban qu’une nouvelle page
semble bien s’être écrite, consacrant un
singulier réchauffement des relations
franco-américaines, lorsque la question
du désarmement du Hezbollah est devenue
internationale avec le vote, le 2 septembre
2004, de la résolution francoaméricaine
1559 au conseil de sécurité
des Nations unies. Celle-ci comporte
plusieurs exigences : celle d’un non
report des élections, celle du retrait syrien
du pays du Cèdre - effectif en avril 2005-
mais également celle du désarmement
des « milices ». En l’occurrence, le Hezbollah
et les Palestiniens. Pourquoi un tel
engagement français ?
D’abord, se pose alors la question des
élections. Le président syrien, Bachar
al-Assad, souhaite une modification de
la constitution libanaise prolongeant de
trois ans le mandat d’Emile Lahoud. Ami
personnel de Rafic Hariri, Jacques Chirac
entend l’empêcher au nom de la
démocratie. De fait, les élections auront
lieu à la date prévue, sous pression cette
fois américano-française. Ensuite, l’assassinat
de Rafic Hariri le 14 février 2005,
sur lequel une enquête internationale est
toujours en cours, mais rapidement imputé
au régime de Damas, précipitera le refroidissement durable des relations francosyriennes.
Au point que le 17 mai 2006,
Paris fera adopter par le conseil de sécurité
des Nations unies une nouvelle résolution
(1680) qui « invite la Syrie à aider
le Liban à délimiter ses frontières et à
établir avec ce pays des relations diplomatiques
complètes. Elle rappelle également
la nécessité de mener à bien le
désarmement des milices présentes au
Liban et demande l’arrêt des trafics
d’armes (...). » [6]. Enfin, le vote de la
résolution 1559 contribue au réchauffement
des relations franco-américaines.
Un réchauffement amorcé, il est vrai,
sur le terrain irakien lui-même, singulièrement
par le vote de la résolution du
conseil de sécurité des Nations unies
avalisant l’occupation du pays par les
forces de la coalition, devenues « force
multinationale ». Et sur le terrain de la
coopération dans la « lutte antiterroriste ».
Au printemps 2005, une large partie de
la population libanaise manifeste depuis
plusieurs mois déjà son souhait légitime
de sortir de la tutelle syrienne. Cependant,
la question du désarmement du Hezbollah
relève d’une autre logique. D’une
part, parce qu’il semble difficile pour le
Liban de s’extraire de la géostratégie
régionale, marquée par le double foyer
de tensions que constituent les occupations
de la Palestine et de l’Irak. Ensuite,
parce que l’armement du Hezbollah pallie
la faiblesse
notoire de l’armée
libanaise. Enfin,
parce que désarmer
le Hezbollah
revient dans le
contexte actuel à
menacer le difficile
équilibre intercommunautaire
libanais. Et, il ne
fait guère mystère
que l’armée libanaise
est bien incapable
de désarmer
le mouvement islamique.
Le gouvernement
d’union
nationale issu des
urnes, qui comprend deux ministres du
Hezbollah, prône le dialogue national, et
considère ce dossier comme du ressort
exclusivement libanais. Mais, violant
depuis des années en toute impunité le
droit international, Tel-Aviv n’a pas hésité à faire de l’application de cette
résolution une exigence.
Un cessez-le-feu qui se fait attendre
Il aura fallu plus d’un mois de guerre et
de destructions pour aboutir à un cessez-le-feu. Ni lors du sommet
du G8 qui commence
le 16 juillet à Saint-Pétersbourg,
ni lors de la conférence
de Rome du 26
juillet [7], en dépit de la
mort de quatre observateurs
des Nations unies
dans un bombardement
israélien quelques heures
plus tôt, la communauté
internationale ne parvient
à se mettre d’accord sur
la nécessité et les conditions
d’un cessez le feu.
Au conseil de sécurité des
Nations unies, le 14 juillet,
la France définit sa position.
Son représentant accuse le Hezbollah
de porter la responsabilité du
déclenchement des hostilités, condamne
les attaques contre le territoire israélien
et l’enlèvement de soldats d’Israël dont
la France exige la libération immédiate
et sans condition, insiste sur le fait que
le gouvernement libanais s’est démarqué
de l’enlèvement, et l’appelle à rétablir
son autorité sur tout le territoire national.
Dans le même temps, Paris, tout en
jugeant la « riposte » israélienne « disproportionnée
», affirme le « droit d’Israël
à se défendre », comme si l’offensive
israélienne, qui a alors déjà fait plusieurs
morts et détruit l’aéroport de Beyrouth,
n’avait pour objectif que de libérer ses
deux soldats enlevés. Mais la France met
aussi en garde contre les menaces qui
pèsent sur le Liban en termes de reconstruction
économique et, ajoute-t-elle,
démocratique, et dénonce le blocus israélien.
Pour elle, il ne saurait y avoir de
solution militaire à la crise. La veille,
sur Europe 1, le ministre des Affaires
étrangères, Philippe Douste-Blazy,
condamnant les « actes irresponsables »
du Hezbollah et une action de guerre
disproportionnée d’Israël, faisait part de
l’inquiétude française face au risque de
déstabilisation de toute la région. Il faudra
cependant plusieurs jours, et la destruction
des infrastructures du pays, pour
que Paris prenne ses distances avec les
Etats-Unis, et évoque la nécessité d’un
cessez-le-feu. Paris n’en a pas moins en
premier lieu focalisé son activité sur
l’humanitaire, y compris en exigeant la
sécurisation de couloirs humanitaires.
Certes absolument indispensable, mais
totalement insuffisante.La politique française se caractérise alors
par une série d’atermoiements. Fin juillet,
Dominique de Villepin définit dans un
mémorandum un scénario en plusieurs
temps (voir fin de l’article). Mais le mémorandum
en restera là. Les jours qui suivent
sont ceux de navettes franco-américaines
sur une résolution d’une autre
nature, alors que les Etats-Unis entendent
donner du temps à Israël : il s’agit
de déloger le Hezbollah du sud du Liban
et d’obtenir son désarmement. Un compromis
franco-américain pour une résolution
onusienne intervient effectivement
le 5 août. Mais il n’appelle qu’à
« un arrêt des combats afin de travailler
à un cessez-le feu permanent ». Pas de
mention de cessez-le-feu, ni d’un retrait
israélien du Liban. De façon dissymétrique,
il appelle « une cessation complète
des hostilités, basée en particulier
sur la cessation immédiate de toutes ses
attaques par le Hezbollah et de toutes ses
opérations militaires offensives par
Israël. » Si les Etats-Unis se disent satisfaits,
on comprend que le gouvernement
libanais le rejette dès le 6. Il s’en tient à
son projet en sept points présenté à la
conférence de Rome .
Le plan en sept points du gouvernement libanais,présenté par Fouad Siniora à la conférence de Rome sur le Liban
Le texte demande « un cessez-le-feu immédiat et une déclaration d’accord sur les points suivants » :
1.Un engagement à relâcher les prisonniers libanais et israéliens par le canal du Comité international de la
Croix-Rouge.
2.Le retrait de l’armée israélienne derrière la ligne « bleue » (tracée par l’ONU entre le Liban et Israël) et le
retour des déplacés dans leurs villages.
3.Un engagement du Conseil de sécurité à placer le secteur des fermes de Chebaa sous juridiction des Nations
unies.
4.Le déploiement de l’autorité du gouvernement libanais sur son territoire au moyen de ses propres forces
armées légitimes.
5.Le renforcement des forces internationales des Nations unies opérant dans le sud du Liban en nombre, équipements,
mandat et périmètre d’opérations autant que nécessaire pour entreprendre le travail
humanitaire urgent et les opérations de secours.
6.L’engagement des Nations-Unies à mettre en oeuvre l’accord d’armistice signé par le Liban et Israël en 1949.
7.La communauté internationale s’engage à soutenir le Liban à tous les niveaux et à l’aider à supporter
l’immense fardeau résultant de la tragédie humaine, sociale et économique qui l’a frappé.
Ce dimanche 6 août, le Liban est toujours
sous le feu israélien. La veille, il
a connu les raids israéliens parmi les
plus intensifs depuis le début du conflit :
en sept heures, quelque 4000 obus ont
été tirés sur le pays en plus de 250 raids
aériens.
Le compromis de la résolution 1701 et la question du désarmement du Hezbollah
Il faudra donc attendre le 12 août pour
que le conseil de sécurité des Nations
unies adopte la résolution 1701, largement
à l’initiative de la France, appelant
non au cessez-le-feu mais à « la cessation
des hostilités » sans en préciser
l’échéance et, enfin, au « retrait des forces
israéliennes du Liban », celui-ci coïncidant
avec le déploiement de troupes libanaises
appuyées par une Finul renforcée.
Les avancées de ce texte de
compromis lui permettent cependant
d’être adopté à l’unanimité du conseil
de sécurité et accepté par toutes les
parties.
La « fin des hostilités » est donc alors en
vue, et l’on ne peut que s’en féliciter.
Reste que la résolution demeure fondée
sur un déséquilibre. Elle rend le Hezbollah
responsable de la guerre sans
aucune condamnation de l’offensive
israélienne, de son ampleur, de ses objectifs.
Aussi bien lance-t-elle « un appel
en faveur d’une cessation totale des hostilités
fondée, en particulier, sur la cessation
immédiate par le Hezbollah de
toutes les attaques et la cessation immédiate
par Israël de toutes les offensives
militaires ». Concernant la question des
prisonniers, les auteurs du texte estiment
« que la violence doit cesser » et « dans
le même temps qu’il faut remédier
d’urgence aux causes qui ont donné naissance
à la crise actuelle, notamment en
obtenant la libération inconditionnelle
des soldats israéliens enlevés », mais se
contentent de se dire conscients « du
caractère délicat de la question des prisonniers
» et encouragent « les efforts
visant à régler d’urgence la question
des prisonniers libanais détenus en
Israël ». Quant à la question du désarmement
du Hezbollah, le texte se félicite
« des efforts du Premier ministre
libanais et de l’engagement pris par le
Gouvernement libanais (...) d’étendre
son autorité sur son territoire, par l’intermédiaire
de ses propres forces armées
légitimes, de sorte qu’aucune arme ne s’y
trouve sans le consentement du Gouvernement
libanais et qu’aucune autorité
ne s’y exerce autre que celle du Gouvernement
libanais ». En clair, la présence
armée du Hezbollah ou non dépend du
consentement du gouvernement -et des
capacités de son armée. Reconnaissance
du caractère national de la décision, ou
volontaire ambiguïté ?
C’est dans ce contexte que la France tergiverse
d’abord sur sa participation active
à la Finul renforcée - à 15.000 soldats - prévue par la résolution. Car c’est bien
la question de son mandat, c’est-à-dire
de son rôle, qui se pose [8]. Pour Shlomo
Ben-Ami, ancien ministre israélien des
Affaires étrangères, actuellement vice-président
du centre international pour la
paix de Tolède, « Les guerres peuvent
avoir des conséquences surprenantes-spécialement celles qui, comme la guerre
israélienne contre le Hezbollah, commencent
comme des réactions de réflexe
plus que comme des stratégies contrôlées.
Comme une ironie qui n’a heureusement
pas échappé à l’attention des
responsables israéliens, une fois qu’il
fut clair que l’objectif consistant à mettre
le Hezbollah à genoux ne pouvait être
atteint, l’objectif de la guerre s’est transformé
afin de déployer une force internationale
vigoureuse au sud-Liban, mandatée
par les Nations unies les plus
calomniées, et dirigée par les Européens
“antisémites” », écrit-il. « En exposant
les limites de la dissuasion, poursuit-il,
le Hezbollah pourrait avoir aidé Israël
à intégrer le concept de légitimité internationale
et les bons services des Nations
unies comme composante de sa doctrine
de sécurité » [9] Mais Paris n’entend pas
s’engager dans ce processus. C’est ce
qu’indique Jacques Chirac dans un entretien
au USA Today [10] : « La FINUL n’a
pas en effet pour mission de désarmer
le Hezbollah. Le désarmement du Hezbollah
est dans la nature des choses.
Ceci est prescrit par la résolution 1559
du Conseil de sécurité. Et va de pair
avec la restauration de l’autorité de
l’Etat libanais sur l’ensemble de son territoire.
Nous avons toujours dit qu’il
appartenait au gouvernement libanais,
dans le cadre d’une négociation libanaise,
de mettre en oeuvre le processus
qui permettra au Hezbollah de se transformer,
d’une milice, en parti politique,
ce qui est légitime et naturel. » L’objectif
demeure. Mais la voie sera politique
et libanaise. Et telle semble bien être la
position des Etats participant à la Finul,
en dépit des ambitions de Washington et
de Tel-Aviv.
Une réorientation plus globale de la politique française au Proche-Orient ?
Pour autant, la réorientation de la politique
française au Proche-Orient semble
plus globale, qui a eu pour point d’orgue
la visite du Premier ministre israélien
Ariel Sharon à Paris en juillet 2005. Au
programme, l’adoption de nouveaux
accords économiques et commerciaux
avec Israël et, au-delà, une coopération
renforcée sur les dossiers stratégiques.
Ainsi du projet engageant deux entreprises
françaises, Alstom et Connex,
grâce aux bons soins de l’ambassade de
France à Tel-Aviv, dans la construction
du tramway colonial à Jérusalem. Celuici
vise à relier la partie occidentale de la
ville à deux colonies construites en Cisjordanie
aujourd’hui occupée, Pisgat
Zeev et French Hill, en violation du droit
et en sacrifiant toute perspective de paix.
Homme clé de ce rapprochement, l’exambassadeur
à Tel-Aviv, Gérard Araud,
vient d’être nommé au poste de directeur
général des affaires politiques et de sécurité
de l’administration centrale du ministère
des Affaires étrangères.
Au-delà, on assiste à une relecture politique
du conflit qui en inverse les termes.
L’instabilité régionale ne serait pas le
fruit de l’occupation, mais de ce qui y
résiste. Aussi la France, comme ses partenaires
européens, refuse-t-elle de sanctionner
la politique israélienne, tandis
que les sanctions économiques continuent
à s’appliquer à la population occupée.
Pour pérenniser son aide économique
au peuple palestinien à travers
ses institutions légitimement issues des
urnes, l’Union européenne, et notamment
la France -à la suite du Canada et
des Etats-Unis-, a exigé du gouvernement
du Hamas, on s’en souvient, de
respecter trois conditions : la reconnaissance
de l’Etat d’Israël dans les frontières
de 1967, le respect des accords
signés et l’arrêt de la violence. Autant de
conditions qui ne s’imposent pas à Israël,
qui continue en toute impunité à ne pas
reconnaître le droit du peuple palestinien
à l’autodétermination et à un Etat
indépendant dans les frontières de 1967,
à violer l’ensemble des accords signés,
et à user de la violence et de la terreur
d’Etat comme moyen de chantage sur
la population civile palestinienne. Or le
dernier rapport de la Conférence des
Nations unies sur le commerce et le développement
(CNUCED) publié 12 septembre,
témoigne de ce que les projections
laissent prévoir « un chômage, une
pauvreté et des tensions sociales sans
précédent » ainsi qu’un « affaiblissement
des capacités de gestion et des capacités
techniques du Gouvernement palestinien,
dont le développement et le renforcement
étaient l’une des priorités du
soutien des donateurs depuis 1994. »
« Une intensification de l’aide et une
action urgente s’imposent pour éviter
une effondrement de l’économie palestinienne
», prévient-il.
Pour une conférence internationale de paix contraignante
C’est pourtant un autre discours qu’adopte
Jacques Chirac à l’occasion de l’Assemblée
générale des Nations unies le 19
septembre [11]. D’abord, il réaffirme la
primauté du droit international. « L’humanité
doit être unie et solidaire dans la
diversité de ses peuples. Elle a plus que
jamais besoin d’une Organisation des
Nations unies forte et respectée, irremplaçable
instrument de souveraineté et
de responsabilité partagées », dit-il.
Ensuite, il revient sur le dossier du
nucléaire iranien, avec une proposition
qui s’écarte de la stratégie définie par
Washington : il prône la voie du dialogue
pour sortir de la crise. Il propose
de nouvelles négociations pendant lesquelles
le Conseil de sécurité suspendrait
la menace des sanctions contre
Téhéran qui interromprait ses activités
d’enrichissement de l’uranium.
Enfin, et là n’est pas le moindre, il plaide
la centralité de la question palestinienne
pour parvenir à la paix dans la région.
« Parce que le conflit du Moyen-Orient
menace la paix et la sécurité du monde,le monde n’a d’autre choix que d’apporter
sa garantie à la paix. Sortons des sentiers
tracés par l’habitude. Définissons
une stratégie globale, dont la clé est le
règlement du conflit israélo-palestinien
(...). Chacun en connaît les paramètres :
la coexistence, dans la sécurité, de deux
États viables, déjà largement admise par
les deux peuples concernés ; des frontières
sûres et reconnues ; une solution
juste pour les réfugiés comme pour Jérusalem.(...)
A force d’en différer sans cesse
le règlement, cet affrontement est devenu
l’épicentre de l’instabilité internationale,
la source première de l’incompréhension
entre les mondes et l’alibi facile de
tous les terrorismes », ajoute-t-il.
Retour sur les principes, donc. Mais quels
moyens la communauté internationale
est-elle prête à mettre en
oeuvre pour imposer à une
paix fondée sur le droit ?
Que propose Paris ? Recevant
comme chaque année
les ambassadeurs, Jacques
Chirac, le 28 août, reprend
à son compte la thèse de la
bonne volonté israélienne et
de la responsabilité du gouvernement
palestinien dans
l’impasse actuelle : « Certes,
les circonstances ne sont
pas les meilleures. Le
Hamas n’a pas encore tiré
les conséquences de son
entrée dans la voie politique
en acceptant l’arrêt
des violences, la reconnaissance d’Israël
et les acquis d’Oslo. Mais le Président
Mahmoud Abbas incarne l’engagement
du peuple palestinien pour une paix négociée
et le Premier ministre israélien Ehud
Olmert a inscrit la négociation au premier
rang de ses options. »
Il plaide cependant en faveur de la tenue
d’une conférence internationale, que
pourrait préparer le quartette (Onu, Etats-
Unis, Union européenne, Russie). On
ne peut que s’en réjouir. Cependant, plutôt
que de conduire à un accord fondé sur
le droit, il propose « que cette conférence
établisse par avance les garanties que
nous sommes prêts à apporter aux parties
dès qu’elles seront parvenues à un
accord. » Six ans après l’échec des négociations
de Camp David, au cours desquelles
la partie israélienne entendait
fonder la paix sur la renonciation au droit
international, et alors qu’Ehud Olmert
aspire à dessiner les frontières israélopalestiniennes
unilatéralement
en
annexant une partie
substantielle de
la Cisjordanie, on
voit mal comment
un tête-à-tête
israélo-palestinien - Tel-Aviv refusant
qui plus est
de négocier- sans
intervention internationale
pourrait
aboutir à un
accord fondé sur
le droit.
La paix mérite mieux. Il n’y aura effectivement
pas de stabilité régionale, ni à
la frontière israélo-libanaise, ni en Palestine,
ni plus largement, sans une véritable
mise en oeuvre du droit, indivisible.
A ne pas s’y engager, la communauté
internationale joue un jeu dangereux,
pour tous. Paris, s’il voulait le voir, pourrait
pourtant jouer un rôle utile et efficace.
Sans attendre davantage.
Isabelle Avran,septembre 2006.
Le mémorandum français [12]
Loin d’une analyse globale des responsabilités et
des enjeux du conflit, faisant l’impasse sur les motivations
israéliennes, ce mémorandum s’inscrit dans le
cadre d’un objectif politique explicite : l’application des
résolutions 1559 et 1680. En jeu : la « restauration de
la pleine souveraineté du gouvernement libanais sur
l’ensemble de son territoire » et « la sécurisation durable
de la frontière israélo-libanaise ». Pour un « arrangement
politique », il envisage plusieurs « séquences ».
En premier lieu, pour parvenir à « l’arrêt des violences »,
il prévoit un appel à l’arrêt immédiat des hostilités, la
remise des prisonniers à un tiers jusqu’à conclusion
de la négociation, la délimitation de « corridors humanitaires » avec engagement de la Finul « en attendant la délimitation de la zone-tampon », le tout en dix à
quinze jours. C’est alors que pourrait s’envisager un
cadre général de règlement « d’abord politique, les
moyens militaires à déployer sur le terrain étant définis
en fonction des objectifs politiques sur lesquels un
accord préalable aura été obtenu. ». Il s’oppose à une
force « d’imposition de la paix ou de police internationale
» : « absence de mandat politique préalable ; effet
négatif prévisible sur les efforts en vue d’un accord politique.
» Il prévoit la délimitation claire des frontières,
« en particulier dans la zone dite des “fermes de Chebaa”,
qui serait évacuée par Israël et placée sous
contrôle de la Force internationale », mandat pouvant
être donné aux Nations unies pour établir une frontière
provisoire dans l’attente d’un accord international
définitif. Concernant les prisonniers, le choix des
mots et leur distinction en disent long : « Règlement
définitif de la question des prisonniers israéliens enlevés
et libanais détenus en Israël » .
Pas un mot sur le retrait israélien du Liban. Ce qui est
un comble. Même si le plan prévoit une zone interdite
de survol aux avions autres que ceux de la force internationale.
En revanche, il définit une « zone tampon
sur la frontière israélo-libanaise », des deux côtés de
la frontière : « placée sous contrôle conjoint de l’Armée
libanaise et de la force internationale pour la partie
située en territoire libanais, exempte d’armes lourdes
pour la partie située en territoire israélien » ; il n’en
sera plus question par la suite, la fameuse « zone tampon
» n’ayant plus lieu d’être que du côté libanais.
Concernant les armes, nouvelle dissymétrie. Seules les
roquettes et missiles du Hezbollah doivent être neutralisés.
Il propose à partir de là une force internationale
susceptible d’appuyer au sud le déploiement de
l’armée libanaise et de sécuriser la frontière et, sous
l’égide du commandement de cette force, un comité
permanent « composé de représentants des gouvernements
libanais, israélien et d’autres acteurs régionaux
et internationaux concernés ». Enfin, il en appelle
à la reconstruction du Liban. Ce schéma est censé être
proposé à l’ensemble des acteurs « Hezbollah inclus ».
La France insiste sur la nécessité d’un règlement politique,
sans un mot sur celle d’un règlement politique
global.